Critique : Swagger

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France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Olivier Babinet
Scénario : Olivier Babinet
Acteurs : Aïssatou Dia, Mariyama Diallo, Abou Fofana
Distribution : Rezo Films
Durée : 1h24
Genre : Documentaire
Date de sortie : 16 novembre 2016

Note : 3/5

C’est une parenthèse enchantée. Un instant rare à partager avec des jeunes vivant dans des banlieues défavorisées d’Aulnay-sous-Bois ou de Sevran, qui aurait pu, chez tant d’autres cinéastes même reconnus, tomber dans la fiction moraliste pointant d’un doigt accusateur chaque spectateur ayant pourtant fait la démarche d’aller voir le film. Mais ce cinéma comme on en a trop souvent subi, Olivier Babinet n’en est visiblement pas un adepte non plus. Son truc à lui, c’est plutôt le métissage des genres, investissant le documentaire pour, au final, faire autre chose. Car si le film présente de vrais enfants ou adolescents, leur vraie vie, et leurs vraies interrogations, c’est pour passer au coloriage pop ce qui n’aurait pu être qu’un énième reportage misérabiliste pour nous montrer à quel point la vie dans les cités est dure, avec ses trafiquants, sa violence et son absence de perspectives d’avenir.

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Synopsis : Dans la tête de onze enfants et adolescents aux personnalités surprenantes qui grandissent au coeur des cités les plus défavorisées de France. À travers leurs regards singuliers et inattendus, leurs réflexions drôles et percutantes, Swagger donne vie aux propos et aux fantasmes de ces enfants d’Aulnay et de Sevran. Car, malgré les difficultés de leur vie, ils ont des rêves et de l’ambition.

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Un voyage aux confins du rêve éveillé

Dès le premier plan, quelque chose de différent se fait sentir. Par la fluidité d’un plan séquence où la caméra s’élève pour survoler les tours d’immeubles, et entrer par une fenêtre, en un mouvement gracieux, un ton, une ambition, nous montrent que le film va nous proposer un voyage aux confins du rêve éveillé. Et pourtant, à aucun moment le cinéaste n’esquive les problématiques propres à tous les adolescents, quelles que soient leurs origines ou histoires. Ces jeunes sont immédiatement attachants et proches de nous, parce que malgré l’environnement dans lequel ils grandissent, ils se posent les mêmes questions que n’importe qui, sur la société, l’amour, la religion, leur place dans ce monde et par rapport à leurs camarades. Mais au lieu de nous assommer avec une succession d’entretiens face caméra redondants, le réalisateur choisit une approche stylisée, brouillant volontairement ce qui sépare habituellement le documentaire de la fiction. Ici, donc, il pourrait tout aussi bien s’agir d’un film ressemblant à la vraie vie, ou d’un documentaire aux airs de fiction. Le spectateur sait que ces jeunes s’exprimant devant lui, ayant tous une personnalité singulière, sont de vrais adolescents, et non des personnages. Cela n’empêche à aucun moment de vivre le film comme s’il s’agissait d’une oeuvre pleinement scénarisée. Pour illustrer les rêves ou la psyché de certains personnages, le réalisateur n’hésite pas à user d’effets spéciaux, plus ou moins visibles. Car il mélange les genres, versant à un moment dans la science fiction, à d’autres dans la comédie musicale. Avec sa mise en scène n’ayant pas peur d’un certain formalisme, et ne restant jamais enfermé dans le moindre système, il ose parsemer le quotidien le plus banal de petites fantaisies, qui pourraient tomber à plat ou donner une impression d’artificialité, mais qui par leur utilisation subtile, quasiment indétectable, créent une ambiance onirique particulièrement plaisante.

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Des acteurs investis

Mais loin de se contenter de ces idées de cinéma, il laisse la parole à chacun des 11 jeunes mis en avant dans le film, et en les mettant tous sur un même pied d’égalité. C’est ainsi que par la subtilité du montage, passant d’un personnage à un autre avec fluidité, on se retrouve sincèrement attaché à chacun d’eux. Même si certains sont plus extravertis que d’autres, chacun fait entendre sa petite musique personnelle, et les 80 petites minutes paraissent presque trop courtes, tant l’on aimerait les suivre un peu plus longtemps. Si l’on devait en évoquer certains plus particulièrement, il serait impensable d’oublier l’incroyable Régis Marvin Merveille N’Kissi Moggzi, à la personnalité extravagante, créant immédiatement une complicité avec le public qui ne s’estompera jamais de tout le film.

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Mais il serait fastidieux de tous les citer, tant chacun apporte quelque chose de différent au propos. Leurs réflexions, qui peuvent parfois paraître un brin naïves, ce qui après tout est tout à fait normal étant donné leur jeune âge, sont bien entendu bien plus profondes que ce qu’elles peuvent laisser paraître de prime abord. Car en s’interrogeant sur la France, sur leur place à eux, la plupart immigrés, dans cette France, et sur le fait qu’à Aulnay, tous les « français de souche », comme ils le disent, se sont enfuis pour habiter la grande ville, il n’y a aucune haine dans leurs propos, seulement un mal être, l’envie de donner leur maximum pour rendre fières leurs familles qui les ont envoyés là pour fuir la misère de leurs pays d’origine. Il n’y a donc aucun esprit revanchard envers la France, seulement une envie de réussir qui force le respect. Le ton n’est jamais pompeux ou mortifère, au contraire, on rit beaucoup, et jamais au détriment des diverses personnalités qui s’y expriment, mais toujours avec eux. Et au final, c’est avec l’impression de les connaître depuis toujours que l’on quitte la salle.

En choisissant la voie du cinéma pur, Olivier Babinet, dont le film a été sélectionné à l’ACID lors du dernier festival de Cannes, réussit enfin à contourner les clichés systématiquement associés au cinéma de fiction s’attaquant à la banlieue. Avec ses idées parsemant quasiment chaque plan, ses ruptures de ton toujours bienvenues, ne tombant jamais dans l’expérimentation stérile, mais restant au contraire toujours accessible à tous, il constitue un grand bol d’air frais, en ces temps troublés. Il faut oublier les à priori que l’on peut avoir envers le documentaire au cinéma, car ici, c’est bel et bien de cinéma qu’il s’agit, à chaque instant.

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Conclusion

Un cinéma incroyablement vivant et moderne, ne s’enfermant dans aucune certitude, à l’incontestable capacité rassembleuse, même si sa distribution modeste risque de l’empêcher d’atteindre les cimes du box office. Mais au final, que le film ait du succès ou non, chaque personne l’ayant vu en ressortira avec le sourire et l’impression d’avoir vu un véritable moment de vie, tout autant qu’un film soigné à tous les niveaux, dans sa mise en scène et sa forme générale, avec une sublime photographie lui donnant réellement un air de rêverie, impression encore accentuée par la musique magique composée par Jean-Benoît Dunckel.

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