Critique : Problemski Hotel

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Problemski Hotel

Belgique : 2015
Titre original : –
Réalisation : Manu Riche
Scénario : Manu Riche, Steve Hawes d’après l’œuvre de Dimitri Verhulst 
Acteurs : Evgenia Brendes, Gökhan Girginol, Tarek Halaby
Distribution : Wayna Pitch
Durée : 1h51
Genre : drame
Date de sortie : 29 novembre 2017

3.5/5

A 53 ans, Manu Riche, ancien de l’émission Strip-Tease et réalisateur de documentaires, ne s’était encore jamais aventuré dans la fiction. Pour ses débuts dans le genre, il a choisi d’adapter au cinéma un roman de Dimitri Verhulst, paru en 2003.

Synopsis : Quelque part dans une tour désaffectée de Bruxelles, un groupe de réfugiés, tous sans papier, essayent de trouver leur place en bordure du monde. Ils se laissent flotter, couler, rêver.

Un étrange hôtel

« Si tu dois mourir, une fois mort, autant le rester. Rien de pire qu’une vie dans l’au-delà qui commence par une demande d’asile » : après que, durant quelques secondes, on ait suivi un camion transportant un grand sapin sur une route de la forêt ardennaise, le ton est donné dès le début du film avec cette phrase que l’on entend, prononcée en anglais avec une pointe d’accent étranger. En effet, c’est parmi des migrants parlant un peu toutes les langues, dont l’anglais, que va se dérouler Problemski Hotel, la phrase présente un côté surréaliste indéniable et ce sapin va être l’acteur d’un des gags récurrents du film.

Tout en haut d’une tour désaffectée de Bruxelles, vivent un grand nombre de demandeurs d’asile en provenance d’un peu partout dans le monde. Parmi eux, il y a là Bipul, le personnage central du film, un homme qui parle plusieurs langues mais qui n’arrive pas à se rappeler laquelle est sa langue maternelle : il a tout oublié de son passé et il n’a plus aucun papier. Un avantage : les autorités sont dans l’incapacité de le renvoyer dans son pays d’origine, inconnu de tous, y compris de lui-même ! Il y a Mahsun, un afghan qui n’a qu’une idée en tête : épouser une femme belge afin d’acquérir sa nationalité.  Il y a Igor, un russe qui tente d’apprendre le français afin de pouvoir intégrer la Légion étrangère. Il y a Lidia, en provenance du Kazakhstan, qui rêve d’aller en Angleterre et d’entraîner Bipul avec elle. Il y a Shaukat, qui contraint sa femme Hafeeza à porter la burka et ne lui laisse aucune liberté. Et plein d’autres, encore.

Un mélange de réalisme et de burlesque

Nous introduire parmi les migrants et nous faire part de leurs problèmes de façon réaliste, le cinéma l’a déjà fait à plusieurs reprises. Pour son premier long métrage de fiction, Manu Riche a choisi une autre approche, beaucoup plus risquée : construire un film avec une succession de saynètes dans lesquelles il y a certes une bonne part de réalisme mais qui se mélange avec  une dose importante de burlesque, de non-sens et de poésie loufoque. Ne pas oublier que le réalisateur est belge, après tout ! C’est ainsi qu’un personnage se félicite que, lorsqu’il rencontre son psy, il ne peut s’exprimer que dans une langue que le praticien ne comprend pas : « je me sens plus libre de dire ce que je pense », avoue-t-il ! Par ailleurs, tout au long du film, interviennent des scènes au cours desquelles des hommes transportent un énorme sapin de Noël, sans trop savoir où l’installer, et d’autres où l’on voit la responsable du centre entretenir sa condition physique en pratiquant la marche rapide dans les couloirs.

Dans ce microcosme, de nombreuses langues sont pratiquées : anglais, néerlandais, français, arabe et le russe, dont les dialogues ne sont pratiquement jamais sous-titrés. Il arrive parfois que 2 traductions soient nécessaires pour faire transiter la parole d’un personnage vers un autre (détail certainement très réaliste !), Bipul étant le pilier par lequel presque tout transite dans cet « hôtel » si particulier que l’on ne quitte que rarement.

 

Des comédiens proches des personnages qu’ils incarnent

C’est au 10ème étage de la Tour BNP Paribas de Bruxelles que Manu Riche a tourné une grande partie du film. Un lieu dont seuls deux étages de ce siège administratif sont encore en activité, un lieu qui, en tant que reliquat de la faillite économique d’un système, représente pour lui une métaphore de notre monde contemporain. Quant aux références cinématographiques que le réalisateur revendique : Vol au dessus d’un nid de coucou et M.A.S.H., « deux films parfaitement ancrés dans la réalité de leur époque, tout en la transcendant par un ton décalé ».

Même s’il s’écarte très souvent d’une approche réaliste, Manu Riche a gardé de son passé de documentariste le besoin de choisir des comédiens ayant eu un parcours de vie proche de celui des personnages qu’ils incarnent dans le film. C’est ainsi que Tarek Halaby, l’interprète de Bipul, homme sans passé et sans patrie, est né en Palestine et qu’il est passé par la Jordanie, Dubaï et Chicago avant d’intégrer comme danseur la compagnie de la chorégraphe belge Anne Teresa De Keersmaeker. Le rôle de Mehsun est tenu par Gökhan Girginol, comédien et metteur en scène de théâtre d’origine turque. Quant au rôle de la kazakhe Lidia , c’est Evgenia Brendes qui l’interprète : elle a quitté le Kazakhstan il y a 10 ans !

Même si elle est peu présente dans le film, la musique y joue un rôle important. Il s’agit le plus souvent d’arrangements d’œuvres de Béla Bartok, des œuvres dont le caractère très sombre souligne ponctuellement la noirceur des situations vécues par les personnages du film.

Conclusion

C’est la deuxième fois qu’un roman de Dimitri Verhulst fait l’objet d’une adaptation cinématographique. La première fois, c’était en 2009 pour son roman La merditude des choses, film réalisé par Felix Van Groeningen. Un titre qui aurait tout aussi bien convenu pour Problemski Hotel. Ce film de Riche sur les damnés de la terre est tout à la fois sombre et lumineux, désespéré et plein d’espoirs, pathétique et drôle.

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