Critique : L’enlèvement

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L’enlèvement

Italie : 2023
Titre original : Rapito
Réalisation : Marco Bellocchio
Scénario : Marco Bellocchio, Susanna Nicchiarelli
Interprètes : Enea Sala, Leonardo Maltese, Paolo Pierobon
Distribution : Ad Vitam
Durée : 2h15
Genre : Drame
Date de sortie : 1er novembre 2023

4/5

58 ans après Les poings dans les poches, sa première réalisation cinématographique, à bientôt 84 ans, le réalisateur italien Marco Bellochio n’a rien perdu de son mordant, bien au contraire, ses 2 derniers longs métrages de fiction, Le traître et L’enlèvement venant se placer très haut dans la hiérarchie de sa filmographie. Alors que Le traître s’intéressait à l’histoire véridique de Tommaso Buscetta, un repenti de la Mafia, c’est à une autre histoire véridique que le réalisateur a consacré L’enlèvement, celle d’Edgardo Mortara, un jeune garçon juif, enlevé de force en 1858 à sa famille bolonaise, afin d’être élevé comme chrétien. Il y a quelques années, Steven Spielberg avait envisagé de porter à l’écran cette histoire qui a marqué l’Italie du 19ème siècle et Harvey Weinstein avait, lui, envisagé de produire un film sur ce sujet, réalisé par l’islandais Baltasar Kormakur. Ces 2 projets n’ont finalement jamais vu le jour. Tout comme Le traître, L’enlèvement a été présenté en compétition au Festival de Cannes et est reparti bredouille. 

Synopsis : En 1858, dans le quartier juif de Bologne, les soldats du Pape font irruption chez la famille Mortara. Sur ordre du cardinal, ils sont venus prendre Edgardo, leur fils de sept ans. L’enfant aurait été baptisé en secret par sa nourrice étant bébé et la loi pontificale est indiscutable : il doit recevoir une éducation catholique. Les parents d’Edgardo, bouleversés, vont tout faire pour récupérer leur fils. Soutenus par l’opinion publique de l’Italie libérale et la communauté juive internationale, le combat des Mortara prend vite une dimension politique. Mais l’Église et le Pape refusent de rendre l’enfant, pour asseoir un pouvoir de plus en plus vacillant…

Un enfant arraché à ses parents

En 1858, la ville de Bologne faisait encore partie des Etats pontificaux et, à ce titre, l’inquisition y avait encore droit de cité. Le 23 juin 1858, la police pontificale, sur ordre de l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, a investi la demeure où habitent la famille Mortara et leurs 8 enfants. Les policiers exigent que leur soit remis Edgardo, un de ces enfants, alors âgé de 6 ans et quelques mois. Pourquoi cet enfant plutôt qu’un autre ? Très simplement parce que la famille Mortara était une famille juive et parce que les autorités catholiques avaient appris qu’Edgardo avait été ondoyé en secret par une bonne  de la famille Mortara alors que, bébé, il était très malade et que la bonne, en bonne chrétienne, craignait que, s’il venait à mourir, l’enfant aille rejoindre les limbes. Considéré comme baptisé à la suite de cet ondoiement, Edgardo ne pouvait plus, du point de vue de l’église catholique, être élevé dans sa famille juive sauf à devenir apostat et donc excommunié.

Le film va suivre l’existence d’Edgardo, emmené de force à Rome pour être placé dans un établissement proche du Vatican, tout en narrant les nombreuses tentatives de Momolo et Mariana Mortara pour, au minimum, visiter leur fils et, si cela s’avère possible, le faire revenir dans sa famille, sans oublier les séquences historiques que sont, en 1860, le procès de l’inquisiteur Feletti et l’entrée des troupes piémontaises à Rome en 1870. Dans ce véritable combat avec la papauté, le couple Mortara va trouver des soutiens un peu partout dans le monde, au sein de la communauté juive, bien entendu, mais également auprès de personnalités politiques, de personnalités religieuses et de chefs d’état dont l’Empereur des Français Napoléon III. Face à eux, face à ces soutiens, se dresse le pape Pie IX, un pape devenu petit à petit particulièrement conservateur et dont, par ailleurs, le pontificat fut le plus long de l’histoire de la papauté. Pour le Vatican, l’époque est historiquement difficile avec la naissance progressive de l’état d’Italie et des attaques de plus en plus fortes contre le pouvoir temporel de l’Eglise, ce qui amène Pie IX, qui considère Edgardo comme une prise de guerre, à se montrer d’une grande fermeté face aux demandes de la famille Mortara et de leurs soutiens.

Une affaire aux conséquences importantes 

Ce que Wikipedia appelle l’ « affaire Mortara » est certainement plus connu en Italie que dans notre pays. Cette « affaire » a eu des conséquences importantes sur l’histoire de l‘Italie, facilitant la cause de l’unité italienne et la chute des Etats pontificaux.  En France, elle a participé au renforcement de l’anticléricalisme. Ce que montre le film est très proche de ce que dit Wikipedia sur cette affaire. Si on creuse un peu le sujet, on s’aperçoit que, si cette « affaire » est particulièrement emblématique, elle fut un cas parmi de nombreux autres, la plupart des cas similaires se déroulant dans les états pontificaux où le droit ecclésiastique tenait lieu de droit civil. Le film insiste sur un point particulier, l’âge de l’enfant au moment de son enlèvement : En 1858, les autorités religieuses auraient dû attendre que l’enfant ait 7 ans pour procéder à cet enlèvement : il ne les avait pas encore ! De toute façon, cet âge, celui, en fait, où un enfant pouvait être baptisé sans le consentement de ses parents ou pouvait être arraché à des parents en cas de baptême antérieur, n’a cessé de changer d’un pape à l’autre. Bien entendu, l’ « affaire Mortara » n’a jamais cessé d’être l’objet de polémiques, les plus récentes concernant la traduction en italien des mémoires écrites en castillan en 1888 dans lesquelles Edgardo Mortara, alors missionnaire pontifical séjournant en Espagne, raconte sa propre histoire et son arrivée dans la religion catholique, voire même la version originale de ces mémoires.

La vision de L’enlèvement ne manque pas d’interroger sur la personnalité d’Edgardo Mortara : peu après son enlèvement, il semble désespéré d’avoir été arraché à sa famille et puis, petit à petit, on sent que, sous l’emprise psychologique de son environnement, il s’en éloigne pour rentrer dans une autre famille, celle de la religion catholique, celle d’un pape particulièrement hypocrite, tout à la fois capable de faire preuve d’une grande bienveillance envers Edgardo pour masquer son comportement ignoble envers l’enfant et sa famille et de se montrer totalement odieux lorsqu’il reçoit des émissaires juifs venus plaider la cause de la famille Mortara. Sans que le film permette vraiment de trancher, on ne peut s’empêcher de voir dans Edgardo une « victime » du syndrome de Stockolm.

Une excellente distribution 

Pour raconter cette histoire très forte, Marco Bellochio n’a pas cherché à faire « moderne » en déconstruisant son récit : l’histoire est simplement racontée de façon linéaire. Si on ajoute que la photo et la lumière de Francesco Di Giacomo sont absolument magnifiques, L’enlèvement remplit presque toutes les cases pour être taxé d’académisme. Qu’importe ! Un bémol toutefois, la trop grande présence d’une musique tonitruante, au point qu’on a souvent l’impression de se retrouver dans un film américain. Une bande son, toutefois, qui présente l’avantage de montrer que, en 1870, la papauté continuait de faire appel à des castrats.

Dans la distribution, on remarque la très bonne prestation de Enea Sala, l’interprète d’Edgardo enfant, remplacé par Leonardo Maltese lorsque Edgardo est devenu adulte. Paolo Pierobon excelle a nous représenter un pape Pie IX qu’on prend plaisir à détester, tout comme on ne peut s’empêcher de détester l’inquisiteur Pier Gaetano Feletti, interprété par Fabrizio Gifuni. Barbara Ronchi, dont on a pu apprécier récemment la grande qualité de jeu dans le rôle de Caterina Gabrielli dans Il Boemo, campe une Mariana Mortara pleine de sensibilité aux côtés de Fausto Russo Alesi, interprète du juge Falcone dans Le traitre et de Momolo Mortara dans L’enlèvement.  

Conclusion

Marco Bellochio a certes reçu en 2021 une Palme d’honneur du Festival de Cannes, mais ses films présentés en compétition officielle ont toujours été boudés par les différents jurys du Festival. Cette année, la sélection était tellement riche en films de très grande qualité qu’on peut excuser le jury de l’avoir une fois de plus ignoré. Il n’empêche : L’enlèvement est quand même un grand film et on espère que, malgré ses 84 ans, ce n’est pas la dernière réalisation de Marco Bellochio.

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