Critique : Le plus dignement (1944)

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Le plus dignement

Japon : 1944
Titre original : Ichiban utsukushiku
Réalisation : Akira Kurosawa
Scénario : Akira Kurosawa
Acteurs : Takashi Shimura, Sôji Kiyokawa, Ichirô Sugai
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie : 13 avril 1944 (Japon)

Note : 4/5

En 1944, c’est dans un contexte historiquement et politiquement ombrageux qu’Akira Kurosawa expérimente pour la première fois l’entière écriture cinématographique de son second film en le scénarisant lui-même. Dans Le plus dignement, il quitte ainsi la masculinité bouillonnante de La Légende du grand judo pour s’attarder sur un collectif entièrement féminin dont la résilience et la détermination constituent la vitrine idéologique de son réalisateur mais aussi d’un gouvernement soucieux de motiver son peuple à l’arrière.

Synopsis : Japon. 1944. Un groupe d’ouvrière travaillant dans une usine fabriquant des lentilles de précision destinées pour les canons. Elles décident de revendiquer une cadence de travail aussi lourde que celle des hommes afin de contribuer à l’effort de guerre…

Le sacrifice au féminin

Dans son autobiographie, Akira Kurosawa rappelle la mentalité japonaise qui estime que « le sacrifice personnel [est] une façon raisonnable de conduire sa vie ». C’est donc dans cette logique sacrificielle qu’il fait évoluer ses personnages dont il atomise toute forme d’affirmation de soi que le peuple considère comme « immorale ». Passés les relents propagandistes aisément explicables par un contexte de Seconde Guerre Mondiale qui épuise une population agonisante et que le gouvernement se doit de galvaniser, on notera une idéologie nationaliste trop archaïque pour toucher et capter le spectateur ultra contemporain. En effet, Kurosawa prouvera et imposera plus tard une idéologie beaucoup plus nuancée, placée entre les bénéfices du collectif mais aussi de l’affirmation individuelle. Toutefois, une forme de modernité se dégage dans l’ambition de ces personnages féminins revendiquant une égalité « physique » avec les hommes en revendiquant les mêmes exigences de rendement. Ce féminisme de résilience présente ainsi une ambivalence en ce qu’il revendique une égalité au service une idéologie nationaliste douteuse.

« Le plus beau » film ?

Par ailleurs, Le plus dignement est l’occasion pour son auteur de démontrer son habileté formelle tout étant soumis à des contraintes de production. Véritable film de jeunesse, Kurosawa démontre une dextérité étonnante dans le recours à des mouvements incessants de caméra qui captent et miment l’énergie collective de ces ouvrières prêtes au plus grand des sacrifices. Toutefois, cette virtuosité frôle parfois l’excès jusqu’à tomber dans un exercice de style parfois excessif. Néanmoins, lorsqu’est bien menée, cette habileté démonstrative parvient à se recouper parfaitement avec les thématiques fortes du film (l’amitié, le sacrifice, le patriotisme …) dans des séquences touchant au sublime. C’est ainsi qu’avec la frénésie du montage une séquence de match de volley se transfigure en une éclatante séquence d’osmose et de cohésion entre les individus.

De la vision pure à l’utilitarisme cinématographique

Le film est aussi l’occasion pour son auteur de construire un discours autour de la fonction du cinéma. La toile de fond étant une usine de fabrication de lentilles, on ne peut s’empêcher d’y voir une passerelle avec la thématique du « voir » et de la pureté de la création artistique et à son utilité publique à laquelle son auteur croira jusqu’à la fin. C’est ainsi que cette idéologie de la pureté se fond dans une esthétique marquée par l’épure et la simplicité. Aux emphases grandiloquentes des films de propagande, Kurosawa lui préfère une atmosphère intime marquée par l’humilité, à l’image de ses personnages, sans en atténuer la grandeur d’âme.

Conclusion

Film peu passionnant par sa trame, Le plus dignement parvient à l’être davantage dans ce qu’il représente dans la filmographie et la vie de son auteur. On y retrouve ainsi des motifs qui perdureront comme cette frénésie du mouvement de caméra ou ce goût pour les séquences sportives virtuoses que l’on retrouvera dans Un merveilleux dimanche et dans Chien enragé. Et évidemment il y a ce discours métaphysique sur l’art qui ne cessera de traverser une œuvre qui s’interrogera sans relâche sur elle-même et sur sa fonction utilitaire.

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