Critique : L’affaire Collective

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L’affaire Collective

Roumanie : 2019
Titre original : Colectiv
Réalisation : Alexander Nanau
Scénario : Alexander Nanau, Antoaneta Opris
Distribution : Dulac Distribution
Durée : 1h49
Genre : Documentaire
Date de sortie :  15 septembre 2021

4/5

Né à Bucarest en 1979, Alexander Nanau a émigré en Allemagne en 1990 avec sa famille et il est devenu citoyen allemand. Après des études de réalisation à l’école de cinéma DFFB de Berlin, il a réalisé en 2006 son premier long métrage documentaire, Peter Zadek inszeniert Peer Gyn. En 2009, son deuxième documentaire, The World According To Ion B., lui a permis d’obtenir un Emmy Award. Toto et ses soeurs, son troisième long-métrage, réalisé en 2014, a remporté des récompenses dans un grand nombre de festivals. L’affaire Collective est donc son 4ème long métrage documentaire, un film présenté à la Mostra de Venise et au Festival de Toronto en 2019 et nommé aux Oscar 2021 dans deux catégories : Meilleur Film International et Meilleur Documentaire.

Synopsis : Après un tragique incendie au Colectiv Club, discothèque de Bucarest, le 30 octobre 2015, de nombreuses victimes meurent dans les hôpitaux des suites de blessures qui n’auraient pas dû mettre leur vie en danger. Suite au témoignage d’un médecin, une équipe de journalistes d’investigation de la Gazette des Sports passe à l’action afin de dénoncer la corruption massive du système de santé publique. L’Affaire collective suit ces journalistes, les lanceurs d’alerte et les responsables gouvernementaux impliqués, et jette un regard sans compromis sur la corruption et le prix à payer pour la vérité.

Une enquête journalistique

Le 30 octobre 2015, un incendie s’est déclaré dans le night-club « Club Colectiv » de Bucarest, causant la mort de 27 personnes et en blessant 180. Un terrible bilan dû en grande partie au fait que le night-club ne disposait pas de sortie de secours. Bilan d’autant plus terrible que, dans les 4 mois qui ont suivi, 37 personnes ont péri à l’hôpital des suites de leurs blessures, la plupart du fait de maladies nosocomiales dues à l’utilisation de désinfectants dilués. Un ensemble de faits causé par la corruption endémique qui régnait alors en Roumanie (Qui régnait ou qui règne toujours ?).  Toujours est-il que, dès le 3 novembre, des manifestations populaires ont commencé, dénonçant la corruption, exigeant la démission du gouvernement. Une démission obtenue dès le lendemain, un gouvernement de technocrates indépendants étant ensuite nommé avec un mandat d’un an courant jusqu’aux prochaines élections.

C’est par des images filmées par des amateurs durant l’incendie que commence L’affaire collective. Très vite, toutefois, le film va s’orienter vers l’enquête journalistique menée, sous la houlette de Cătălin Tolontan, par la Gazeta Sporturilor, un quotidien … sportif ! Un peu comme si, en France, en 1970, le quotidien l’Equipe avait mené une enquête journalistique sur l’incendie du dancing Cinq-sept à Saint Laurent du Pont dans l’Isère ! Mais, après tout, peu importe qu’une enquête journalistique sérieuse soit menée sur un tel sujet par un quotidien sportif, ou par un journal spécialisé dans les ragots concernant les stars, ce qui est important, et c’est bien ce que L’affaire collective met en avant, c’est qu’une telle enquête sérieuse puisse exister !

Passionnant !

La corruption, on ne cesse de la rencontrer dans L’affaire collective, et ce à tous les niveaux de l’état ! Tout d’abord dans l’autorisation d’ouverture donnée à un night-club bien loin de réunir toutes les conditions de sécurité. Et puis, ensuite, dans un nombre important de faits touchant au système de santé : l’utilisation de produits désinfectants considérablement dilués alors que tout le monde connait les risques mortels que peuvent rencontrer les grands brulés avec le bacille pyocyanique, et les responsables qui prétendent que ces produits désinfectants dilués sont quand même efficaces dans 95% des cas, la nomination de directeurs d’hôpitaux incompétents grâce à des pots de vin, un système de surfacturation chez le fournisseur de produits désinfectants, un vaste système de fausses factures dans un hôpital, des analyses falsifiées, des médecins demandant d’être affectés dans les salles d’opération où les patients distribuent le plus de pots de vin, etc.. Ces mêmes médecins qui préfèrent aller à l’étranger pour se faire soigner ! Comme le dit une femme médecin outrée par tout ce système quasiment mafieux : « nous ne sommes plus humains ! ». En fait, à l’époque de cet incendie et de ses suites, si la Roumanie manquait cruellement de gens qualifiés pour gérer les hôpitaux, c’était parce que l’école de gestion de la santé publique était elle-même incompétente et gangrénée par la corruption, délivrant en masse des diplômes de gestion à tous ceux et à toutes celles qui payaient pour recevoir un tel diplôme par courrier.

Alors que dans sa première partie, le film avait le journaliste Cătălin Tolontan comme personnage principal, lorsqu’on arrive dans la 2ème partie, la caméra d’Alexander Nanau se focalise davantage sur Vlad Voiculescu, un militant pour les droits des patients nommé ministre de la santé le 20 mai 2016 dans le gouvernement de technocrates dirigé par Dacian Cioloș, suite à la démission du précédent Ministre, Patriciu Cadariu, accusé d’avoir tenté de minimiser l’importance des infractions découvertes par les autorités sanitaires. Vlad Voiculescu, un homme qui, durant un an d’exercice, va aller de mauvaise surprise en mauvaise surprise en découvrant, avec nous à ses côtés, l’ampleur de la corruption dans le domaine de la santé dont il avait la charge. En plus, 2 jours après sa nomination, Dan Condrea, la patron de Hexi Pharma, l’entreprise pharmaceutique roumaine accusée d’avoir commercialisé des produits désinfectants non conformes, se tuait dans un accident de voiture, les policiers concluant à un suicide.

Les journalistes véritables

Vous l’avez compris à la lecture de ce qui précède : tout documentaire qu’il est, L’affaire collective est avant tout un passionnant thriller. C’est aussi, bien sûr, un film à la gloire des journalistes véritables, celles et ceux qui enquêtent sérieusement sur le terrain, qui ne lâchent jamais le morceau et qui, se faisant, prennent parfois des risques pour leurs propres personnes. Dans un pays comme la Roumanie, la lutte contre la corruption est une œuvre de longue haleine. Curieusement (et malheureusement) la Roumanie est aujourd’hui plus mal placée en la matière (69ème sur 180 pays dans le monde avec un indice de corruption de 44 sur 100) qu’elle ne l’était en 2015 (58ème avec un indice à 46).

Conclusion

Curiosité du calendrier : le même jour sortent en salle deux documentaires aussi passionnants l’un que l’autre, plus passionnants, plus prenants, plus haletants que la très grande majorité des thrillers de fiction qui nous sont proposés :  L’état du Texas contre Melissa et L’affaire collective.

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