Critique : Kuessipan

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Kuessipan

Canada : 2019
Titre original : –
Réalisation : Myriam Verreault
Scénario :   Myriam Verreault, Naomi Fontaine
Interprètes : Yamie Grégoire, Sharon Fontaine-Ishpatao, Étienne Galloy, Cédrick Ambroise
Distribution : Les Alchimistes
Durée : 1h57
Genre : Drame
Date de sortie : 7 juillet 2021

3.5/5

Pour son premier long métrage de fiction, la réalisatrice québécoise Myriam Verreault a choisi d’adapter le roman Kuessipan, paru en 2011 et écrit par Naomi Fontaine, une jeune romancière de 23 ans, membre de la nation innue d’Uashat. Myriam et Naomi ont associé leurs forces et leurs talents pour l’écriture du scénario : ce fut long, il y eut plusieurs versions, deux personnages se sont imposés qui ne sont pas dans le livre à proprement parler, un livre dont elle se sont souvent éloignées, mais sans jamais en trahir l’esprit. Kuessipan a voyagé dans des festivals un peu partout dans le monde et a très souvent été récompensé.

Synopsis : Nord du Québec. Mikuan et Shaniss, deux amies inséparables, grandissent dans une réserve de la communauté innue. Petites, elles se promettent de toujours rester ensemble. Mais à l’aube de leurs 17 ans, leurs aspirations semblent les éloigner : Shaniss fonde une famille, tandis que Mikuan tombe amoureuse d’un blanc et rêve de quitter cette réserve devenue trop petite pour elle…

Au sein d’une communauté innue

La côte nord du Golfe du St-Laurent abrite un certain nombre de communautés innues, dont celle de Uashat. Avec Kuessipan, Myrriam Verreault a souhaité faire connaître, par le cinéma mais sans passer par la case documentaire, le mode de vie de ces communautés dans le Canada actuel, en reprenant le flambeau tenu par Naomie Fontaine dans l’écriture de son roman. Une transmission tout à fait en phase avec le titre du roman et du film, « kuessipan » signifiant « à toi », « à ton tour » en innu-aimun, la langue parlée par les innus.  Par mode de vie, il faut entendre les métiers pratiqués, les relations familiales, les langues parlées en famille, la mémoire des anciens, les goûts, les espoirs et les frustrations des jeunes générations, la façon dont les membres de ces communautés pensent être perçus par les autres canadiens et comment eux-mêmes perçoivent leurs compatriotes. Pour être plus précis, Myriam Verreault n’a pas voulu faire un film sur les innus, mais un film avec des innus. Pour évoquer tous ces sujets dans le cadre d’une fiction, Kuessipan nous invite à  suivre l’évolution de deux jeunes femmes innues, Shaniss et Mikuan, qu’on commence par rencontrer alors qu’elles sont deux gamines qui se considèrent comme deux sœurs à jamais inséparables mais dont l’environnement familial est très différent : si Mikuan a la chance de vivre au sein d’une famille stable et aimante et de pouvoir poursuivre des études, il n’en est pas de même pour Shaniss dont la mère est alcoolique. Quand on retrouve Shaniss et Mikuan quelques années plus tard, elles ont 17 ans et, le lien qui les unit, bien que toujours présent, tend à se détériorer tant leurs vies ont pris des tournures très différentes : Shaniss a arrêté ses études, elle n’envisage pas du tout de quitter la réserve, elle est devenue maman, elle vit avec le père de son enfant, un garçon de la communauté qui cède facilement à la violence, alors que Mikuan envisage de quitter sa communauté pour partir poursuivre ses études à Québec et, en attendant, participe à un atelier d’écriture dans lequel elle parle de la réserve innue et tombe amoureuse de Francis, un garçon de son âge extérieur à la communauté.

Protection de la culture autochtone ou repli identitaire ?

Dans sa façon de s’intéresser à l’évolution de l’amitié entre deux jeunes filles, il n’est pas interdit de faire un rapprochement entre Kuessipan et Adolescentes, le récent documentaire de Sébastien Lifshitz, avec la vie qui, dans les deux cas, fait prendre des chemins différents à ces jeunes filles et met à rude épreuve leur profonde amitié. Kuessipan, toutefois, ajoute un volet supplémentaire, celui concernant la communauté innue au sein de laquelle se déroule l’action. Cette communauté amérindienne est très réduite en nombre et, pour la plupart de ses membres, leur hantise est de disparaître. Sans imposer une quelconque réponse, le film interroge le spectateur sur les limites entre ce qui ressort de la protection de la culture d’un peuple, une protection non seulement acceptable mais même très souhaitable, et un repli identitaire qui pourrait aller jusqu’au rejet de l’autre. Trouver un équilibre entre la tradition et l’économie est un élément de cette interrogation, le fait de s’interroger sur le bienfondé d’une relation amoureuse avec quelqu’un ne faisant pas partie de la communauté en étant un autre. « Si tout le monde fait comme toi, on serait plus là » reproche Shaniss à Mikuan, lorsqu’elle apprend que le « chum » de cette dernièEn tout cas, on ne peut qu’être ému en apprenant qu’il n’y a pas de traduction du mot « liberté » dans la langue innu-aimun : il faut connaître la captivité pour se figurer ce que c’est que la liberté, une liberté qui ne peut se concevoir que par rapport à la notion de limite, hors, chez les innus, il n’y a jamais eu de limite !

De très bons comédiens, non professionnels pour la plupart

C’est parmi les habitants de la réserve innue d’Uashat que Myriam Verreault a recherché les interprètes de son film. Son but était que la vie et la personnalité de ces interprètes collent le plus possible aux personnages. Lors de l’audition de Sharon Fontaine-Ishpatao, deux heures durant lesquelles celle qui allait devenir l’interprète de Mikuan a parlé de sa vie, Myriam Verreault a eu l’impression de parler avec Mikuan. Lors des essais, Yamie Grégoire, par manque d’expérience, était loin d’être parfaite mais, pour la réalisatrice, elle était Shaniss dans l’âme et cela, seul, comptait. Cédrick Ambroise, l’interprète de Metshu Vollant, le frère de Mikuan, et Douglas Grégoire, celui de Greg, le compagnon de Shaniss, sont également des membres de la communauté innue, sans expérience cinématographique. Par contre, Étienne Galloy, l’interprète de Francis, le « chum » blanc de Mikuan, est un interprète professionnel et il vient de réaliser son premier long métrage. Enfin, s’ajoutant à son personnage, la voix off de Mikuan nourrit le film de ses réflexions, en forme de clin d’œil au livre de Naomi Fontaine.

Conclusion

Kuessipan n’est pas un film « sur » les innus, c’est un film « avec » des innus. Avec ce film, une nouvelle preuve est apportée qu’un film de fiction peut nous apprendre autant de choses sur un sujet, voire davantage, qu’un documentaire pur et dur. En nous intéressant à l’évolution de l’amitié entre deux jeunes filles fort différentes l’une de l’autre et en posant les bonnes questions quant aux limites entre ce qui ressort de la protection de la culture d’un peuple et un repli identitaire, Myriam Verreault a très bien réussi son premier long métrage de fiction.

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