Critique Express : Vous ne désirez que moi

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Vous ne désirez que moi

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Claire Simon
Scénario : Claire Simon, d’après « Je voudrais parler de Duras », entretiens de Yann Andréa avec Michèle Manceaux
Interprètes : Swann Arlaud, Emmanuelle Devos
Distribution : Dulac Distribution
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 9 février 2022

3.5/5

Synopsis : Compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andréa éprouve le besoin de parler : sa relation passionnelle avec l’écrivaine ne lui laisse plus aucune liberté, il doit mettre les mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il demande à une amie journaliste de l’interviewer pour y voir plus clair. Il va décrire, avec lucidité et sincérité, la complexité de son histoire, leur amour et les injonctions auxquelles il est soumis, celles que les femmes endurent depuis des millénaires…

Les confessions d’un homme en état de soumission

Claire Simon est une réalisatrice qui aime passer du documentaire à la fiction et vice-versa. Bien évidemment, il lui arrive de ne pas vraiment choisir et de réaliser des films qui, selon la façon dont on les regarde, peuvent être perçus comme étant des fictions ou comme étant des documentaires. Ce fut par exemple le cas en 2008, avec Les bureaux de Dieu, film relatant le quotidien d’un centre du planning familial avec des conseillères interprétées par des actrices connues, des femmes et des jeunes filles  venant consulter qui n’étaient pas des comédiennes professionnelles et des dialogues reproduisant au mot près  de véritables dialogues entendus lors d’entretiens se déroulant dans des centres du Planning Familial. La démarche suivie par Claire Simon dans Vous ne désirez que moi est assez similaire à celle suivie dans Les bureaux de Dieu : elle a choisi de porter à l’écran l’entretien que Yann Andréa, compagnon de Marguerite Duras, a eu sur 2 jours, en octobre 1982, à sa demande, avec la journaliste et femme de lettres Michèle Manceaux. Cet entretien que Michèle Manceaux a enregistré sur K7 aurait pu rester dans les oubliettes de l’histoire si Pascale Lemée, la sœur de Yann Lemée, rebaptisé Yann Andréa par Marguerite Duras, n’avait pas retrouvé ces K7 après la mort de Duras et d’Andréa. Depuis, cet entretien a donné naissance à un livre, « Je voudrais parler de Duras », paru chez Pauvert en 2016 et qui vient d’être réédité, et le voici donc au cinéma, interprété par un comédien et une comédienne. Au moment de cet entretien, Marguerite Duras a 68 ans, Yann 38 de moins, ils ont fait connaissance 7 ans auparavant et Yann est le compagnon de Marguerite depuis 2 ans. A l’époque de l’entretien, Yann Andréa n’a encore rien écrit mais, l’année précédente, il a joué dans 2 films de Duras, le moyen métrage L’homme Atlantique et le long métrage Agatha et les lectures illimitéesCet entretien, Yann Andréa l’a demandé à Michèle Manceaux, une amie et voisine du couple, parce que sa passion pour Duras le mine tout en le comblant, parce qu’il sait qu’il souffre d’une tendance suicidaire et parce qu’il espère que cet entretien pourra l’aider à réaliser un objectif : arriver à écrire.

Claire Simon a choisi de mettre ces entretiens en images sous forme de plans séquences. Au début, la caméra va de l’un à l’autre, avec des allers-retours entre  celui qui raconte à celle qui écoute, avant de s’attarder plus longuement sur les personnages, de façon presque frontale, le personnage de celle qui écoute devenant de plus en plus important. On devine ainsi que, pour Claire Simon, il est clair que, dans un tel entretien, la personne qui écoute, mais qui, parfois, relance l’entretien, est aussi importante que celle qui raconte. Ce que raconte Yann est très intime, allant jusqu’à évoquer la part sexuelle de sa relation avec Duras. Il faut savoir que Yann est devenu fan de Duras alors qu’il était homosexuel, un état que Duras ne supportait pas et qu’elle a choisi de déconstruire. « Je veux vous décréer pour vous créer », lui a-t-elle dit. De fait, un des intérêts majeurs du film est de nous montrer un homme dans une situation qui a été celle de nombreuses femmes depuis la nuit des temps : un homme dominé et rabaissé par une femme et qui l’admet, un homme en état de soumission et qui l’admet, un homme dirigé par une femme, dans les 2 films qu’il a tournés avec elle, bien sûr, mais surtout dans la vie de tous les jours. Si l’entretien représente le cœur du film, Claire Simon a su l’enrichir avec un certain nombre d’images d’archive et un certain nombre d’aquarelles érotiques dessinées par Judith Fraggy, permettant d’évoquer la vie sexuelle des deux amants sans avoir recours à de la pornographie cinématographique.

Marguerite Duras, on ne la voit jamais dans le film, mais Claire Simon nous fait sentir sa présence avec de tout petits détails. En effet, ces entretiens se déroulaient au premier étage de la maison de Neauphle-le-Château dans laquelle le couple Duras-Andréa habitait alors que, au même moment, Duras était au rez-de-chaussée. Pour donner vie à l’écran à Yann  Andréa et à Michèle Manceaux, Claire Simon a fait appel à Swann Arlaud et à Emmanuelle Devos. Un seul mot suffit pour qualifier leur prestation : prodigieux !

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