Critique Express : Par la fenêtre ou par la porte

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Par la fenêtre ou par la porte 

France : 2023
Titre original : –
Réalisation : Jean-Pierre Bloc
Interprètes : Didier Lombard, Ariane Ascaride
Distribution : VraiVrai Films
Durée : 1h29
Genre : Documentaire
Date de sortie : 8 novembre 2023

4/5

Synopsis : Septembre 2004, l’État privatise son fleuron historique France Télécom. Le cours de l’action devient primordial et le nouveau Pdg Didier Lombard décide de pousser 22 000 agent·es au départ « volontaire » : ce sera le plan NExT, le management piloté par les chiffres. Le 30 septembre 2022 se clôt en appel « l’Affaire des suicides de France Télécom- Orange », la première condamnation pénale de dirigeants du CAC 40 pour harcèlement moral institutionnel. Derrière ce coup de tonnerre juridique, ce film retrace l’histoire d’un long combat syndical, inventif et ouvert sur la société, raconté par celles et ceux qui ont mené la lutte.

« En 2007, je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », c’est par cette formule pleine d’humanité et d’empathie que Didier Lombard, Président Général de France Télécom, a annoncé aux cadres supérieurs de son entreprise, le 20 octobre 2006, son plan de bataille intitulé NExT destiné à satisfaire les marchés financiers, plan de bataille de type management piloté par les chiffres qui consistait à se débarrasser, d’une façon ou d’une autre, de 22 000 employé.e.s., soit un.e salarié.e sur 5. Il s’agit là d’un moment clé dans l’histoire de France Télécom, cette  société française de télécommunications créée en 1988 pour remplacer la Direction générale des communications afin de répondre à une directive européenne allant dans le sens de la dérégulation, de la mise en concurrence, de la privatisation. Une privatisation rampante qui va se faire petit à petit, malgré les dénégations des gouvernements successifs, qu’ils soient de « gauche » ou de droite. L’ouverture du capital de France Télécom, à hauteur de 20%, a commencé en octobre 1997, en période de cohabitation Jospin-Chirac, avec un discours de Strauss-Kahn, Ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, consistant à nier qu’on puisse parler de privatisation. Après tout, Lionel Jospin s’était engagé à ne pas privatiser France Télécom, il fallait donc continuer à manipuler la vérité. Un an plus tard, la part de l’Etat passait à 62 %, et, en septembre 2004, l’État français cédait une partie de ses actions et passait en dessous de la barre des 50 % : France Télécom devenait une entreprise privée, placée sous la coupe des marchés financiers. Et c’est là où on retombe sur le « cost killer » de choc, Didier Lombard et les 22 000 employés qu’il veut voir disparaître des organigrammes, que leur départ se fasse « par la fenêtre ou par la porte ».

Et les employé.e.s de France Télécom dans tout cela ? Eh bien, à partir de 2004 ils ont commencé à connaître la souffrance au travail avec des gens qui pleuraient sur leur lieu de travail. Toutefois, de 2004 à 2006, il ne s’agissait, si l’on peut dire, que de souffrance plus ou moins morale, engendrée, par exemple, par l’action d’un cadre supérieur qui se définissait lui-même comme étant un producteur d’amnésie, chargé de vider les cerveaux des employé.e.s des valeurs de service public dont ils étaient porteurs afin que d’autres valeurs, des valeurs commerciales, puissent venir les remplacer. A partir de 2006, la souffrance « douce » s’est transformée en souffrance « dure » : en effet, les employé.e.s de France Télécom avaient gardé leur statut de fonctionnaire malgré la privatisation ce qui rendait impossible tout licenciement économique. Il fallait donc faire partir 22 000 employé.e.s d’une façon ou d’une autre et la voie choisie a été la tactique de la terreur, consistant à créer un climat professionnel anxiogène, ce qui pouvait se traduire par la suppression de leur bureau pour certain.e.s employé.e.s sans les prévenir, par d’énormes surcharges de travail données à certain.e.s ou, au contraire, par une absence totale de travail pour d’autres, etc. En résumé, « casser les gens pour qu’ils se cassent ». Une politique qui va se traduire, à partir de 2007, par un grand nombre de suicides parmi les employé.e.s de France Télécom, ce que Didier Lombard, toujours dans l’empathie et l’humanité, n’hésitera pas à qualifier de « mode » du suicide. C’est tout cela que nous raconte ce magnifique documentaire qui commence d’ailleurs par les mots de deux des enfants de Rémy Louvradoux qui, en 2011, à l’âge de 56 ans, s’était immolé par le feu devant un local de France Télécom, des mots prononcés lors du procès en appel, en 2022, de 7 cadres et dirigeants dirigeants de France Télécom, accusés de harcèlement moral.

C’est tout cela et beaucoup d’autres choses, comme le mélange de satisfaction pour les protagonistes d’avoir, pour la première fois, fait condamner une entreprise du CAC 40 et ses dirigeants pour harcèlement moral, consacrant ainsi une nouvelle arme de droit, et d’amertume du fait que les poursuites pour « homicide involontaire » et « mise en danger de la vie d’autrui », susceptibles d’être sanctionnées plus lourdement, n’aient pas été retenues par la justice. Déjà à l’origine du procès intenté à France Télécom en ayant porté plainte contre l’entreprise dès décembre 2009 pour « mise en danger de la vie d’autrui, entraves aux instances représentatives du personnel et harcèlement moral institutionnel », Patrick Ackermann, délégué SUD-PTT, est également, avec un collectif de syndicalistes de France-Télécom Orange, à l’origine de Par la fenêtre ou par la porte. Tout d’abord parti sur le projet d’écrire un livre sur cette affaire, Patrick Ackermann s’est finalement orienté vers la réalisation d’un film. Il a fallu un grand élan collectif pour mener à bien ce projet, avec, en particulier, un financement participatif via la plateforme KissKissBankBank, avec 150 victimes allant même jusqu’à utiliser une partie de leur indemnisation pour que le film puisse se faire.  Ce très long combat syndical, d’autant plus difficile à mener que prenant place dans un univers où tout a été fait pour encourager l’individualisme dans le monde du travail et où les gouvernements successifs détricotent petit à petit des droits difficilement acquis, ce sont celles et ceux qui ont mené la lutte, employé.e.s de France Télécom, syndicalistes de France Télécom, avocat.e.s, inspecteurs du travail, qui le racontent avec l’aide de sociologues, de spécialistes du droit du travail, d’Ariane Ascaride qui a prêté sa voix, avec l’aide, aussi, de dessins réalisés par Marthe Pequignot et Ornella Guidara, etc., et même avec l’aide de Stéphane Richard qui, en 2011, remplaça Didier Lombard au poste de Président Général de France Télécom. Une histoire tragique et passionnante racontée au travers d’interviews menées aujourd’hui et d’images d’archive, le tout parfaitement monté par le réalisateur Jean-Pierre Bloc et Béatrice Wick.


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