Critique Express : Goodbye Julia

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Goodbye Julia 

Soudan : 2023
Titre original : Wadaean Julia
Réalisation : Mohamed Kordofani
Scénario : Mohamed Kordofani
Interprètes : Eiman Yousif, Siran Riak, Nazar Goma
Distribution : ARP Sélection
Durée : 2h00
Genre : Drame
Date de sortie : 8 novembre 2023

3.5/5

Synopsis : Une étrange amitié lie une riche soudanaise musulmane du Nord à une soudanaise chrétienne du Sud démunie après la mort de son mari. Que cache la sollicitude de l’une envers l’autre ?

2005, Karthoum, Soudan : la rue est embrasée par des émeutes liées aux antagonismes entre les populations majoritairement noires et chrétiennes du sud du pays et les populations principalement arabes et musulmanes du nord. Julia est une soudanaise du sud, une chrétienne, et elle vit encore plus chichement avec son fils Daniel depuis que son mari a disparu. Mona est une ancienne chanteuse et elle est mariée à Akram. Mariée ou, plutôt, remariée, car, se montrant jaloux d’un membre de l’orchestre dont Mona était la chanteuse, Akram avait divorcé de Mona et n’avait accepté de l’épouser à nouveau qu’à deux conditions : qu’elle promette de ne plus chanter et qu’elle promette de ne plus mentir. Mona et Akram sont des soudanais du nord, ils sont musulmans et ils font partie de la bourgeoisie du pays. Lorsque Mona engage Julia comme domestique et se montre d’une grande aménité avec elle, nous, spectateurs, savons très bien quelle est sa motivation : essayer de se défaire de la culpabilité qui la ronge du fait du drame qui a suivi un accident qu’elle avait causé, un drame auquel nous avons assisté, un drame touchant Julia et dont elle se sent responsable. Par contre, Julia, elle, n’a pas connaissance de ce drame et, encore moins, de l’implication de Mona, tout au moins au tout début de leur relation, une relation qui, malgré la différence de statut social et de religion, va se transformer progressivement en véritable amitié : Julia ne voit que gentillesse et générosité de la part de Mona. Toutes les deux ont des rêves que leurs situations personnelles rendent difficiles à réaliser mais que leur amitié peut, peut-être, faciliter : Mona rêve de redevenir chanteuse malgré le diktat imposé par son mari, Julia rêve de reprendre des études malgré les difficultés liées à ses devoirs de mère élevant seule son enfant et à ses faibles ressources financières. Pendant ce temps, le pays glisse petit à petit vers le référendum d’autodétermination de janvier 2011 qui verra 98.83 % des votants s’exprimer en faveur de la sécession et le Soudan du Sud faire officiellement sécession de la République du Soudan le 9 juillet 2011.

C’est cette relation entre deux femmes que tout, a priori, séparait que Mohamed Korfani a choisi de traiter pour exposer le drame, ou, plutôt, les drames du Soudan qui ont fini par aboutir à la sécession du Soudan du Sud sans, pour autant, malheureusement, arriver à pacifier cette région du monde : ce clivage entre la population du nord et la population du sud, des populations qui n’ont jamais fait beaucoup d’effort pour arriver à se comprendre et à exister paisiblement l’une à côté de l’autre, cette domination exercée par la population du nord sur celle du sud, cette domination exercée par les hommes sur les femmes. S’affichant comme étant avant tout un partisan de la réconciliation et de l’unité de son pays, on sent que Mohamed Korfani ressent une forme de culpabilité à se trouver doublement, à son corps défendant, dans le camp des dominateurs : à la fois homme et soudanais du nord. A la vision de ce film ouvertement féministe, on sent qu’il cherche à nous dire qu’un monde dans lequel les femmes auraient toute latitude pour faire triompher leur point de vue serait un monde beaucoup plus serein, beaucoup plus vivable.

Jusqu’en 2020, Mohamed Korfani travaillait dans le royaume de Bahreïn comme ingénieur en aéronautique chez Gulf Airlines et réaliser des court-métrages de cinéma représentait pour lui une forme de passe-temps. Jusqu’au jour où il s’est mis en tête de réaliser un long-métrage traitant de la séparation du Soudan du Sud avec le Soudan du Nord, un film qui appartienne suffisamment au cinéma d’auteur pour pouvoir percer à l’international grâce à sa présence dans des festivals tout en appartenant suffisamment au cinéma populaire pour trouver un public dans son propre pays, un public nourri aux films de Bollywood et d’Hollywood et qui attend du cinéma « une intrigue forte et un rythme attirant ». Pour réaliser ce film,  Mohamed Korfani a mis fin à sa carrière d’ingénieur et il a créé à Khartoum, avec ses propres fonds, la société Klozium Studios. Dans l’équipe de production de Goodbye Julia, on retrouve son compatriote Amjad Abu Alala, le réalisateur de l’excellent Tu mourras à 20 ans, sorti en France en février 2020

Le cinéma africain souffre parfois d’un manque de justesse de la part des comédiens et des comédiennes. Ce n’est absolument pas le cas avec Goodbye Julia Eiman Yousif, l’interprète de Mona, est une actrice de théâtre et chanteuse soudanaise. Mannequin réputée, Siran Riak, originaire du Sud-Soudan, montre de très belles qualités de comédienne dans son interprétation de Julia. Nazar Goma et Ger Duany complètent cette solide distribution. Quant à Pierre de Villiers, le Directeur de la photographie sud-africain, il passe avec bonheur de la pénombre des intérieurs à l’intense luminosité qui règne à l’extérieur. Présent à Cannes 2023 dans la sélection Un Certain Regard, Goodbye Julia s’est vu décerner le Prix de la Liberté. 

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