Critique Express : Le Balai Libéré

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Le Balai Libéré 

France : 2022
Titre original : –
Réalisation : Coline Grando
Ecriture : Coline Grando
Distribution : Singularis Films
Durée : 1h28
Genre : Documentaire
Date de sortie : 13 décembre 2023

4/5

Synopsis : Dans les années 70, les femmes de ménage de l’Université Catholique de Louvain mettent leur patron à la porte et créent leur coopérative de nettoyage, Le Balai Libéré. 50 ans plus tard, le personnel de nettoyage de l’UCLouvain rencontre les travailleuses d’hier : travailler sans patron, est-ce encore une option ?


Autogestion : voilà un mot qu’on entendait énormément dans le monde politique et dans le monde syndical il y a une cinquantaine d’années et qui est tombé dans les oubliettes depuis pas mal de temps. Faisons appel au Larousse pour rappeler la définition de ce mot : « Gestion d’une entreprise par l’ensemble du personnel, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants élus et révocables par eux-mêmes ». Lorsque la réalisatrice de documentaires Coline Grando a entendu parler du Balai Libéré, elle a très vite senti qu’il y avait là matière à un documentaire de grand intérêt. Son film, elle le commence par un détournement de « Merci patron », la chanson des Charlots, sortie en 1971 : « Merci patron, adieu patron, rentrez vite chez vous à la maison car nous vous licencions », telles sont les nouvelles paroles qu’on entend.

Ce licenciement du patron, c’est très exactement ce qui s’est passé en 1975 à Louvain-la-Neuve, en Belgique, où les nettoyeuses de l’Université Catholique de Louvain-la-Neuve (UCL) se sont d’abord mises en grève avant de procéder, purement et simplement, au licenciement de leur patron. Une image d’archive nous montre une ouvrière lisant face à ses collègues la lettre de licenciement adressée à ce dernier : « Les ouvrières de feu votre firme ont constaté ce qui suit : tout d’abord, nous constatons après une étude approfondie de notre travail que nous pouvons parfaitement l’organiser entre nous. Nous en concluons donc que vous êtes absolument inutile et parasitaire. … (En fait) votre rôle principal a été d’acheter notre force de travail à un prix négligeable pour la vendre à prix d’or à l’UCL. » Avec l’aide de la CSC, leur syndicat, elles ont alors créé la coopérative Le Balai Libéré et sont devenues propriétaires de leur entreprise. Pendant 14 ans d’autogestion, le contrat signé alors avec l’UCL a été renouvelé. Un contrat qui a été perdu lorsque l’UCL a, pour la première fois, lancé un appel d’offre de marché public. Depuis, les appels d’offre se sont succédés, avec une dégradation progressive des conditions de travail pour le personnel. Un personnel qui ne change guère, chaque nouveau sous-traitant embauchant le plus souvent le personnel du sous-traitant précédent. Un personnel qui se sent davantage attaché à l’UCL qu’à son employeur.

 


Plutôt que de se contenter de raconter cette expérience d’autogestion à partir d’images d’archives et d’interviews de travailleuses et de travailleurs l’ayant vécue, Coline Grando a fait un choix beaucoup plus ambitieux qui fait de ce documentaire un modèle du genre : raconter cette histoire, bien sûr, mais aussi, mais surtout, réunir devant sa caméra des travailleurs et des travailleuses du Balai Libéré avec des travailleurs et des travailleuses employé(e)s par le sous-traitant actuellement responsable du nettoyage des 350 000 m2 de l’UCL afin qu’elles et ils puissent comparer leurs expériences respectives et s’interroger sur la faisabilité d’un nouveau Balai Libéré dans le monde d’aujourd’hui. Un dialogue absolument passionnant ! Concernant le dernier point, la possibilité, aujourd’hui, de pouvoir lancer aujourd’hui, une expérience équivalente au Balai Libéré, la première impression ressentie à la suite de la rencontre organisée par Coline Grando ne peut qu’être emprunte de beaucoup de pessimisme : les syndicats n’ont plus la même force, les travailleurs et les travailleuses rechignent de plus en plus à se battre aux côtés des délégués syndicaux, on est dans un monde où règnent l’individualisme et la peur de perdre son travail et donc ses revenus alors qu’on a des dettes, une ouvrière n’arrive plus à se rappeler du mot solidarité, un mot qui, semble-t-il, sent la ringardise à plein nez, et, en plus, de nouvelles lois ont mis des bâtons dans les roues d’éventuels futurs Balais Libérés, les empêchant d’avoir la moindre chance de remporter des appels d’offre.

Ce à quoi, Raymond Coumont, le dirigeant syndical qui, en 1975, avait rédigé la lettre de licenciement évoquée ci-dessus (relire tout haut cette lettre va entraîner chez lui une bonne pinte de rire !)  réplique que les conditions d’une victoire n’étaient pas mieux remplies à l’époque, qu’il faut réapprendre à être et à combattre ensemble et que, face à la violence patronale, il ne faut pas hésiter, côté personnel, à faire preuve d’une certaine violence. On pourra ajouter, sujet qui n’est que trop peu abordé dans le film et cela représente peut-être son seul défaut, que si, dans le monde actuel, le mot autogestion est plus ou moins tombé dans les oubliettes, l’expérience des coopératives  a pris le relai pour démontrer la possibilité pour une entreprise de bien fonctionner dans le cadre d’une propriété collective et d’un pouvoir exercé démocratiquement. On conclura par une appréciation purement cinématographique : à côté des images d’archive au format 4/3, on ne peut que se féliciter de voir un tel documentaire s’offrir le luxe d’une magnifique image en format Scope. Elle est l’œuvre de Hélène Motteau.

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