Critique : Chien blanc

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Chien blanc

Canada : 2022
Titre original : –
Réalisation : Anaïs Barbeau-Lavalette
Scénario : Anaïs Barbeau-Lavalette, Valérie Beaugrand-Champagne d’après l’œuvre de Romain Gary
Interprètes : Denis Ménochet, Kacey Rohl, K.C. Collins
Distribution : Destiny Films
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 22 mai 2024

3.5/5

Synopsis : 1968 – Etats-Unis. Martin Luther King est assassiné et les haines raciales mettent le pays à feu et à sang. Romain Gary et sa femme l’actrice Jean Seberg, qui vivent à Los Angeles, recueillent un chien égaré, dressé exclusivement pour attaquer les Noirs : un chien blanc. L’écrivain, amoureux des animaux, refuse de le faire euthanasier, au risque de mettre en péril sa relation avec Jean, militante pour les droits civiques et très active au sein des Black Panthers.

Une adaptation réussie

Que s’est-il passé en 1968 ? En France, on pense surtout aux évènements qui se sont déroulés au printemps, les fameux évènements de mai 1968. Aux Etats-Unis, il y a eu aussi des mouvements étudiants, mais plus tard, à la fin du mois d’août. Dans ce pays, ce sont d’autres évènements qui ont plus particulièrement retenu l’attention : au Viêt Nam, l’année a commencé avec l’offensive du Têt et ce fut l’année qui fut la plus meurtrière pour l’armée américaine ; le 5 juin, Robert Kennedy a été assassiné ; et, puis, quelques semaines auparavant, le 4 avril, le pasteur Martin Luther King avait été assassiné à Memphis, assassinat qui a entraîné de nombreuses émeutes un peu partout dans le pays. A l’époque, Romain Gary résidait à Los Angeles avec son épouse Jean Seberg et leur fils Diego et, s’il fut bien Consul de France dans cette ville durant 4 ans, il ne l’était plus, contrairement à ce qui est annoncé au début du film. Par contre, l’écrivain et la comédienne se sentaient concerné(e)s par les émeutes raciales que vivait le pays, tout en ayant une appréciation différente quant à ce qu’il et elle pouvaient apporter à ces mouvements. Le parcours de Jean Seberg était celui d’une activiste, elle s’impliquait en participant à des manifestations de soutien à la cause des afro-américains et affichait son accord avec l’idéologie des Black Panthers. Romain Gary était davantage dans une approche intellectuelle du phénomène, une approche avant tout humaniste même si il lui arrivait également d’agir, par exemple en facilitant la libération sous caution d’un jeune militant noir.

L’adoption d’un chien berger allemand arrivé tout mouillé devant leur porte un jour de pluie va mettre en lumière ce qui les sépare face au phénomène du racisme chez une partie de la population blanche du pays : très vite, il va s’avérer que ce chien, très sociable avec les blancs qu’il est amené à croiser, se montre particulièrement agressif avec les noirs. En fait, il s’agit de ce que les noirs appellent un « white dog », un chien blanc. Dans le sud, à l’époque de l’esclavage, de tels chiens étaient dressés pour attaquer les esclaves en fuite. A la fin des années 60 (et peut-être encore aujourd’hui),  c’est pour s’attaquer aux manifestants noirs qu’on les dressait. Face à ce chiens dressé pour se comporter de façon raciste, Jean et Romain ont une opinion différente quant à ce qu’il faut en faire : pour Jean, le chien est irrécupérable, « il faut le tuer » ; pour Romain, personne n’est irrécupérable et en arriver à tuer le chien serait la preuve que la situation est sans espoir. Il est persuadé qu’en laissant le chien aux mains de Keys, un éleveur de chien afro-américain, il pourra être « reprogrammé ».

C’est l’année suivante, en 1969, que Romain Gary a écrit « Chien blanc », publié en 1970 chez Gallimard, un roman très auto-biographique inspiré par l’histoire de ce chien et ses répercussions sur son couple avec Jean Seberg. Ce roman avait déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique en 1982, une adaptation très libre réalisée par Samuel Fuller et ayant pour titre original White dog, le titre français étant Dressé pour tuer. Avec Chien blanc, c’est une adaptation plus fidèle au roman que la canadienne Anaïs Barbeau-Lavalette a réalisée.  Adolescente, elle avait lu le livre de Romain Gary, elle venait de le relire et elle a décidé d’en faire un film résolument moderne, en phase avec les évènements d’aujourd’hui et le mouvement Black Lives Matter. Alors que dans le film de Samuel Fuller l’accent était presque uniquement mis sur la question du racisme, maladie mentale incurable ou comportement acquis pouvant être soigné, Anaïs Barbeau-Lavalette a tenu à mettre tout autant en valeur un autre volet important : jusqu’où peut on aller quand on s’investit dans une cause qui ne vous concerne pas directement ? Comme le fait remarquer Romain Gary à son épouse, en tant que vedette médiatique toute l’attention est sur elle lors de ses participations à des manifestations. De façon encore plus difficile à entendre pour la comédienne, ce sera Nicole, une militante noire, qui va lui demander de partir d’un enterrement en lui disant « il ne nous reste pas grand chose, Jean, laisse nous notre lutte ». Toutefois, Romain Gary n’est guère mieux loti, s’entendant dire par Keys « Les intellectuels, vous êtes tous rongés par une chose, la culpabilité ». On sent que la réalisatrice ne prend pas vraiment partie et, au fond, c’est beaucoup mieux ainsi. De toute façon, le sujet est aussi vaste qu’important et la réponse à apporter est sans doute variable selon les époques et les causes concernées.

Dans sa réalisation, Anaïs Barbeau-Lavalette montre son goût pour les visages qu’elle aime montrer dans des plans rapprochés qu’on dirait saisis à l’improviste. De temps en temps, le film intègre des images d’archive de l’époque ainsi que des scènes n’ayant qu’un rapport indirect avec l’histoire comme celle où l’on voit une jeune noire poursuivie par deux jeunes blancs de son âge. Dans sa recherche de modernité qu’elle assume totalement, la réalisatrice a choisi d’utiliser des versions « modernes » de classiques de la chanson liés aux thèmes du film. C’est ainsi qu’on entend bien « Strange fruit », cette chanson si poignante qui évoque ces « fruits étranges » qu’étaient les corps de noirs pendus à des arbres lors de lynchages dans le sud des Etats-Unis, une chanson écrite par Abel Meeropol et popularisée par Billie Holiday, mais la version qu’on entend n’est pas celle de Billie Holiday, ni celle de Nina Simone, mais celle, plus récente, de la chanteuse canadienne Dominique Fils-Aimé. De même, voulant évoquer un autre engagement qui s’appelle l’amour, Anaïs Barbeau-Lavalette a choisi la chanson « Wild is the wind », chanson interprétée en 1957 par Johnny Mathis dans le film de George Cukor au titre identique (Le titre français étant Car sauvage est le vent). Plutôt que de faire appel à la version de Johnny Mathis, ou, encore une fois, à celle de Nina Simone, elle a choisi la version plus récente de Cat Power. On notera au passage que, par le plus grand des hasards, un autre film ayant pour titre Wild is the wind est sorti en 2022, un film sud-africain ayant pour thème … la ségrégation raciale ! Dans le rôle de Romain Gary, Denis Ménochet est (comme d’habitude !) absolument impeccable, à la fois physiquement imposant et très émouvant dans sa crainte d’apparaître comme étant un imposteur intellectuel. La comédienne canadienne Kacey Rohl fait très bonne figure dans un rôle très difficile consistant à redonner vie à Jean Seberg, une grande comédienne disparue beaucoup trop jeune. K.C. Collins, l’excellent comédien qui interprète le rôle de Keys, est également canadien. Quant à la chanson qu’on entend sur le générique de fin, c’est le fruit d’un travail à plusieurs mains : à l’origine, « Seuls et vaincus » est un poème de Christiane Taubira dans lequel l’ancienne Garde des Sceaux, pleine d’espoir dans les générations futures, fustige tous les racistes d’aujourd’hui en leur annonçant qu’ils finiront « seuls et vaincus ». Ce poème a été mis en musique par le rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, par le musicien et compositeur Guillaume Poncelet et par la chanteuse franco-canadienne d’origine haïtienne Mélissa Laveaux, qui l’a également adapté en anglais. C’est donc la version slamée en français par Gaël Faye et chantée en anglais par Mélissa Laveaux qu’on entend à la fin du film.

Crédits photos : Vivien Gaumand

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