Critique : Autonomes

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Autonomes

France : 2019
Titre original : –
Réalisation : François Bégaudeau
Scénario : François Bégaudeau
Interprètes : Alexandre Constant
Distribution : Urban Distribution
Durée : 1h50
Genre : Documentaire
Date de sortie : 30 septembre 2020

3.5/5

En 2008, Laurent Cantet s’était vu décerner la Palme d’Or du Festival de Cannes avec Entre les murs, adaptation cinématographique du livre homonyme écrit par François Bégaudeau et dans lequel l’auteur du livre tenait le rôle principal. Professeur, écrivain, scénariste, critique de cinéma, chanteur de rock, acteur, François Bégaudeau est également réalisateur. 3 ans après N’importe qui, un premier documentaire sur le concept de la démocratie, tourné dans la Mayenne, il est retourné dans cette région pour nous mettre en relation avec des gens qui, pour une raison ou pour une autre, ont choisi de venir s’y installer et d’y vivre une vie ne respectant pas le consensus établi.

Synopsis : Ici et là, hors des radars de la représentation majoritaire, des gens, parfois seuls, parfois associés, cultivent des modes de vie, de production, de pensée, de croyance, de soin, en rupture au moins relative avec les manières certifiées conformes. Autonomes se tient dans la compagnie de quelques-uns de ceux-là, en Mayenne et alentours.

Des individus qui ont fait un choix

Parmi les définitions que le Larousse donne du mot « autonome », on trouve celle-ci : « Se dit de quelqu’un qui a une certaine indépendance, qui est capable d’agir sans avoir recours à autrui ». Faut-il donc voir dans un individu vivant de façon autonome un parangon d’individualisme ? Pas si simple, en tout cas dans l’esprit de François Bégaudeau ! En effet, pour lui, l’autonomie des personnes qu’il nous présente dans son film, l’autonomie telle qu’il la conçoit n’est pas le point de départ, c’est le but à atteindre et l’indépendance des protagonistes du film consiste à être en capacité de choisir leurs dépendances. En plus, on remarquera que, dans le titre du film, le mot autonomes est au pluriel, ce qui laisse la porte ouverte à des groupes de personnes qui ont choisi de rechercher de façon collective une forme d’autonomie par rapport au reste de la société.

C’est en déambulant dans le département de la Mayenne que François Bégaudeau s’est aperçu qu’une grande partie de ses nouveaux habitants étaient dans la tranche d’âge 20/40 ans et que, par obligation ou par choix, ils arrivaient d’une ville, proche ou lointaine. L’obligation ? Le prix des loyers dans les villes aboutissant à l’obligation économique de chercher autre chose. Le choix ? Fuir la pollution des zones urbaines et/ou décider de sortir de la boucle travail-consommation-travail. Tout en étant intéressé par celles et ceux dont le parcours était subi, le réalisateur a choisi de porter son regard sur celles et ceux dont le parcours avait été le résultat d’un choix, persuadé qu’il trouverait là plus d’esprit militant, plus de réflexions sur les raisons qui peuvent pousser un individu à s’écarter du moule de la conformité.

Des expériences de vie alternatives

Parmi les expériences de vie auxquelles nous sommes conviés, le film allant de l’une à l’autre en passant chaque fois par la case de l’autonomie la plus radicale incarnée par le personnage de Camille, interprété par Alexandre Constant, il y en a quatre qui, peut-être plus que les autres, condensent le propos de François Bégaudeau. Tout d’abord, un couple avec enfants qui élève des agneaux destinés à la boucherie et cultive des légumes. L’autonomie électrique est en projet, le troc avec des voisins est de rigueur, des œufs contre des légumes, de la viande de veau contre de la viande d’agneau et même, le plus souvent possible, une forme d’échange d’enfants pour leur permettre d’avoir une éducation plus épanouie, plus ouverte sur les autres. Quant au désherbage à la main et au filage, ce sont des moments qui, permettant la méditation, sont loin d’être perdus. Un peu différente est l’expérience d’un autre couple qui a décidé de se diriger vers une « autonomie » la plus large possible, alors que, dans leur vie antérieure, il « avait tout ce qu’il fallait, une maison à crédit, deux enfants, un chien, une voiture chacun » au prix d’un remboursement de 700 Euros de crédit par mois et de 300 Euros de dépense en énergie et en eau. Un choix qui s’est traduit par la construction de leur nouvelle maison, l’autonomie énergétique, une quasi autonomie concernant la production de légumes, l’utilisation d’huile de friture pour la voiture : moins de besoins, beaucoup moins de dépenses, plus vraiment besoin de travailler, plus de temps passé en famille, avec les enfants. Des enfants déscolarisés, ayant, avec d’autres enfants de la région partageant ce type de vie, « une ouverture choisie sur le monde ». La troisième expérience nous présente une ancienne analyste financière qui a quitté sa banque en 2011 pour, dans un premier temps, rejoindre la mouvance des indignés, puis ouvrir en 2013 un café littéraire sans alcool, et, en 2015, finir par ouvrir un café solidaire dans un village, avec magasin gratuit, troc de livres, concerts à prix libre. Pas de démarche individualiste ici : une dizaine de personnes sont très impliquées dans la bonne marche du lieu. Quant à la quatrième expérience, la plus collective des quatre, il s’agit d’une sorte d’éco-village réunissant des gens s’attachant à rechercher ensemble une forme d’autonomie, chacun mettant sa compétence au service du groupe, qui la boulangerie, qui la culture maraichère, qui la connaissance du langage permettant d’être crédible auprès des institutions.

A côté de ces quatre expériences de vie alternatives qui ont le grand mérite de nous inciter à réfléchir sur notre propre existence, Autonomes s’intéresse aussi au profil tout aussi atypique des moniales du Monastère orthodoxe de Bois Salair, à la sortie du village de Fontaine-Daniel, qui, dans leur recherche d’une activité leur permettant l’autonomie financière tout en laissant la possibilité de prier, se sont tournées vers la fabrication de cierges liturgiques et de bougies décoratives en cire d’abeille, le maraichage et la confection de savons, d’huiles de massage, de baumes, de sirops, et de tisanes à partir d’un petit « jardin des simples » qu’elles ont aménagé. « Sur un ordinateur, on n’arrive pas à prier », glissent elles ! Autres « personnalités » qui ne rentrent pas, ou, plutôt, qui ne rentrent plus dans les schémas classiques et que nous montre le film : les sourciers, les guérisseurs, les rebouteux, les magnétiseurs, toujours présents dans les campagnes de la Mayenne, que ce soit pour « s’occuper » des humains ou des animaux.

Un réservoir de réflexions

Dans Autonomes, François Bégaudeau a voulu montrer des expériences de vie ne rentrant pas dans le moule de la conformité, des expériences qu’il a choisies, qu’il a filmées et pour lesquelles il a fait des choix concernant ce qu’il filmait et, ensuite, le montage. Par exemple, lorsqu’il s’agit d’une famille, il interroge ses membres de façon individuelle, lorsqu’il s’agit d’un collectif, il incorpore dans la transmission d’un repas pris en commun des images de travaux réalisés par des membres du collectif. C’est sa façon de montrer l’interdépendance qui continue d’exister dans la quête d’autonomie. Par contre, il n’apporte aucun commentaire, aucun jugement sur le positionnement de ces expériences par rapport au système néo-libéral dans lequel nous vivons. C’est donc à nous de réfléchir sur les différences ou sur les points communs qui existent entre les expériences montrées et ce que met en avant le système néo-libéral, un système dans lequel règne, là aussi, l’idée que chacun est un être autonome, un être qui pense et qui est libre de ses choix, un système qui, très souvent, cherche à pousser à l’individualisme, au chacun pour soi et même à monter les individus les uns contre les autres. Bref, Autonomes est un un film qui se regarde avec plaisir et qui représente un réservoir de réflexions !

Conclusion

Autonomes est un film qui, en montrant des expériences de vie alternatives, permet aux spectateurs de réfléchir non seulement sur leur propre existence mais aussi sur le type d’organisation de la société qui leur parait la plus souhaitable : quelles sont les dépendances qu’à titre personnel je subis sans les avoir recherchées, quelles sont celles dont je me félicite, quelle différence fais je entre travail non rémunéré et travail rémunéré, etc. ? Ai je une préférence pour un système économique privilégiant les échanges directs ou pour celui où les échanges de services et de produits se font par l’intermédiaire de la monnaie ? La société dans laquelle nous vivons donne-t-elle trop d’importance à l’individualisme ou au collectif ? Même si on peut s’interroger sur la pertinence d’inclure dans le film les scènes consacrées aux sourciers, guérisseurs et autres magnétiseurs, Autonomes a suffisamment de richesse par ailleurs pour occuper une place importante parmi les films « politiques au sens large » du moment, que ce soit des fictions ou des documentaires.

https://www.youtube.com/watch?v=wgx8a1UzF4g

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