Dites-lui que je l’aime

France, 2025
Titre original : –
Réalisatrice : Romane Bohringer
Scénario : Romane Bohringer et Gabor Rassov, d’après le livre de Clémentine Autain
Actrices : Romane Bohringer, Clémentine Autain, Eva Yelmani et Josiane Stoléru
Distributeur : ARP Sélection
Genre : Docu-fiction
Durée : 1h32
Date de sortie : 3 décembre 2025
2,5/5
Y a-t-il quelque chose de plus précieux, fragile et intime que la relation que nous entretenons, chacun et chacune d’entre nous, avec notre mère ? Elle nous a élevés et, dans le meilleur des cas, elle a su garder vivant ce lien affectif unique qu’elle entretient avec nous pendant une bonne partie de notre propre existence. La perdre prématurément laisse forcément un trou béant, un besoin à combler qui ne le sera en fin de compte jamais. C’est de cette absence que parle Dites-lui que je l’aime. Ou bien, plus précisément, son objectif artistique tourne autour de ce rapport hautement personnel que la réalisatrice Romane Bohringer n’a jamais réellement su dompter. Elle qui avait perdu la sienne, alors qu’elle avait à peine atteint l’adolescence. Un sort vécu comme le reflet dans un miroir par la politicienne Clémentine Autain, fille de l’actrice à la trajectoire icarienne Dominique Laffin.
Tandis que le point de départ de cette docu-fiction inclassable est le livre de la députée de la 11ème circonscription de la Seine-Saint-Denis, du même titre que le film de Claude Miller de 1977 avec sa mère, elle ne tarde pas à se perdre assez irrémédiablement en cours de route. L’admission de Bohringer en début de film qu’elle ne sait pas trop comment adapter ce récit intime dans lequel elle s’est tant reconnue est certes tout à son honneur. Et les essais qu’elle fait passer aux comédiennes Céline Sallette, Julie Depardieu et Elsa Zylberstein pour interpréter le rôle d’Autain, dans la lignée plus ou moins avouée et directe de Marion Cotillard dans Little Girl Blue de Mona Achache, sont relativement intéressants.
Mais très tôt, il s’avère qu’en fait, les véritables vedettes de son premier film tourné seule sont elle-même et sa mère. En principe, rien de mal à cela. Sauf que le point de vue de la réalisatrice ne transcende à aucun moment sa mise en scène formellement surchargée pour concevoir ne serait-ce qu’un seul moment désarmant par sa sincérité cinématographique.

Synopsis : Quand l’actrice et réalisatrice Romane Bohringer a lu le livre « Dites-lui que je l’aime » de Clémentine Autain, paru en mars 2019 aux Éditions Grasset, elle a été bouleversée par la proximité de l’histoire de la femme politique avec la sienne. Toutes deux ont perdu leur mère à peu près au même jeune âge dans des circonstances tragiques. Toutes deux ont souffert à la fois de cette perte et du style de vie précaire, voire irresponsable de leur génitrice. La députée accepte de collaborer avec la réalisatrice. Mais comment faire pour raconter au cinéma ce parcours personnel fait de blessures et d’occasions manquées ?

Je ne sais pas
Est-ce un règlement de comptes sur le tard avec une figure maternelle qui a cruellement fait défaut à la construction personnelle à la fois de Bohringer et d’Autain ? Ou bien, s’agit-il d’une enquête parmi des origines familiales finalement plus accidentées que prévu, truffées d’enfants illégitimes et d’adoptions plus ou moins heureuses ? A moins que Dites-lui que je l’aime ne doive être compris en tant que déclaration d’amour filial envers des femmes qui n’ont pas su réconcilier leurs responsabilités maternelles avec leurs démons personnels ? Un manifeste filmique de solidarité féminine à travers les générations, en somme. Toutes ces options auraient été recevables et même un mélange entre elles, à la narration astucieuse. Hélas, le ton du film ne nous paraît jamais tout à fait juste, puisqu’il est en permanence tributaire des dispositifs alambiqués, imaginés par la réalisatrice.
Le vrai et le faux : la mise en scène ne tient pas compte de ce qu’elle filme en ces termes-là. A la limite, pendant une heure et demie, tout ou presque est le fruit d’une mise en abîme artificielle. Rien n’échappe ainsi au filtre déformant du regard de Romane Bohringer, qui transforme son film petit à petit en œuvre narcissique. Au lieu de le laisser respirer le vent de liberté et de désordre, à travers lequel les deux mères avaient brûlé la chandelle par les deux bouts.
Cette façon de tout ramener à soi, de se mettre en scène soi-même au détriment des imprévus qui sont souvent la force vive du genre documentaire, elle avait pu fonctionner brillamment chez une observatrice espiègle du monde qui l’entoure de la trempe d’Agnès Varda. Ici, elle paraît par contre laborieuse et forcée, proche du nombrilisme artistique qui rend pour nous le travail de quelqu’un comme Barbra Streisand si problématique. Fin de la digression !

Et moi ! Émois ! Même pas !
Or, Romane Bohringer s’autorise, elle aussi, quelques écarts pour le moins discutables. Alors que le plus absurde d’entre eux est réservé aux spectateurs qui ne quitteront pas la salle dès le début du générique de fin, elle s’évertue à emprunter maintes détours qui ne mènent finalement nulle part. Cela vaut autant pour le traitement du sujet épineux de la dépendance – aux drogues dures pour sa mère, à l’alcool pour celle d’Autain – que pour la reconstitution de souvenirs d’enfance qui demeurent ennuyeusement flous.
La multiplication des points de vue n’y apporte aucun enrichissement des portraits respectifs de ces mères écorchées vives. Bien au contraire, puisque le fait de croiser la réalisatrice partout, chez sa psy, en train de fouiller dans ses armoires ou de faire le petit-déjeuner à son fils, nous ramène encore et toujours à cette posture de la narratrice qui se méprend sur la place qu’elle aurait dû prendre au sein de son récit choral.
En gros, il n’y en a que pour Romane Bohringer dans Dites-lui que je l’aime. Alors que l’on peut supposer que ce retour vers soi se fait, aussi, parce que le sujet de son documentaire intime se dérobe avec obstination à toute tentative de compréhension et de captation par l’image, il ne laisse pas moins bon nombre de voix complémentaires sur le bord de la route filmique. A commencer par le père de la réalisatrice, l’acteur Richard Bohringer, que l’on voit tout juste réciter un extrait de ses mémoires et quitter le navire, de dos à une vitesse qui correspond à son âge, pendant qu’il est encore temps.
Il a sans doute bien fait de laisser sa fille se dépatouiller seule avec cette tare psychologique, profondément personnelle, qui aurait eu davantage sa place dans un livre que sur un écran de cinéma. Un constat sur lequel Clémentine Autain se sera montrée infiniment plus lucide que Romane Bohringer !

Conclusion
Notre position face à Dites-lui que je l’aime, découvert à l’Arras Film Festival mais doté du don de l’ubiquité en cette saison de festivals d’automne, est heureusement moins inconfortable que celle de sa réalisatrice à l’égard du spectre insaisissable de sa mère. Alors que tous les moyens, filmiques ou littéraires, nous paraissent bons pour exorciser les démons d’une enfance malheureuse ou en tout cas tronquée de cette complicité si vitale entre une mère et ses enfants, les choix esthétiques et narratifs de Romane Bohringer ne nous ont pas du tout convaincus. Dommage donc pour cette occasion ratée de mettre en perspective le vécu intime de chacun par le biais d’une quête personnelle, cherchant malgré tout à trouver quelques rayons de soleil dans un monde de ténèbres, quitte à forcer abusivement le trait !












