Elena

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Elena, affiche du filmElena

Russe : 2011
Titre original : Elena
Réalisateur : Andrei Zviaguintsev
Scénario : Oleg Negin
Acteurs : Andrei Smirnov, Nadezhda Markina
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie : 7 mars 2012

Globale : [rating:4.5][five-star-rating]

Après Le Retour et Le Bannissement, Andrei Zviaguintsev continue à creuser son sillon, exutoire d’une androphobie flagrante tout en réglant ses comptes avec une Russie qui n’en finit pas de crever, broyée par un machisme d’un autre temps. Un film foudroyant, à l’interprétation magistrale et à la mise en scène tirée au cordeau.

Synopsis: Elena vit avec son mari Vladimir, plus âgé qu’elle, dans une belle demeure. Ils ont chacun un enfant d’un premier lit. Le fils d’Elena, chômeur, est père de deux enfants et la fille de Vladimir mène une vie de bohème loin de son géniteur. Elena tente de soudoyer son mari pour que son fils vive dans de meilleures conditions. Face à son refus, elle va employer tous les moyens pour sauver sa famille.

Chronique d’un empire déglingué

Après deux premiers longs métrages où il s’en prenait avec véhémence à l’image du père, le cinéaste russe Andrei Zviaguintsev oblique légèrement vers une forme même plus larvée d’androphobie totale. Même si présent, peu luxuriant et réduit à sa seule fonction reproductrice sans souci des conséquences, le père n’est pas ici au cœur du propos, élargie à l’homme en général et toute sa nuisible phallocratie.

Absentes dans Le Retour, les femmes n’ont ici pas pour autant le plus beau rôle. Certes, l’image de la mère est un peu plus reluisante mais nous sommes loin d’un portrait iconique à la Soukourov dans le très esthétique « Mère et fils » où le fils, Pieta dont les rôles aurait été inversés, portait sa mère à bout de bras du lit au linceul. Le personnage éponyme, bien qu’il puisse inspirer une forme de pitié, ne sera pas d’une blancheur virginale à la fin du film.

Photo du film Elena d'Andrei Zviaguintsev

Une mise en scène radicale

Par cette double charge, le cinéaste va finalement dresser un virulent constat sur son pays qui s’enfonce inexorablement dans un chaos teinté d’un décadentisme endémique, qui oublie ses vraies valeurs civiles et religieuses en s’abrutissant de boissons et d’émissions débiles et débilitantes directement venues de cet Occident capitaliste qui a apporté à cet empire déglingué jeux vidéo et clubs de gym pour vieux fossiles libidineux.

La mise en scène est radicale. Avec un sens consommé du cadrage et un soin tout particulier apporté aux décors, le cinéaste va procéder à un télescopage des opposés. La maison vide, sans âme, où les époux font chambre à part, a la froideur sépulcrale qu’induisent ses lignes géométriques et l’agencement impeccable autant qu’implacable de ses meubles où règne un vide abyssal. L’appartement du fils, foutoir indescriptible, fourmille de vie, certes, mais de quelle vie ? Laissant trainer un œil aussi critique pour l’un que pour l’autre de ces décorums, le cinéaste fait évoluer ses personnages dans une autre confrontation d’oppositions, celle de l’amour et de la haine l’un alimentant l’autre et vice versa. Et si, au final, un certain confort, une relative plénitude semblent se profiler à l’horizon, ils ne seront que leurre et utopie, le déterminisme génétique, incarné par l’arrivée du troisième gamin qu’attend la jeune femme, ne pouvant se teinter que d’un fatalisme inéluctable, comme le suggère la répétition de certains plans ainsi que le leitmotiv musical signé de l’excellent Philp Glass.

Autre prix d’excellence qu’il convient de mentionner : celui de l’interprétation. Criants de vérité, chacun des comédiens apporte à ce film son intensité dramatique, à commencer par les deux femmes Nadezhda Markina, éblouissante dans le rôle-titre et la jeune Elena Lyadova sublime dans un rôle qu’on aurait souhaité plus fourni de la fille de Vladimir. Du cinéma russe osé et qui ne laisse pas l’esthétisme en rade.

Résumé

Porté par d’excellents comédiens, le nouveau film d’Andrei Zviaguintsev livre une diatribe sans concession sur la Russie d’aujourd’hui à travers l’histoire de deux familles pas plus reluisantes l’une que l’autre. Du cinéma vérité mais où perce toutefois une vraie dimension esthétique.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=AEWtidhT6WU[/youtube]

2 Commentaires

  1. Où est la morale dans Eléna ? Où est Dieu ? Elle oublie de se couvrir la tête quand elle va à l’Eglise, signe probable d’une faible conviction religieuse…elle tue un homme au passé don juanesque qui semble peu attaché à elle, de même qu’elle lui est peu attachée…La morale ?? il n’y en a pas dans ce film. Elle profitera de son crime et continuera l’entretien d’un fils qui se laisse entretenir, motivé seulement par la bière, les jeux vidéos, l’argent et le sexe…il a oublié de grandir, plus copain avec son fils que père exerçant son autorité…
    L’amour est inexistant au même titre que la morale. L’argent ne cesse de circuler dans le film, nouvelle violence plus insidieuse que celle qui se manifeste physiquement à un moment du film lorsque Sacha se bat dans la boue. Certes cette dernière violence est visible, elle laisse des marques sur le visage. Mais celle de l’argent est pire car cachée comme les liasses de billets dans le coffre-fort de Vladimir.
    L’amour ? il y a cependant celui d’Iréna pour son fils et ses petits fils, un amour sacrificiel, presque rédempteur. Celui de Vladimir pour sa fille Sonia… Pourtant ce don de soi n’est accompagné d’aucun retour. Pur don de la part d’Eléna. Monnayé par l’héritage dans le cas de Vladimir…une chose est sûre : l’amour maternel est plus fort que la morale, plus fort que la foi en Dieu. Cet amour est prêt à tous les renoncements …de soi.
    Mais cet amour ne protège pas l’enfant de la chute à l’image du nourrisson qui a la fin du film se relève au risque de tomber. Cet amour ne permet qu’une seule chose, donner du sens à la vie de la mère, qui n’habite plus depuis longtemps le territoire de la femme. Pour Elena la fille de Vladimir ne peut être que stérile ou prostituée puisqu’elle n’a pas d’enfant..D’ailleurs Sonia avoue elle-même ne boire et se droguer que le weekend …elle ne sait pas où elle va..
    Un monde en perte de sens, à la dérive qui ne sait plus où aller….Elena se raccroche à la figure de la mère dans un monde où cette figure n’existe plus comme le montre le personnage inversé d’Elena, sa belle-fille….
    Résistance passéiste, nostalgique de la part d’Elena ou désespoir face à un monde sans espoir ? Figure du courage peut-être…une Mère Courage qui rassemble autour d’elle les ruines pour…personne ne le sait, sauf peut-être l’enfant qui à la fin du film tente de se redresser…et de marcher vers son avenir….

  2. Vous avez tout à fait raison et c’est ce qui rend ce film à la fois fascinant et dérangeant. La morale a totalement déserté l’écran, seul le profit fait foi. Et la scène de l’église que vous avez retenue -et qui est effectivement très très forte pour un pays où il y a quelques années les lieux de cultes ne désemplissaient pas- en est la plus éclatante illustration.

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