Sauvons les meubles

Belgique, Suisse, France, 2025
Titre original : –
Réalisatrice : Catherine Cosme
Scénario : Catherine Cosme
Acteurs : Vimala Pons, Yoann Zimmer, Guilaine Londez et Jean-Luc Pireaux
Distributeur : New Story Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h26
Date de sortie : –
3/5
En Belgique, il paraît qu’il existe un guichet de soutien officiel aux films soi-disant légers. On ne parle pas ici du genre comique, afin de faire profiter tout le monde de l’humour de nos voisins du nord une fois, mais de la taille du budget, infiniment plus modeste que celui des productions d’envergure dans ce pays à la cinématographie nationale très coriace. Ce premier film à la thématique délicate a bénéficié de ce coup de pouce des instances belges. Et nous ne pouvons qu’en être ravis, tellement Sauvons les meubles sait s’approprier une situation de départ épineuse pour en faire un récit à la fois doux et dépourvu de mièvrerie. Un changement de casquette couronné de succès donc pour la réalisatrice Catherine Cosme, qui avait jusque là œuvré du côté des décors, le plus récemment sur L’Inconnu de la Grande Arche de Stéphane Demoustier !
A partir d’une prémisse qui nous arrivera à toutes et à tous tôt ou tard – la disparition imminente de la mère –, elle réussit à nous concocter un beau mélodrame familial à la complexité des sentiments tout à fait appréciable. Les occasions pour pleurer y sont clairement plus nombreuses que celles pour rire, mais la narration progresse sans broncher vers sa conclusion inéluctable. Cette mort autant annoncée qu’ignorée sert de révélateur aux nombreuses failles de cette famille – après tout, quelle famille n’en a pas ? –, qui ne sont guère comblées à la hâte, mais plutôt laissées telles quelles pour la plupart d’entre elles.
Derrière le piège du surendettement se cache alors un autre, bien plus préjudiciable que quelques milliers d’euros à rembourser : celui du temps perdu à jamais et impossible à rattraper entre une mère et sa fille pas forcément en bons termes, à qui Guilaine Londez et Vimala Pons savent conférer une mélancolie de l’impuissance affective particulièrement saisissante.

Synopsis : Une photographe très recherchée en Belgique, Lucille n’a ni le temps, ni l’envie de s’occuper des affaires de ses parents vieillissants. Quand sa mère tombe à nouveau gravement malade, elle se décide néanmoins à lui rendre visite dans la maison familiale. Une fois sur place, elle doit se rendre à l’évidence que sa mère n’en a plus que pour quelques jours et, surtout, que ses affaires financières ne sont pas du tout en règle. Pas vraiment aidée par son frère cadet Paul et son père, aussi irresponsables l’un que l’autre, Lucille devra prendre seule des décisions difficiles.

Pas envie de m’ennuyer à la maison
Qu’est-ce que la vie d’adulte, sinon une longue ligne de fuite sans fin pour se libérer de l’influence, voire de l’emprise des parents sur nos vies ? Tandis que l’adolescence est le temps de la révolte et de la recherche de son propre chemin à suivre, les années qui restent jusqu’au moment fatidique de la mort des parents serviront encore et encore à défendre ses choix, à se justifier avec plus ou moins d’adresse et de franchise de cette déchirure symbolique du cordon ombilical.
Même si ce cycle de transmission enrayé par les difficultés de communication entre les générations ne s’applique peut-être pas à tout le monde, il est la base dramatique fort accessible de Sauvons les meubles. Car Lucille se place d’emblée en opposition à l’univers de son enfance, calme et lent, sans point en commun avec son environnement de travail, où elle a presque l’air blasé de devoir prendre des photos de l’ancien politicien Benoît Hamon.
Une femme forte et indépendante chez elle, ce personnage à l’ambiguïté exemplaire n’a aucunement envie de retomber chez ses parents dans les mêmes schémas de discussions stériles qui semblent envenimer sa vie familiale depuis des années. Ce décalage se manifeste autant par son emploi récurrent de termes anglais – rien de plus snob que de lâcher un « boring » par-ci ou par-là – que par la décélération forcée de son rythme de vie à la campagne, où son seul lien avec la frénésie, pour ne pas dire le stress de son boulot reste son téléphone qui finit par sonner de moins en moins.
Plutôt que de lui faire redécouvrir les petits plaisirs de la quiétude provinciale, le scénario la laisse dans cet écartèlement inconfortable entre deux styles de vie irréconciliables, accru encore par les circonstances peu commodes auxquelles elle devra faire face, une fois que la situation financière pesante de sa mère sera dévoilée au grand jour.

Être dans la joie
Inspirée par l’histoire de sa propre mère, Catherine Cosme ne lésine pas sur les éléments potentiellement tragiques, qui auraient aisément pu faire sombrer son premier long-métrage dans une noirceur déprimante. Sans vouloir suggérer pour autant que Sauvons les meubles soit une œuvre légère – du point de vue de son ton, pas de celui de son coût de fabrication – et lumineuse, nous ne pouvons pas nier le fait qu’il traite la gravité de son sujet avec une désinvolture nullement hasardeuse.
Tout y est soigneusement maîtrisé, à partir d’un point de vue joliment ironique. Celui-ci jongle sans cesse avec les sentiments contradictoires qui assaillent les personnages, doublement conscient que l’urgence mortuaire y relativise quand même beaucoup de choses. Entre le comptage des sous qui manquent et le règlement de tous les griefs psychologiques que Lucille a encore ouverts envers sa mère, le choix ne se fait jamais superficiellement, mais au contraire en admettant qu’aucun de ces terrains minés pourra être apaisé à temps.
Sur qui Lucille peut-elle compter dans ce marasme dont les proportions s’agrandissent avec chaque nouvelle ligne de crédit découverte ? Pas sur les agents de la muselière matérielle qui risque d’étouffer sa mère même avant que le cancer ne l’ait achevée, campés dans des apparitions aussi amicales que savoureuses par Bruno Podalydès et Dominique Reymond. Pas non plus sur l’infirmière, qui a d’ores et déjà appris à manifester son détachement envers la mort, toutefois pas dépourvu d’empathie pour ses patients et leurs proches. Non, en fin de compte, elle ne pourra compter que sur elle-même, aussi déplacée soit-elle dans ce cocon familial auquel elle se sent si étrangère.
Et le plus beau et apaisant dans cette affaire douce-amère, c’est que Camille Cosme arrive à transformer sa reconnaissance de faiblesse et d’impuissance en un départ vers une nouvelle vie. Cette dernière ne sera sans doute pas aussi branchée que la précédente, mais Lucille aura au moins appris – et nous avec elle – qu’il y a des choses plus importantes dans la vie que la réussite sur le plan professionnel et financier.

Conclusion
Depuis longtemps un partenaire de choix du cinéma belge, le Festival d’Albi confirme cette année ce lien étroit avec un joli premier film, débordant de sentiments en demi-teinte. Dans Sauvons les meubles, par ailleurs un titre à prendre littéralement, la réalisatrice Catherine Cosme réussit à faire de son histoire personnelle un destin universel, magnifiquement accessible grâce à la justesse de la description sans fard de ses personnages. Vimala Pons et Guilaine Londez y sont formidables dans la dynamique d’une fille et de sa mère, qui tentent au moins de se réconcilier in extremis, en dépit de toutes les frustrations et de tous les mensonges du passé qui risquent de les séparer définitivement.














