A pied d’œuvre

France, 2025
Titre original : –
Réalisatrice : Valérie Donzelli
Scénario : Valérie Donzelli et Gilles Marchand, d’après le roman de Franck Courtès
Acteurs : Bastien Bouillon, André Marcon, Virginie Ledoyen et Valérie Donzelli
Distributeur : Diaphana Distribution
Genre : Drame social
Durée : 1h31
Date de sortie : 4 février 2026
3/5
En France, en 2025, la précarité ne relève pas du mythe. Elle peut commencer, presque innocemment, par des difficultés à boucler les fins de mois. Pour se transformer tôt ou tard en une crise existentielle pouvant prendre de nombreuses formes dont aucune n’est édifiante ou plaisante à regarder. Par sa vocation de divertissement, le cinéma rechigne à aborder de front ce sujet social brûlant. Quel intérêt, en effet, de dépenser son argent durement gagné pour une séance qui plombera à coup sûr le moral, jusqu’à éveiller la hantise très répandue de la propre dégringolade sociale ?
Pour son septième long-métrage de fiction, la réalisatrice Valérie Donzelli ne s’est donc pas rendue la tâche facile. Après son sacre du prix du meilleur scénario au Festival de Venise, A pied d’œuvre est venu à la rencontre du public du Festival de Sarlat. Ce ne sont là que les premières étapes d’un parcours que l’on prédit incertain, tant cette descente aux enfers de la précarité réussit à peine plus d’éléments qu’elle n’en rate avec modération.
Car le souci principal de ce genre d’histoire est son positionnement moral, politique et éthique. Comment faire pour ne pas ridiculiser les individus tout en bas de l’échelle sociale que notre héros va forcément croiser ? Comment ne pas tomber dans le piège du conte consensuel qui fait les louanges de notre système capitaliste, en agitant l’épouvantail effrayant d’une perte du confort matériel ? Et enfin, est-il à tout prix nécessaire d’arracher in extremis le protagoniste à son chemin de croix, afin de préserver tant soit peu un statu quo rassurant ? Tant d’interrogations, auxquelles ce film au ton doux-amer répond du mieux qu’il le peut. Parfois avec une belle sincérité. D’autres fois en nous mettant, toutes et tous, devant les contradictions du monde soi-disant civilisé dans lequel nous vivons.
En tout cas, Bastien Bouillon y livre une interprétation d’une grande candeur, la douceur de son personnage étant pour beaucoup dans la tenue globalement satisfaisante du récit.
Synopsis : Autrefois un photographe qui gagnait bien sa vie, Paul a décidé de tout plaquer afin de se consacrer à l’écriture. Ses trois premiers romans ont beau avoir été publiés, le succès publique n’a guère été au rendez-vous. Alors que son éditrice le fait tourner en rond et que sa femme part loin avec leurs deux enfants, Paul se retrouve dans une situation financière de plus en plus difficile. Il tente alors de gagner tant bien que mal sa vie en s’inscrivant sur une application qui propose de petits boulots au prix plancher. Ce sera l’occasion pour ce quadragénaire toujours attaché à sa vocation littéraire de voir l’existence d’un point de vue totalement différent par rapport à sa vie d’avant.

Range ta vie
Il y aurait eu de quoi faire un film férocement dérangeant à partir de la prémisse de A pied d’œuvre. L’éveil douloureux d’un bobo, presque caricatural dans la poursuite de son idéal artistique, aurait pu y être le prétexte formidable à l’immersion dans un univers d’horreurs sociales. Ce dernier l’aurait poussé soit à s’engager corps et âme dans l’engagement contre la précarité, soit à se raviser et à accepter un compromis de vie plus tenable. Ou bien, ce pauvre Paul aurait pu sombrer jusqu’à la déchéance complète, donnant alors en quelque sorte raison à son entourage qui s’inquiète pour lui, certes, mais qui n’entreprend rien de concret pour le sortir durablement de sa misère. En même temps, le personnage principal du film de Valérie Donzelli est sensiblement trop fier et têtu pour se laisser dissuader du chemin épineux sur lequel il s’est engagé consciemment.
De ce point de départ pas sans mérite résulte un peu trop rapidement une certaine inertie dramatique. Quoi de plus logique, après tout, que d’abandonner la voie sans issue de l’application, outil cynique de l’esclavage contemporain, pour tenter d’autres pistes de revenues. Sans surprise, les organismes officiels ne sont d’aucune aide à ce sujet, d’autant moins que, faute de diplômes, Paul n’appartient pas au groupe de chômeurs éventuellement employables. Toutefois, il serait facile de déceler une complaisance narrative dans cette persévérance à accepter des boulots de plus en plus dégradants et de moins en moins bien payés. Ces derniers permettent de multiplier les rencontres cocasses, toujours filmées avec une humanité susceptible de relativiser la misère de notre vaillant héros. Car si ses clients font appel à ses services au rabais, c’est qu’il ne roulent pas non plus sur l’or, pour la plupart d’entre eux.
Une histoire de chaussures
Mis dans sa case de l’exclusion, Paul se fait souvent avoir, tout en s’accommodant d’une situation inacceptable pour ses proches qui le mettent de plus en plus à distance. Sans doute aussi pour ne pas être contaminés par cette maladie sociale qu’est la pauvreté, subie ou choisie. A nos yeux, il ne se défait jamais entièrement de l’impression qu’il n’est dans cette galère que de manière temporaire. On n’est pas encore au stade du tourisme misérabiliste, mais la mise en scène opte chaque fois ou presque pour un dénouement solitaire de ses aventures de galérien.
Après de premières humiliations prévisibles, cet écrivain en panne d’inspiration apprend vite et sur le tas, son manque d’expérience étant compensé par une attitude servile qui va de pair avec la concurrence rude sur l’application. Ainsi, en tout cas au début, il n’est peut-être pas très efficace, mais il est gentil. Ce qui vaut bien une étoile, la note minimale qui le pénalisera lors de ses futures missions.
Un cercle vicieux, donc, que la mise en scène aménage d’une façon un peu trop indécise à notre goût. En refusant simultanément le conte de fées de la rédemption miraculeuse et l’horreur d’un quotidien glauque et désespérant, Valérie Donzelli définit la précarité en tant que fatalité à laquelle il est possible d’échapper, à condition de se donner les moyens adaptés. Ou bien de faire avec, quitte à récupérer le moindre petit contrat. En somme, Paul risque de rester le seul à réellement comprendre l’équilibre fragile de sa nouvelle vie, puisque même son seul et unique soutien inconditionnel, son fils, ne semble pas en avoir saisi toutes les implications.
En tout cas, ce serait pour nous le sens de l’appel téléphonique vers la fin du film, au demeurant très – voire trop – libre d’être interprété de différentes manières. Le hic avec la mise en scène de Valérie Donzelli se résume d’ailleurs parfaitement dans cette brève séquence, basée sur l’incompréhension entre les personnages, qui a tendance à devenir aussi de temps en temps la nôtre.

Conclusion
Et un deuxième tour de force pour notre deuxième film vu au Festival de Sarlat ! Grâce au jeu tout en finesse de Bastien Bouillon, A pied d’œuvre tient raisonnablement la route. Malgré quelques choix de réalisation qui ne sont pas prêts à clarifier le positionnement de Valérie Donzelli par rapport au sujet d’une importance cruciale, traité presque trop superficiellement ici. Là où l’acteur principal traduit parfaitement le désarroi de son personnage face à la pénurie de choix qui s’offrent à lui, Virginie Ledoyen en éditrice calculatrice et André Marcon en père impuissant s’inscrivent déjà plus dans le stéréotype des spectateurs incrédules d’une telle déroute, aussi progressive qu’inéluctable.














