
Tous droits réservés
Parfois, il arrive qu’on se plaigne à cause du programme mensuel des reprises en salles, qui ressemble à une peau de chagrin nostalgique, ponctuée de tout juste un ou deux films par semaine. Et puis, nous sommes d’ores et déjà aux anges cinéphiles, lorsque des rétrospectives viennent enrichir ce regard dans le rétroviseur de l’Histoire du cinéma. Que dire alors des plus de quarante films, dont six cycles d’envergure, qui composent la sélection des œuvres jugées dignes d’être ressorties sur grand écran devant le public d’aujourd’hui ? Qu’on en est abasourdi, enthousiaste et hautement ravi ! Quoique également un tout petit peu agacé que jamais, au grand jamais, on ne trouvera le temps de (re)découvrir tout cela, avant que le mois de décembre et ses nombreux films anciens ne viennent le supplanter sur les écrans dédiés au cinéma de patrimoine.
Richesse et rareté se côtoient en effet à merveille en ce mois de novembre 2025. Car les distributeurs spécialisés, plus vaillants en France qu’ailleurs, ratissent globalement large avec leurs rétrospectives consacrées respectivement aux cinéastes français Sacha Guitry, Patrice Chéreau et Laetitia Masson, au maître américain Francis Ford Coppola, à l’inclassable Werner Herzog, ainsi qu’au phénomène du cinéma de genre asiatique qu’était la Lady Yakuza au Japon de la fin des années 1960. Sans oublier les films qui ressortent en vrac, pour ainsi dire, signés Hou Hsiao-Hsien, Michael Mann, Éric Rohmer, Werner Schroeter et John Woo.

Patrice Chéreau, cinéaste
Cette magnifique surabondance de films de retour à l’affiche commence dès demain avec la rétrospective que Malavida Films consacre au réalisateur français Patrice Chéreau (1944-2013). Après une première ressortie en solo début octobre de la pièce maîtresse de sa filmographie, La Reine Margot avec Isabelle Adjani, ce sont à présent cinq longs-métrages supplémentaires qui auront droit à une restauration. Ce qui nous ramène à la possibilité de revisiter une faible majorité de la filmographie de Chéreau, qui consiste en dix films, entre La Chair de l’orchidée en 1975 et Persécution en 2009. Tout comme ces derniers, ses deux films du début des années 2000 – Intimité Ours d’or au Festival de Berlin en 2001 et Son frère – ne font pas partie de la rétrospective. Des histoires de droits peut-être … ?
En tout cas, ce qui sera présenté d’ici quelques heures est amplement représentatif de l’univers cinématographique de ce réalisateur finalement plus connu pour son travail au théâtre. A savoir des personnages et des environnements hantés par une rage et un dégoût de vivre qui rapprocheraient presque Chéreau de l’enfant terrible du cinéma français Maurice Pialat. Sauf que chez le réalisateur de Ceux qui m’aiment prendront le train, qui lui avait valu le César du Meilleur réalisateur en 1999, on retrouve justement une théâtralité épurée qui tranche avec le réalisme cru de Pialat. A vérifier à travers ces titres majeurs que sont Judith Therpauve avec Simone Signoret, L’Homme blessé avec Jean-Hugues Anglade et Gabrielle avec Isabelle Huppert.

Si Guitry m’était conté
Sacha Guitry (1885-1957) avait, lui aussi, un style bien à lui. Sa plume fine et acérée, les spectateurs friands de comédies de mœurs sophistiquées ont pu l’apprécier de nouveau récemment, grâce à une première rétrospective en onze films sortie sous le titre « Le Génie Guitry » chez le même distributeur, Les Acacias, il y a deux ans, presque jour pour jour, en novembre 2023. Et quelle meilleure preuve de l’étendu du talent de Guitry qu’il n’y a aucun doublon entre ce premier coup de projecteur et cette nouvelle rétrospective en seulement sept films cette fois-ci, qui sortira aussi demain ?
Y a-t-il des chefs-d’œuvre de la comédie française des années ‘30 dans ce lot, à l’image du Roman d’un tricheur ou d’Ils étaient neuf célibataires de la sélection précédente ? Toujours est-il que des facettes moins marquées de l’univers Guitry y sont brillamment exposées, comme son goût pour l’épopée historique avec Si Versailles m’était conté et sa distribution improbable qui va Brigitte Bardot à Jean-Louis Barrault, d’Édith Piaf à Orson Welles. Néanmoins, on peut toujours y distinguer cette mélancolie espiègle qui rend essentielle la filmographie de Sacha Guitry, même près de soixante-dix ans après la sortie de son dernier film.
D’ailleurs, il reste encore une douzaine de titres pas encore ressortis. Par conséquent, il serait souhaitable de voir apparaître un jour, lors d’une troisième rétrospective par exemple, ces titres manquants, du Nouveau testament jusqu’à Les 3 font la paire, en passant par Je l’ai été trois fois et Assassins et voleurs.

Lady Yakuza La Saga intégrale en 8 films
Et ce n’est pas fini pour ce 5 novembre mémorable, puisque Carlotta Films nous y donne rendez-vous avec l’une des figures emblématiques du cinéma japonais. En parallèle de la sortie en Blu-ray des huit aventures de Lady Yakuza, ces films auront de même droit à une ressortie en salles. Pour notre plus grand bonheur, puisque les films de genre asiatiques commencent tout doucement à se faire une place dans l’agenda des salles de répertoire, comme noté en août et septembre derniers à travers les cycles Yasuzo Masumura et Kenji Misumi chez The Jokers.
Sous les traits de l’actrice Junko Fuji, qui célébrera ses 80 ans début décembre, Lady Yakuza avait rendu le genre du film de yakuzas accessible aux femmes, au moins pour une parenthèse assez brève allant de 1968 à ‘72. En huit films, réalisés souvent par Kosaku Yamashita et Tai Kato, elle avait ouvert la voie à d’autres guerrières emblématiques, telles que sa contemporaine Lady Snowblood de Toshiya Fujita en 1973, présenté au Festival Lumière à Lyon en 2022, et bien sûr la mariée vengeresse campée par Uma Thurman dans les deux chapitres de Kill Bill de Quentin Tarantino en 2003 et 2004.
Le seul possible bémol dans cette histoire d’une ressortie événement pourrait être la nécessité de voir ces films de sabre à peu près dans l’ordre chronologique. Une tâche guère aisée par ces temps de ressorties qui se bousculent aux portes des cinémas du Quartier latin à Paris et ailleurs, on l’espère.

Rétrospective Francis Ford Coppola
Est-ce que deux semaines de décalage constituent un répit suffisant pour se préparer comme il se doit à la pièce maîtresse des rétrospectives de ce mois de novembre hors normes ? Sans doute pas. Et donner une infime préférence aux films de l’immense Francis Ford Coppola (* 1939) relève avant tout d’un choix purement subjectif. Toujours est-il que Pathé a vu grand à partir du 19 novembre, en ressortant sept films du réalisateur de la trilogie du Parrain. Tout en faisant preuve d’un certain éclectisme, puisque la saga des mafieux ne fait même pas partie du cycle. Encore une histoire de droits, probablement.
Ce qui ne nous gêne pas le moins du monde, les films proposés couvrant un éventail très large de la carrière en dents de scie du réalisateur de Apocalypse Now. D’ailleurs, la Palme d’or de 1979 est bel et bien présente, dans sa version Final Cut sortie en 2019.
Or, ce sont avant tout les films du creux de la vague qui sont mis en avant ici. A commencer par le tout premier long-métrage réalisé par Francis Ford Coppola, la production Roger Corman Dementia 13, qui aura droit à une sortie à la fois anticipée et ponctuelle. Puis suivront les deux chefs-d’œuvres palmés et incontestés Conversation secrète et Apocalypse Now donc. Mais c’est après que la rétrospective devient réellement intéressante, à travers trois films des années ‘80, une décennie quelque peu maudite pour Coppola : Coup de cœur, Outsiders et Tucker L’Homme et son rêve. Certes, il n’y aura pas de retrouvailles avec Rusty James, Cotton Club, Peggy Sue s’est mariée ou encore Jardins de pierre.
Toutefois, les trois films retenus reflètent bien le penchant un peu mégalomane qui allait ruiner plus d’une fois le cinéaste. Enfin, ce beau tour d’horizon partiel se termine sur Twixt sorti en 2011 et à l’envergure artistique et commerciale très différente.

Potemkine Films Tous droits réservés
Les Odyssées de Werner Herzog : La nature
Le distributeur Potemkine Films détient depuis un certain temps déjà les droits français du catalogue des films de Werner Herzog (* 1942). Pas tous, évidemment, tant le trublion allemand emprunte des chemins atypiques qui rendraient une intégrale de ses plus de quarante longs-métrages, fiction et documentaire confondus, quasiment impossible à mettre sur pied. Mais suffisamment pour les réorganiser en un grand cycle de trois volets, pas dissemblable à ce que Les Films du Losange opèrent actuellement avec la filmographie de Raymond Depardon. En suivant de surcroît presque le même rythme dans le temps. Ainsi, le 19 novembre, ce sera le tour à cinq longs-métrages et deux moyens-métrages de ressortir sous la thématique de la nature, suivis le 25 février 2026 par le chaos et le 22 avril par le rêve.
Autour des piliers de deux de ses collaborations houleuses avec son acteur fétiche Klaus Kinski, Aguirre La Colère de dieu et Cobra Verde, ce début de rétrospective comportera les très beaux documentaires La Soufrière et Gasherbrum La Montagne lumineuse, déjà ressortis regroupés en 2014 sous le titre Les Ascensions de Werner Herzog, ainsi que les très singuliers Les Ailes de l’espoir sur la rescapée d’un accident d’avion en Amérique du Sud et Le Pays où rêvent les fourmis verts, présenté en compétition au Festival de Cannes en 1984.

Rétrospective Masson / Kiberlain
Une idée ingénieuse, mais malheureusement pas souvent exploitée sur le marché des ressorties, est joliment mise en pratique par L’Atelier Distribution dès le mercredi 26 novembre. C’est-à-dire de ne pas ressusciter le travail partiel, voire intégral d’un cinéaste, mais de se pencher sur la collaboration avec un comédien en particulier. Place donc aux trois films que la réalisatrice française Laetita Masson (* 1966) a tourné entre 1995 et l’an 2000 avec l’actrice Sandrine Kiberlain (* 1968) : En avoir [ou pas], A vendre et Love Me. Ce tandem réalisatrice / actrice avait d’ailleurs valu à Kiberlain son premier César, du Meilleur jeune espoir féminin en 1996, pour En avoir [ou pas].
Quant à Laetitia Masson, elle semble se contenter de nos jours de réaliser des vidéos pour la chaîne Blow-Up de la médiathèque d’arte – ce qu’elle fait au demeurant très bien. Cependant, il fut un temps, la deuxième moitié des années ‘90 pour être précis, où elle faisait partie des jeunes espoirs du cinéma français, grâce à ses trois portraits de femmes sans concession. Des femmes perdues en apparence seulement, puisqu’elles ne font, au fond, que réinventer leur existence selon leurs propres conditions. Un regard de cinéma au féminin, en somme, qu’il convient d’étudier à nouveau, un quart de siècle après sa sortie initiale.

TF1 Droits Audiovisuels / Tamasa Distribution Tous droits réservés
Allez, pas d’« ouf » prématuré, il reste encore huit films tout aussi remarquables à évoquer ! Côté américain, le seul candidat ressortira demain chez Park Circus, en quelque sorte en guise d’épilogue au Prix Lumière du mois dernier à Michael Mann. Le Solitaire avec James Caan dans l’un de ses rôles les plus mémorables est le premier film de cinéma du réalisateur, sorti en 1981, deux ans et demi avant son deuxième, La Forteresse noire, qui avait eu le privilège d’une ressortie chez Carlotta au mois de mai.
Puis, le 12 novembre, aucune rétrospective n’est au programme, mais trois œuvres parfaitement complémentaires. Difficile en fait de trouver un point commun entre le sulfureux L’Étrange obsession de Kon Ichikawa – Prix du jury au Festival de Cannes en 1960 –, le sentimental Joyeux Noël de Christian Carion chez Tamasa Distribution et l’esthétique des balbutiements du numérique adoptée par Éric Rohmer dans L’Anglaise et le duc chez Solaris Distribution. La seule sortie isolée de la semaine suivante, le 19 novembre donc, Les Derniers jours de Mussolini de Carlo Lizzani chez Carlotta Films, s’explique surtout par la parution récente d’une monographie dédiée à son acteur principal Rod Steiger chez le même distributeur (« Rod Steiger Briller dans l’ombre » de Baptiste André).
Et pour finir en beauté, le 26 novembre, vous aurez à opérer un choix toujours aussi exquis entre le classique de la fusillade stylisée The Killer de John Woo par lequel Metropolitan Filmexport poursuit son cycle du meilleur du cinéma de genre venu de Hong Kong, une vision diamétralement opposée de la vie en Asie que Hou Hsiao-Hsien avait opérée en 1984 avec Un été chez grand-père, encore chez l’infatigable Carlotta Films, ou bien Isabelle Huppert en détresse – pour ne surtout pas changer – chez Werner Schroeter dans Malina, présenté en compétition au Festival de Cannes en 1991, distribué par Les Films du Camélia.
Bref, c’est tout un programme. Seuls les cinéphiles les plus téméraires en arriveront à bout !

Les Films du Camélia Tous droits réservés















