Tron
États-Unis, Taïwan, Japon, Royaume-Uni : 1982
Titre original : –
Réalisation : Steven Lisberger
Scénario : Steven Lisberger, Charles S. Haas
Acteurs : Jeff Bridges, Bruce Boxleitner, David Warner
Éditeur : Walt Disney France
Durée : 1h35
Genre : Science-fiction
Date de sortie cinéma : 15 décembre 1982
Date de sortie DVD/BR/4K : 8 octobre 2025
Kevin Flynn, un inventeur ingénieux, s’aperçoit que ses programmes sont piratés. Il soupçonne son ancien employeur Dillinger, de vouloir mettre au point un système lui assurant l’accès au programme de défense du Pentagone. Flynn arrive à pénétrer dans l’ordinateur de Dillinger. Alors qu’il touche presque au but, il est désintégré et se retrouve propulsé dans une autre dimension, celle des programmes de l’ordinateur…
Le film
[3/5]
Les développements récents en termes d’intelligence artificielle (IA) ont permis à cette technologie de faire un tel bond en avant ces dernières années qu’elle en soulève aujourd’hui une poignée de problèmes éthiques et philosophiques assez préoccupants. Si ces interrogations tendent de nos jours à devenir de véritables sujets de société, les questions soulevées par le développement de l’IA ne datent pas d’hier. Ainsi, certaines dérives possibles avaient déjà été évoquées dans les films de ce qu’on pourrait appeler l’ère du « Compiouteur mouvie », qui commencera à la fin des années 60 (L’Ordinateur en folie, 2001 : Odyssée de l’espace), mais se développera surtout au début des années 80, avec l’explosion de la technologie du « PC » ou ordinateur personnel.
De fait, le Compiouteur Mouvie a trouvé son Âge d’Or à la fin des années 70 et tout au long des années 80 grâce à des films tels que Génération Proteus (Donald Cammell, 1977), Saturn 3 (Stanley Donen, 1980), Tron (Steven Lisberger, 1982), WarGames (John Badham, 1983), Superman 3 (Richard Lester, 1983), La Belle et l’Ordinateur (Steve Barron, 1984), Une créature de rêve (John Hughes, 1985) ou encore Short Circuit (John Badham, 1986). En réaction à la fièvre de l’informatique familiale qui commençait à déferler sur le monde, ces films mettaient en scène des ordinateurs ou des machines dotées d’une intelligence artificielle poussée, et posaient en filigrane tous une seule et même question : l’ordinateur est-il vraiment notre ami ?
Retour donc en 1982 – une époque où, sous l’influence de Star Wars et de Métal Hurlant, Disney a tenté de brancher ses neurones sur secteur avec Tron, un pur produit de son époque que personne n’avait compris à l’époque, et que personne ne comprend davantage aujourd’hui. Tron, que l’on stylise parfois TRON, c’est un peu comme si un geek sous acide avait fusionné un manuel d’informatique IBM avec un trip mystique à la sauce Moebius. Le film de Steven Lisberger est donc sorti à une époque où le mot « ordinateur » faisait peur aux grands-mères et aux critiques de Télérama, et proposait au public une plongée dans un univers numérique avant même que le mot « cyberspace » ne devienne à la mode.
Du haut de ses quarante-trois ans, Tron fait oiffce de visionnaire technologique, interrogeant, mine de rien, la place de l’homme dans un monde de plus en plus codé, où les identités se fragmentent comme des cookies mal digérés. De plus, visuellement, le film de Steven Lisberger est un OVNI. Un OVNI qui serait le fruit des amours partouzards entre une calculatrice Casio, un synthétiseur Bontempi et un néon de boîte de nuit. Les costumes fluorescents, les décors vectoriels et les effets rotoscopés donnent au film une esthétique unique, à mi-chemin entre le jeu d’arcade et le théâtre expérimental. Et honnêtement, si ce n’est pas toujours beau, si ça frise régulièrement le nanar et/ou le ridicule et prête souvent à (sou)rire, c’est assez gonflé. Et cette audace formelle sert une narration qui, sous ses airs de quête héroïque, questionne la verticalité du pouvoir, la surveillance algorithmique et la résistance des individus face aux systèmes.
Tron nous parle donc de liberté, mais avec des frisbees qui explosent et des motos qui laissent des traînées de lumière derrière elles, rappelant les traces que j’ai laissées sur le parquet ciré lors de ma dernière gastro (pardon, on avait dit qu’on arrêtait avec les blagues pipi-caca). Le personnage de Kevin Flynn (Jeff Bridges) incarne cette figure du hacker romantique, celui qui pénètre les entrailles du système pour y retrouver sa vérité. Car dans Tron, le héros n’est pas un guerrier musclé, mais un bidouilleur de lignes de code, un créateur frustré par les logiques corporatistes. Le film anticipe les débats contemporains sur la propriété intellectuelle, les intelligences artificielles et les dérives du capitalisme numérique. Et si certains dialogues sentent le vieux BASIC, la mise en scène compense par une gestion de l’espace étonnamment fluide, avec des mouvements de caméra qui épousent les trajectoires des programmes comme une main sur une fesse consentante.
Bon, on n’ira pas pour autant jusqu’à crier au génie : Tron est également un film blindé de défauts. Son intrigue est incompréhensible et ne permet jamais au spectateur de ressentir une quelconque empathie vis-à-vis des personnages. La musique de Wendy Carlos, pourtant pionnière du synthé, donne régulièrement l’impression d’écouter un modem qui vomit. Le rythme du film, très lent, ressemble à un séminaire PowerPoint. Dan Shor (Ram) joue comme un pied. Mais ces défauts font partie du charme de Tron, tout autant que de son étrangeté. De plus, le film représente également à sa façon une date dans l’Histoire du cinéma et de la culture populaire. Sans lui, pas de Matrix, pas de Ready Player One, pas de Fortnite en mode solo. Le film a ouvert la voie à une esthétique numérique, à une pensée du virtuel, à une narration dématérialisée. Il a prouvé que l’imaginaire pouvait s’étendre au-delà du réel, que les pixels pouvaient porter des émotions, et que même un frisbee lumineux pouvait devenir un symbole de rébellion.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[4/5]
A l’occasion de la sortie dans les salles de Tron – Ares le 8 octobre, Walt Disney France a pris la décision d’offrir à Tron et à Tron – L’Héritage leur upgrade au format Blu-ray 4K Ultra HD. Le film de 1982 a bénéficié d’une restauration minutieuse supervisée par Steven Lisberger lui-même. Le master 4K, issu des négatifs originaux, affiche une image en 2160p au ratio 2.20:1, avec un étalonnage HDR10 + Dolby Vision. Le résultat est bluffant : les décors vectoriels gagnent en lisibilité, les costumes fluorescents retrouvent un éclat ultra-pétant, et les contrastes sont enfin dignes d’un monde numérique. Le grain d’origine est conservé sans excès, et les effets rotoscopés, autrefois flous, gagnent en netteté. Côté son, la VO remixée en Dolby Atmos offre une spatialisation immersive, notamment dans les séquences de Light Cycle et les affrontements numériques. La VF, simplement proposée en DTS 5.1, s’avère tout à fait correcte mais moins ample, avec des dialogues parfois un peu étouffés et un mixage plutôt bas – préparez vous à augmenter le volume en conséquence.
Pas de bonus sur le Blu-ray 4K à proprement parler, mais les suppléments du Blu-ray de Tron également disponible dans le boîtier sont aussi denses qu’un disque dur des années 80 rempli de pixels vintage. On commencera avec le commentaire audio de Steven Lisberger, Donald Kushner (producteur), Harrison Ellenshaw et Richard Taylor (effets spéciaux), qui s’avère une véritable mine d’anecdotes techniques et artistiques. On continuera ensuite avec un reportage rétrospectif consacré au phénomène TRON (10 minutes), qui revient sur l’impact culturel du film, suivi de la Photo TRONologie (17 minutes), où Steven Lisberger et son fils explorent les archives du projet comme deux archéologues du numérique. La section « Développement » (10 minutes) compile documents rares, animations préliminaires et réflexions sur les ordinateurs comme entités vivantes. L’imagerie numérique est également à l’honneur avec plusieurs modules sur les effets fluorescents et le rôle du studio Triple I (12 minutes). Le making of fleuve (88 minutes) fera figure d’incontournable, tandis que les modules de la section « Musique » (8 minutes) permettront de redécouvrir les compositions de Wendy Carlos dans des versions alternatives. La section « Promotion » (13 minutes) regroupe bandes-annonces, photos de production et goodies d’époque, pour les nostalgiques du merchandising. Les scènes coupées (7 minutes), les recherches graphiques, les storyboards de Moebius (6 minutes), et la galerie interactive complètent une édition généreuse, qui explore en profondeur la genèse et l’héritage visuel du film.