Test Blu-ray : Chassés-croisés sur une lame de rasoir

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Chassés-croisés sur une lame de rasoir

Italie, Espagne : 1973
Titre original : Passi di danza su una lama di rasoio
Réalisation : Maurizio Pradeaux
Scénario : Alfonso Balcázar, Maurizio Pradeaux, Arpad DeRiso
Acteurs : Nieves Navarro, Simón Andreu, Sal Borgese
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h32
Genre : Horreur, Giallo
Date de sortie cinéma : 27 juin 1974
Date de sortie DVD/BR : 5 avril 2025

Alors que Kathy et ses parents, Suédois venus lui rendre visite à Rome, attendent l’arrivée d’Alberto Morosini, son fiancé, pour repartir à l’aéroport, celle-ci, guettant sa venue au moyen d’une longue-vue panoramique, est alors témoin du meurtre à l’arme blanche d’une jeune femme dans un appartement. De retour de l’aéroport, Kathy et Alberto se rendent au poste de police, où elle est interrogée par le commissaire Merughi. Peu de temps après, deux témoins potentiels qui se trouvaient non loin de la scène du crime, un vendeur de marrons et une femme de ménage, sont sauvagement assassinés. Kathy sera-t-elle la prochaine victime ?

Le film

[3,5/5]

L’impact « catchy » des titres de films ayant fait les beaux jours du Giallo italien ne cessera jamais de nous surprendre, et dans la catégorie des trouvailles absolument géniales du genre, il y a Chassés-croisés sur une lame de rasoir. Derrière ce titre étonnant, qui évoque une chorégraphie sanglante entre ballerines et psychopathes (comme si Black Swan avait été tourné dans une salle de bains italienne avec des rasoirs Bic) se cache un giallo hispano-italien signé Maurizio Pradeaux, et sorti sur les écrans en 1973. Et autant l’affirmer tout de suite haut et fort : comme le suggère son titre, voilà un film qui ne fait pas dans la dentelle, mais plutôt dans le fil tranchant. Et pourtant, derrière ses apparences de série B à moustache, Maurizio Pradeaux nous y déroule une partition visuelle étonnamment maîtrisée, où le meurtre devient presque un ballet, une danse macabre sur fond de névrose sexuelle et de voyeurisme urbain. Le télescope du Janicule, qui sert de point de départ à l’intrigue, n’est pas qu’un gadget scénaristique : c’est le symbole d’un regard biaisé, d’une vérité toujours floue, comme les photos de vacances prises avec un iPhone trempé dans du mojito.

Dans Chassés-croisés sur une lame de rasoir, les filles sont jolies, les hommes sont suspects, et les policiers ont l’air de vouloir résoudre l’affaire entre deux parties de belote. Kathy, la Suédoise témoin du premier meurtre, interprétée par Susan Scott alias Nieves Navarro (La Mort marche en talons hauts, Photos interdites d’une bourgeoise, La Mort caresse à minuit…) est utilisée comme appât par la police, ce qui en dit long sur la considération qu’accordaient les flics à la gent féminine à l’époque. Mais attention, pas de procès d’intention ici : le film joue avec les archétypes du Giallo pour mieux les tordre. Le tueur est un infirme obsédé par son impuissance, ce qui donne à Chassés-croisés sur une lame de rasoir une dimension psychanalytique aussi subtile qu’un tube de Patrick Sébastien, et pourtant, le moins que l’on puisse dire est que ça fonctionne. Le handicap devient ici métaphore du désir frustré, de la masculinité en crise, et le rasoir, phallus de substitution, tranche dans le vif du sujet. On est loin des thrillers aseptisés de Netflix, et c’est tant mieux. On vous l’a déjà dit : chez Le Chat qui fume, vous découvrirez toujours à coup sûr des films que vous ne verrez jamais sur Netflix.

Formellement, Chassés-croisés sur une lame de rasoir ne révolutionne pas le genre, mais il le sert avec une honnêteté rare. La photographie de Jaime Deu Casas, tout en contrastes et en ombres portées, donne à Rome un air de labyrinthe mental, où chaque ruelle semble cacher un trauma. Le montage, signé Eugenio (Enzo ?) Alabiso, joue sur les ruptures de rythme, les faux raccords et les ellipses pour créer une tension presque organique. On pourrait croire que le film a été monté avec les dents, mais c’est justement cette rugosité qui lui donne son charme. Et puis il y a la musique de Roberto Pregadio, qui semble hésiter entre le lounge et le cauchemar. Les nappes sonores accompagnent les meurtres comme une caresse avant la gifle, et donnent à Chassés-croisés sur une lame de rasoir une ambiance presque hypnotique. On pense parfois à Ennio Morricone, mais faisant le bœuf sur un synthé qui aurait été oublié dans une cave humide. Le score participe pleinement à la construction d’un univers où le beau côtoie le morbide, et où la danse devient rituel sacrificiel.

Alors oui, Chassés-croisés sur une lame de rasoir verse parfois dans le kitsch, mais le kitsch, c’est comme les poils pubiens : quand c’est assumé, ça devient stylé – à l’image de la flopée de personnages secondaires proposée par le film, tous plus savoureux les uns que les autres. Mention spéciale à Lidia Arrighi, la journaliste fouineuse incarnée à l’écran par Anuska Borova, qui semble sortie d’un épisode de Plus belle la vie sous acide. Son enquête parallèle ajoute une couche de complexité à l’intrigue, et permet au film d’explorer la thématique de la vérité médiatique, de la manipulation de l’information : une mise en garde qui résonne étrangement avec notre époque, à l’heure des fake news et des deepfakes, et qui invite le spectateur à ne jamais prendre ce qu’il voit pour argent comptant. Et que dire de Marco, le pianiste (Simon Andreu), dont les mains caressent les touches comme s’il massait un clitoris en porcelaine. Derrière la blague, une vraie idée : la musique comme exutoire, comme masque… comme alibi ? Et tant pis si le scénario tient parfois avec du scotch et des fantasmes de scénariste en rut : Chassés-croisés sur une lame de rasoir n’en reste pas moins un objet filmique fascinant. Un giallo malade, bancal, mais habité.

Le Blu-ray

[4/5]

Chassés-croisés sur une lame de rasoir fait partie de la dernière vague de film proposée en 2025 par Le Chat qui Fume, et nous offre une restauration Haute-Définition très convaincante. Mais comme d’habitude avec l’éditeur, le contenant est tout aussi beau que le contenu, puisque le film nous est proposé dans un boîtier Scanavo surmonté d’un fourreau cartonné dont la composition graphique a été confiée au talentueux Fred Domont, collaborateur historique du Chat qui fume. Côté master, l’image, qui sent bon la pellicule vintage, respecte le grain d’origine et restitue les couleurs Eastmancolor avec une fidélité bienvenue. Les contrastes sont solides, les noirs profonds, et les scènes nocturnes gagnent en lisibilité sans trahir l’ambiance du film. Côté son, la VO italienne en DTS-HD Master Audio 2.0 est claire, avec une belle restitution des dialogues et de la musique. La VF, qui nous est également proposée en DTS-HD Master Audio 2.0, souffre de quelques saturations mais reste tout à fait recommandable pour les nostalgiques du doublage à la papa.

Du côté des suppléments, on trouvera un entretien avec Eugenio Alabiso (21 minutes), qui officiait à priori au poste de monteur sur Chassés-croisés sur une lame de rasoir (et ce même si le générique du film indique « Enzo Alabiso »). Il reviendra donc sur sa carrière, et notamment comment il est arrivé dans le monde du cinéma, pistonné par son frère Daniele Alabiso. Il serait ensuite recruté comme assistant montage sur Et pour quelques dollars de plus de Sergio Leone, avant de prendre la place du monteur en titre. Il citera ensuite quelques anecdotes concernant Mino Loy, un réalisateurs de documentaires érotiques assez peu connu de notre côté des Alpes, avec qui il a travaillé à partir des années 60, et jusqu’à la fin de sa carrière en 2008. Il évoquera également son travail auprès de Sergio Martino et Umberto Lenzi, et avouera que tous les cinéastes avec lesquels il a collaboré au fil des années lui laissaient une totale liberté dans le montage, à l’exception de Sergio Corbucci, qui était plus « coriace ». Il louera également les qualités de son autre frère Salvatore Alabiso, un immense producteur dont le nom ne figurait jamais au générique des films qu’il produisait, mais qui selon ses dires détenait les droits pour l’Italie de nombreux films de Bud Spencer et Terence Hill. Aucune référence à Chassés-croisés sur une lame de rasoir ni à Enzo Alabiso n’est faite durant le sujet. Si le site de référence IMDb a effectivement deux fiches différentes concernant Eugenio et Enzo, le site précise également qu’Enzo est un pseudonyme d’Eugenio. Si vous possédez un arbre généalogique de la famille Alabiso, vos lumières nous seraient bien utiles ! Pour vous procurer fissa cette édition Blu-ray de Chassés-croisés sur une lame de rasoir, rendez-vous sur le site du Chat qui fume !

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