Critique : Shadows

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Etats-Unis : 1959
Titre original : Shadows
Réalisateur : John Cassavetes
Scénario : John Cassavetes
Acteurs : Ben Carruthers, Lelia Goldoni, Hugh Hurd, Rupert Crosse
Distribution : Orly Films
Durée : 1h21
Genre : Drame
Date de sortie BR : 26 novembre 2013

5/5

Racisme, identité et jazz au programme du premier long-métrage réalisé par John Cassavetes, un drame bouleversant…

Synopsis : Jeune homme tourmenté, Benny passe ses journées à draguer les jolies filles, à jouer de la trompette et à traîner dans les rues de New York avec ses amis Dennis et Tom. Hugh tente de faire carrière comme chanteur de jazz. Lelia rêve de devenir écrivain. Deux frères et une soeur qui vivent sous le même toit et tentent de se faire une place dans la sphère artistique new-yorkaise.

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Ouverture élégante et jazzy sur les notes composées et jouées par Shafi Hadi au saxophone et Charlie Mingus à la contrebasse qui nous accompagnent pour découvrir ces trois membres d’une fratrie qui n’ont pas la même approche de la vie. Dans ce chef d’oeuvre de subtilité, John Cassavetes aborde la question des apparences, du regard que l’on porte sur soi et sur les autres, du racisme et des relations amoureuses avec une profondeur, une subtilité morale, dans une approche cinématographique originale qui s’affranchit des codes hollywoodiens traditionnels de l’époque. La caméra en semi-liberté saisit autant les mouvements physiques que moraux et capte les interrogations, les états d’âme de ces jeunes gens confrontés à des déceptions sentimentales ou professionnelles.

S’il s’était défendu d’avoir réalisé un film politique, John Cassavetes saisit pourtant la réalité du racisme ordinaire, violent, celui qui passe par un simple regard, par un geste de recul. Et ses protagonistes sont des noirs qui revendiquent et se plaignent, face aux insultes, aux humiliations petites et grandes et veulent pouvoir faire vivre leurs velléités créatives. Ils ne sont pas des militants mais sont confrontés au quotidien de l’Amérique des années 50. La richesse de ce film assez magique dans sa simplicité narrative est d’approcher la réalité d’une époque avec des personnages crédibles, réalistes et sans asséner de leçon facile. Car ils ne sont pas des saints, et chacun a des caractères défaillants, autant en privé qu’en public. Le cadet traîne ses guêtres comme une âme en peine incapable de devenir adulte, la soeur choisit une relation avec un type antipathique et veule alors qu’un homme moins séduisant mais plus fiable manifeste lui aussi son intérêt, et l’aîné, fier, refuse les compromis, au grand désarroi de son ami et manager. Ce grand frère aîné, noir comme l’ébène, reproche par ailleurs à son cadet de ne pas connaître ce qu’il subit tous les jours car son teint est plus clair mais il ne fait pas le même reproche à sa soeur, elle aussi à la peau si claire qu’elle est prise pour une blanche par son petit ami bien blanc. Il protège Lelia et méprise Ben, sans en faire grand mystère. Mais c’est aussi un artiste déterminé à s’exprimer librement et ainsi on peut trouver John Cassavetes dans chacun d’entre eux, autant dans leurs défauts que dans leurs qualités. S’il contestait l’approche raciale que l’on pouvait porter sur ce film, il admettait néanmoins la dimension personnelle et se reconnaissait ouvertement dans les atermoiements du jeune Ben, la quête d’absolu de Hugh et le romantisme de Lelia. ‘ Madame Bovary, c’est moi ‘, disait Flaubert et le même parallèle peut être tracé ici, mais sans abus.

Ben est interprété par Ben Carruthers et les deux hommes se retrouveront sur Les Douze Salopards devant la caméra de Robert Aldrich. Dans le rôle du manager et ami tranquille de Hugh, le personnage le plus équilibré et le plus attachant, même si on le remarque à peine, on retrouve le comédien Rupert Crosse décédé en 1973 à l’âge de 47 ans. Premier comédien noir nommé à l’oscar du second rôle (pour The Reivers), il était un ami de Jack Nicholson, qui lui dédia l’Oscar du meilleur acteur qu’il reçut pour le film Pour le pire et le meilleur.

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Shadows est aussi un joli portrait de femme, là encore assez inhabituel. Lelia Goldoni est touchante dans la description douloureuse d’une première expérience sexuelle ratée. Ce thème est abordé avec pudeur mais abordé frontalement. On la voit meurtrie par l’échec de ce rite de passage, ce que le réalisateur capte de façon magnifique, et qu’elle-même n’hésite pas à affirmer à voix haute. Ni tout à fait un viol, ni tout à fait un acte consenti, cet échec est bouleversant, peut-être le passage le plus émouvant de ce film, voire de la filmographie de Cassavetes qui saisit ce trouble féminin comme peu ont su le faire.

À noter également au générique le nom de Seymour Cassel parmi les producteurs, un ami proche qui deviendra l’un de ses comédiens fétiches, même s’il n’est pas présent à l’écran ici.

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Résumé

La révélation d’un grand auteur, Shadows est porté par la musique de Charles Mingus et de beaux interprètes dont Lelia Goldoni, magnifique femme entre deux cultures.

[youtube]http://youtu.be/VZx-I0wJ_8s[/youtube]

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