Critique : Abel

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Pays-Bas, 1986
Titre original : –
Réalisateur : Alex Van Warmerdam
Scénario : Otakar Votocek, Alex van Warmerdam , Frans Weisz
Acteurs : Alex Van Warmerdam, Henri Garcin, Olga Zuiderhoek
Distribution : E.D.Distribution
Durée : 1h40
Genre : Comédie
Date de sortie : 11 juin 1997

Note : 4/5

Les amateurs parisiens de cinéma venu des Pays-Bas, les grands classiques comme les inédits, se sentaient orphelins depuis la fermeture du Centre Culturel Néerlandais (faute de financement local) et la fin de son rendez-vous mensuel à l’Action Christine. Le Reflet Médicis accueille à partir de ce mardi 20 janvier 2015 à 20h30 une nouvelle case intitulée Cinescope néerlandais avec à l’honneur pour ce coup d’envoi Abel, premier long-métrage d’Alex Van Warmerdam, l’auteur des Habitants.

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Synopsis : Abel est un jeune homme de 31 ans qui vit encore chez ses parents. Il a toujours refusé de sortir de chez lui et occupe son temps à saisir au vol les mouches avec sa paire de ciseaux.

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Une mise en scène stylisée

Grâce au succès des Habitants en 1995 (qui reste aujourd’hui le plus grand succès d’E.D. Distribution, l’un des meilleurs distributeurs indépendants en France), le vrai premier film du cinéaste hollandais réalisé six ans avant a eu lui aussi la possibilité de connaître une vraie sortie près de dix ans après sa réalisation. Dans ce vrai premier long, Alex van Warmerdam assume ses origines de théâtreux avec un style qui trouve un juste milieu entre les deux médias avec des décors stylisés, un vrai jeu avec le quatrième mur et un nombre limité de personnages, cinq personnages en quête de hauteurs dans leurs ambitions de vie : un père rigide, une mère bien trop étouffante et un fils à 31 ans qui n’a jamais réussi à quitter la maison trop protectrice, ainsi que deux personnages de séductrices aux tempéraments opposés, une maman et une putain. Une jeune fille bien tranquille va souffrir lors d’une scène de dîner, avec danse violente et dégustation de harengs et une autre qui gagne sa vie en travaillant dans un peep-show, au tempérament plus libre permettra au jeune homme de sortir de sa coquille.

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Déjà pour son premier long, sa mise en scène fait preuve d’une grande inventivité avec une accumulation de scènes bizarres faussement désinvoltes et un environnement de carton-pâte. L’humour dans les situations et les dialogues étranges font de Warmerdam un héritier de Beckett ou Ionesco et un judicieux contemporain de Kaurismaki, dont il partage le goût pour des décors colorés et décalés, mais dans un cadre bien moins réaliste que le finlandais. Alex van Warmerdam a le sens du plan contrôlé et chorégraphie avec soin les mouvements de ses personnages, comme dans une étrange poursuite en quelques séquences folles dans un escalier mécanique puis une salle de réunion. Cela pourrait n’être qu’artificiel, mais en assumant cet aspect irréel jusque dans ses décors (en intérieur et en extérieur) dignes d’un épisode de Godzilla, il crée un univers iconoclaste, réjouissant, avec ce qu’il faut de gravité pour éviter de n’être qu’un court-métrage comique étiré. À noter : le scénario a été écrit avec Frans Weisz et Otakar Votocek, ce dernier étant le scénariste et le réalisateur des étranges Ailes de la renommée où l’on retrouvait notamment Peter O’Toole dans un des meilleurs films de la dernière partie de sa carrière et Marie Trintignant.

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Une famille bien étrange

Interprété par le réalisateur lui-même, Abel, que l’on découvre en voyeur plus inquiétant que celui de Fenêtre sur cour, observe ses voisins en étant bien caché avec ses jumelles. Il porte des pulls d’enfants tricotés par sa mère, tente de tuer des mouches avec des ciseaux (peine perdue), essaie de se suicider pour de faux comme on arracherait une dent, à l’ancienne, avec fil relié à une porte et à une montagne de boîtes à chaussures. Il fait naître le désespoir de ses parents qui le lui rendent bien. Tous plus fous les uns que les autres, ils suscitent parfois le malaise, même détourné par le sens de l’absurde du réalisateur, avec ce doute qui plane sur leurs relations presque incestueuses. Le trouble est confirmé par le récit de la mère au fils de sa rencontre avec son père, monté en parallèle avec la tentative de séduction de ce dernier d’une jeune strip-teaseuse qui séduira ensuite son fils, comme si ces quatre personnages n’en étaient réellement que deux.

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Un drôle de jeu entre le présent et le passé, avec un mystère entre ce qui est réel et ne l’est pas et qui ne sera pas totalement résolu. D’autant plus que le père se déguisera en facteur, emploi du héros des Habitants joué par Van Warmerdam lui-même. Ce père trop proche, malgré lui, de son fils est interprété par Henri Garcin, d’origine néerlandaise, ce que ses rôles dans La Femme d’à côté ou la série Maguy ne laissaient pas deviner. La mère, Olga Zuiderhoek, est un animal, une louve qui couve son bébé et tente de se battre contre sa rivale pour l’affection de ses deux hommes. Si cette famille étrange parvient à retrouver un semblant de normalité en assumant les rôles respectifs de parents et d’enfants, la fin n’est pas totalement rassurante.

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Conclusion

Du cinéma d’Alex van Warmerdam, l’on connaît surtout le premier sorti en salles (Les Habitants) et le dernier (Borgman, sa première sélection en compétition à Cannes en 2013), mais d’autres pépites jalonnent sa carrière, La Robe ou Le Petit Tony ou cette première réussite Abel, à redécouvrir en DVD (chez E.D.Distribution toujours) ou en salles lors de ses quelques passages. Les prochains rendez-vous du Cinéscope néerlandais : Shado’man, documentaire de Boris Gerrets le 3 février 2015 et une soirée d’hommage à Paul Verhoeven le 17 mars 2015.

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