Cannes 2014 à Paris, jour 2 : jeudi 29 mai

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Deuxième journée de reprises des films cannois à Paris, avec deux nouveaux films sélectionnés à Un Certain Regard. Pour commencer, un western métaphysique avec Viggo Mortensen (Jauja) et pour finir le portrait d’un aborigène privé de terre (Charlie’s Country), en errance dans un pays qui ne veut plus de lui. Entre les deux, quatre excellents courts-métrages de la Cinéfondation.

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Jauja (4/5) marque le retour d’un habitué de Cannes qui n’a pas encore reçu son ticket d’entrée pour la compétition. Lisandro Alonso avait présenté le glacé et (trop) opaque Liverpool à la Quinzaine des Réalisateurs en 2008 et son premier, La Libertad, était déjà à Un Certain Regard en 2001. Sans être un film facile, Jauja est son long-métrage le plus accessible. Viggo Mortensen, qui se livre à un investissement physique et moral impressionnant, retrouve les origines danoises de son père en incarnant Gunnar Dinesen. Cet officier se rend en Patagonie à la fin du XIXème siècle pour rejoindre l’armée Argentine et participer à la Conquête du Désert, une campagne militaire menée contre les peuples amérindiens. Lorsque sa fille chérie Ingeborg (Villbjork Mallin Agger qui fait de beaux débuts) s’enfuit avec un soldat, il part à sa poursuite dans cette terre d’abondance et de bonheur. Dans ce paradis terrestre, un enfer va se révéler à cet homme qui ne comprend rien du tout du pays où il vient d’arriver par la mer et par la force. Le récit de sa traque s’ouvre comme du John Ford mais s’en éloignera très vite.

 

Le western vu par Lisandro Alonso ne ressemble pas à La Prisonnière du désert mais plus à une quête métaphysique façon 2001, l’odyssée de l’espace, dans une géographie contrastée. Les étendues arides et sèches de la Patagonie, ses montagnes, sa pampa, ses terres glacées et son atmosphère lourde enserrent le corps et l’âme de cet envahisseur inconscient. Le film est comme un mystère qui ne s’explique pas. Comme pour un autre western moderne contemporain, La Dernière Piste de Kelly Reichhardt, Jauja a été tourné en pellicule, au format 1 :33, ce qui donne l’agréable impression de regarder des photos d’un album de famille dans lequel quelqu’un se plongerait des années plus tard. Le scénario poétique de l’écrivain Fabian Casas joue d’ailleurs avec la perception du temps et le dernier acte agit sur l’esprit du spectateur comme un acte de Providence qui remet le récit en question. Signalons là encore un candidat à la Palme Dog avec ce chien posé tel un sphynx qui mène Gunnar vers une vieille femme qu’il connaît peut-être et qui s’adresse à lui comme un oracle. Le cinéma hypnotique de la grande période de Peter Weir (les années 70) n’est pas loin, dans sa capacité à perdre le spectateur dans un récit non narratif mais d’une grande beauté formelle et de haute tenue littéraire.

Viggo Mortensen (© FDC / C. Duchene)
Viggo Mortensen (© FDC / C. Duchene)

 

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L’autre film d’Un Certain Regard est d’ailleurs lié à ce dernier cinéaste. David Gulpilil, héros de sa Dernière Vague, tient le rôle principal de Charlie’s Country (2,5/5) de Rolf de Heer qui l’avait déjà dirigé dans The Tracker et Dix Canoës. Cette légende du cinéma australien, révélé par Walkabout de Nicolas Roeg alors qu’il n’avait que seize ans, vient d’être récompensé par un prix d’interprétation à Cannes dans cette section. Il incarne avec force un homme déraciné et déclassé, symbole de la perte de repères des aborigènes d’Australie. Leur traitement par l’envahisseur blanc n’est pas moins historiquement scandaleux que le sort réservé aux indiens d’Amérique ou aux amerindiens meurtris en Argentine (voir Jauja). Différents lieux, même éradication d’une population jugée inférieure et de leur culture. Le film est le portrait d’un individu piégé dans un combat perdu depuis bien longtemps mais se révèle tout autant une déclaration d’amour à ce comédien qui doit survivre à ses propres démons. Malgré son statut d’acteur respecté, David Gulpilil s’est un perdu ces dernières années (d’où quelques creux bien regrettables dans sa filmographie) et il est ici comme un ami retrouvé. Le récit n’est pas autobiographique même s’il a participé à l’écriture et livre des morceaux de sa personnalité.

Rolf de Heer l’a retrouvé en prison et lui a offert ce long-métrage dont le titre agit comme une sinistre boutade. Charlie n’a plus de pays, n’a pas de maison et vit seul. Il se ressent comme un guerrier mais n’a pas le droit de porter une arme, même la lance qu’il se fabrique pour chasser lui est confisquée. Comment vivre dans un pays qui ne veut pas de vous et vous empêche de maintenir vos traditions ? Son combat n’est pas isolé, d’autres membres de sa communauté tentent de préserver la mémoire d’un peuple. Si le film est par moment bouleversant, comme une séquence marquante en prison en temps réel où son regard perçant suffit à tout dire, la narration se perd parfois avec son héros, notamment lorsqu’il partage l’infortune de sans-abris et boit toutes ses économies en leur compagnie. On retrouve ce même rapport à la torpeur que l’on pouvait ressentir dans Samson & Delilah de Warwick Thornton, caméra d’or en 2009. Victime d’une baisse de rythme dans sa partie centrale, Charlie’s Country possède néanmoins une réelle force.

Rolf de Heer et David Gulpilil (© FDC / C. Duchene)
Rolf de Heer et David Gulpilil (© FDC / C. Duchene)

 

 

Les jeunes réalisateurs de la Cinéfondation 2014 sur le tapis rouge
Les jeunes réalisateurs de la Cinéfondation 2014 sur le tapis rouge

 

La Cinéfondation, créée en 1998 par le festival de Cannes, soutient les nouvelles générations de cinéastes. Dans le cadre de la reprise de la compétition 2014, il fut notamment possible de découvrir quatre excellents courts-métrages sur les seize en lice choisis parmi les 1600 films d’écoles de cinéma visionnés. Des films prometteurs pour l’avenir de leurs auteurs et qui, cerise sur le gâteau, révèlent de beaux comédiens. Cette reprise intégrale était une première, en espérant qu’elle soit prolongée et peut-être accompagnée d’une séance supplémentaire pour les films de la compétition des courts-métrages, difficiles à voir chaque année à l’exception de la Palme d’or toujours programmé ici ou là. Dimitra Karya, programmatrice de la sélection, soulignait sous forme de boutade que les films ont été primés dans l’ordre où ils ont été programmés : dans le premier programme, les premier et troisième films sont arrivés dans cet ordre, dans le deuxième programme, le deuxième et le troisième ont fini là encore deuxième… et troisième ex-aequo ! La beauté des hasards de la programmation ou une facétie du jury d’Abbas Kiarostami ? Le président avait d’ailleurs souligné la liberté du format court et regrettait le manque d’expérimentation des auteurs en lice et un trop grand classicisme dans la forme des courts-métrages proposés, malgré la qualité des films proposés. Les quatre films ci-dessous sont des films qui privilégient d’ailleurs l’émotion plutôt qu’une stylisation froide et l’on peut préférer ces oeuvres humaines, chaleureuses et pourtant cinématographiques plutôt que des essais formalistes trop froids.

 

Skunk
Skunk

 

Skunk de l’américaine Annie Silverstein (University of Texas à Austin) propose un joli univers, un récit maîtrisé avec une adolescente de 14 ans au Texas, une marginale qui communique avec ses chiens plus facilement qu’avec ses congénères. Sa rencontre avec Marco, un petit séducteur, se passe plutôt bien, jusqu’à un moment embarrassant pour lui. Il s’en va soudainement et part avec l’un des chiens de l’adolescente pour le faire participer à un combat de chiens. Elle va devoir affirmer sa personnalité pour le récupérer sans perdre la face. Joli mise en scène qui capte le désir de son héroïne et sa solitude dans un récit qui sans être d’une grande originalité, laisse entrevoir une personnalité derrière la caméra. La jeune Jenivieve Nugent impose un naturel et elle aussi a un fort potentiel. En une seule scène, Heather Kafka dans le rôle de sa mère, s’impose également. En remportant le premier prix, la réalisatrice est assurée de voir son premier long-métrage présenté à Cannes en sélection officielle. La photo de Nathan Duncan et la musique de William Ryan Fritch sont également de qualité et soulignent la beauté d’une région hantée par les conditions de vie difficile d’un état, le Texas, qui fait naître les meilleurs cinéastes actuels, Jeff Nichols, David Gordon Green ou leur maître Terence Mallick.

 

Ákos Orosz dans Provincia
Ákos Orosz dans Provincia

 

Provincia du hongrois György Mór Kárpáti (University of Theatre and Film Arts de Budapest) : Otto livre des marchandises pour un magasin d’alimentation de Budapest. Lorsque sa camionnette tombe en panne en rase campagne, il se retrouve sur un site de fouilles archéologiques où il va passer la journée. Là encore un récit tranquille qui montre un jeune homme qui s’offre une journée buissonnière et semble trouver un sens nouveau à sa vie en s’intègrant sans difficulté à une communauté de scientifiques. Ákos Orosz dans le rôle principal est excellent et est lui aussi promis à une jolie carrière s’il trouve les bons metteurs en scène pour le faire exister.

 

 Virginia Quaranta et Emiliano Campagnola (Lievito madre)
Virginia Quaranta et Emiliano Campagnola (Lievito madre)

 

Lievito Madre de l’italien Fulvio Risuleo (Centro Sperimentale Di Cinematografia à Rome), troisième Prix de la Cinéfondation, est un étrange croisement entre Possession d’Andrez Zulawski et le Blob, avec la rencontre improbable entre un homme et… une boule de levain faite de farine, d’eau et de miel, retrouvée entre les touches d’un piano. Sa compagne n’apprécie que très modérément sa ‘rivale’ et sa vengeance sera terrible. Un court-métrage original et très étrange, entre burlesque improbable et fantastique décalé avec une séquence érotique inquiétante et un final cruel.

 

Breath
Breath

 

Breath (Soom) de la coréenne Kwon Hyun-ju (Chung-Ang University à Seoul) est un joli drame sur le deuil. Su-in est une jeune femme confrontée au décès imminent de sa mère, maintenue en vie sous respirateur artificiel. Les questions de l’acharnement thérapeutique, du deuil mais plus prosaïquement du coût des soins palliatifs sont traités avec une juste distance. Le style est classique et une très grande émotion passe, notamment grâce à la belle interprétation de Seung Yeon-lee, bouleversante.

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