Critique : The Kingdom of Dreams and Madness

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The Kingdom of Dreams and Madness afficheThe Kingdom of Dreams and Madness

Japon, 2014
Titre original : Yume to kyôki no ôkoku
Réalisateur : Mami Sunada
Scénario : Mami Sunada
Intervenants : Hayao Miyazaki, Isao Takahata, Toshio Suzuki, Hideaki Anno
Distribution : –
Durée : 2h31
Genre : Documentaire
Date de sortie : –

Note : 5/5

Le documentaire de Mami Sunada a ouvert la 9ème édition du festival Kinotayo qui s’est tenu du 25 novembre au 2 décembre dernier au Gaumont Opéra et du 28 novembre au 20 décembre à la Maison de la Culture du Japon. La crainte était réelle de découvrir soir un documentaire hagiographique soit un making-of balourd, heureusement l’ambition de la réalisatrice Mami Sunada est plus riche.

Synopsis : The Kingdom of Dreams and Madness ouvre les portes du fameux studio Ghibli, nous invitant à découvrir sa magie de l’intérieur…

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Ghibli à un tournant historique

En attendant de connaître l’avenir des studios Ghibli, dont la tentative de relève avec Goro Miyazaki (Les Contes de Terremer, La Colline aux coquelicots) ou Hiromasa Yonebayashi (Arriety, Souvenirs de Marnie) n’est pas assurée en raison de succès trop relatifs en comparaison avec les scores nationaux et internationaux du maître Miyazaki, la réalisatrice Mami Sunada propose en guise d’éloge funèbre (provisoire) ce documentaire précieux sur la vie de ce studio emblématique à un tournant vital de son histoire. Elle suit les productions respectives du Vent se lève de Hayao Miyazaki (critique) et du Conte de la Princesse Kaguya de Isao Takahata qui risquent de devenir leurs œuvres testamentaires, le premier ayant officiellement annoncé sa retraite (même s’il laisse entendre qu’il sent avoir les facultés pour continuer pendant encore dix ans) et le deuxième étant âgé de 78 ans et travaillant lentement.

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Miyazaki alors âgé de 72 ans, travaille sans discontinuer de 11h à 21h dans une ambiance relativement bon enfant. Il arborant un tablier d’écolier, attablé à son bureau idoine. Les animateurs sont réunis dans un espace relativement limité qui ressemble à un modeste atelier et s’adonnent à une activité plus artisanale qu’industrielle malgré les contraintes de production et de distribution. Si le personnel semble limité, plusieurs centaines de personnes travaillent pourtant au sein de la Ghibli (en comptant l’activité d’un musée populaire) et cela ne se ressent pas, tant l’ambiance semble intime. Le travail sur Le Vent se lève est observé en détail, avec de nombreux dessins de travail, des story-boards et jusqu’au travail sur les voix, avec la décision qui paraît comme improvisée du casting du réalisateur Hideako Anno dans le rôle principal vocal notamment, en passant par la direction ‘d’acteurs ‘ aux animateurs pour animer le plus correctement possible les personnages selon les coutumes sociales de l’époque dépeinte dans le film.

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Deux créateurs aux tempéraments bien différents

Ce documentaire révèle deux caractères très différents, celui du professionnel Miyazaki, plus fiable pour ses collègues mais un peu plus cassant, capable d’un humour noir terrible sur les personnes âgées notamment, et celui de Takahata plus secret et d’ailleurs quasi invisible à l’écran mais non moins admiré des autres et notamment de Miyazaki qui reconnaît lui devoir beaucoup, même s’il se montre parfois agacé par ses retards dans son tournage de Kaguya ! L’on observe ainsi deux rapports différents à la création mais aussi à la vie dans cette oeuvre passionnante qui révèle des choses factuelles mais surtout des états d’esprit de deux créateurs si proches (ils partagent leur activité professionnel depuis plusieurs dizaines d’années) et de leur hyper sensibilité. La relation emblématique avec Isao Takahata est largement évoquée dans ses bons et mauvais côtés. Les deux hommes ont commencé à collaborer pour une revue d’animation (avec leur producteur Toshio Suzuki déjà) et créé ensemble un manga qui allait donner naissance à Nausicaa. Si le très organisé Miyazaki se désole du désordre laissé par Takahata dans le studio après Mes Voisins les Yamada et de sa difficulté à finir ses films s’il n’est pas poussé à le faire, il en fait l’éloge à maintes reprises, car le studio lui doit beaucoup, Takahata apparaissant clairement comme le mentor de Miyazaki, celui sans qui il n’aurait pas eu la même carrière et qui a cerise sur le gâteau, découvert le compositeur indispensable Joe Hisaishi. Son influence est clairement majeure dans leurs parcours respectifs malgré sa discrétion et sa moindre notoriété internationale.

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Les témoignages de leurs collaborateurs sont pertinents et enrichissent le propos pédagogique sur ce à quoi ressemble le travail au sein des studios Ghibli. Autre retraité des studios, le producteur fidèle Toshio Suzuki (par ailleurs guitariste comme on le découvre ici) évoque lui aussi sa retraite et son étroite collaboration avec les deux grands maîtres du cinéma d’animation japonais auxquels on doit tant de moments marquants. On devine sa relation compliquée avec eux et la difficulté de s’impliquer auprès de ces réalisateurs septuagénaires qui ne veulent plus vraiment réaliser de films mais continuent néanmoins, portés encore par leur envie de raconter de nouvelles histoires et de maîtriser leur art. Car si le poids des ans marquent Miyazaki et Takahata, on sent qu’il leur est difficile de déléguer leur capacité créative. Les autres collaborateurs évoquent comment les deux cinéastes s’approprient l’énergie des autres, Miyazaki surtout mais Takahata également, certains ayant abandonné à cause de la pression et de l’exigence de Miyazaki, certains craquant sous le poids de ses exigences.

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Miyazaki se révèle

Le portrait de Miyazaki est particulièrement savoureux et révélateur. On le voit faire sa gymnastique (un peu comme Eric Rohmer se montrait très physique dans La Fabrique du Conte d’été de Françoise Etchegaray et Jean-André Fieschi) mais surtout il se livre comme rarement, malgré un tempérament ombrageux sur lequel planent encore les moments difficiles de sa vie. Reconnu comme un génie aujourd’hui (il vient d’ailleurs de recevoir un Oscar d’honneur cette année), on sent le poids des moments moins heureux. Il reconnaît ne pas tout comprendre de ses films (Le Voyage de Chihiro en particulier), se révèle contradictoire dans son rapport à son cinéma et dans sa relation à Takahata à qui il reconnaît devoir tout mais dont il se lasse de la lenteur, surtout dans le tournage de Kaguya, se désolé d’avoir engagé autant de personnel mais n’est pas peiné de la fermeture éventuelle de Ghibli puisqu’il la considère inévitable (avec un petit côté ‘après moi, le déluge’).

Isao Takahata, Toshio Suzuki et Hayao Miyazaki
Isao Takahata, Toshio Suzuki et Hayao Miyazaki

Ses propos sont parfois portés par une sincérité désarmante et cruelle comme ses commentaires sur les personnes âgées qui affichent le poids des ans. ‘Je vois des gens comme ça, je veux qu’ils partent, allez mourir !’… C’est dit avec une pointe d’humour mais aussi un peu de méchanceté vacharde, reflétant par ailleurs une peur de mal vieillir toute personnelle. Les otakus en prennent aussi pour leur grade (même s’il n’est pas loin d’en être un lui-même) tout comme la chaîne de télévision NHK qui tente de censurer le contenu politique et historique du Vent se lève alors qu’il a toujours été libre de faire ce qu’il veut. L’indépendance de Miyazaki ressort pleinement dans ce film qui évoque son rapport au monde, à la politique (ses films ne sont pas vraiment engagés) mais aussi à une certaine esthétique de vie. Il tient aussi de jolis propos, évoquant comment ‘un film magique peut surgir d’une ville monotone et de son pouvoir d’évocation’ ou lorsqu’il parle du courrier reçu d’un homme qui a bénéficié d’un joli geste de son père pendant la guerre et comment ce moment a été pour cet homme un modèle dans le reste de sa vie.

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Un regard de grande documentariste

Le résultat est ainsi émouvant, drôle et pédagogique. The Kingdom of Dreams and Madness est réalisé par Mami Sunada qui se révèle comme un nom majeur du film non fictionnel du cinéma asiatique après un autre grand moment de cinéma du réel, Death of a Japanese Salesman, consacré aux derniers jours de son père victime d’un cancer. Ce que saisit Mami Sunada est la volatilité de la créativité mais aussi l’exigence de perfection des deux patrons de la Ghibli, en évitant tout discours mais en parvenant à saisir le travail pendant qu’il se fait. Sa chance a été de tourner ce film, son talent a été de savoir utiliser cette belle opportunité, n’hésitant pas à questionner les uns et les autres, conservant dans le montage des moments qui pourraient être embarrassants mais au final révèle des personnalités complexes et donc humaines, loin des génies parfaits parfois décrits. Et pourtant le regard est bienveillant et admiratif, ce qui passe par ce regard qui ne se détourne pas.

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Voir notre critique du film Souvenirs de Marnie de Hiromasa Yonebayashi, le nouveau et dernier pour l’instant film du Studio Ghibl qui sortira le 14 janvier 2015 en France.
Voir notre news sur l’exposition des studios Ghibli
Galerie de photos : The Kingdom of Dreams and Madness.

Conclusion

En résumé, un documentaire magistral (qui mériterait de trouver le chemin des salles) dans ce qu’il montre et dans ce qu’il parvient à démontrer en adoptant une juste distance et en glissant comme dans les œuvres de ces sujets une pointe d’étrange, avec ce chat blanc échappé des contes magiques de Miyazaki dont les multiples apparitions semblent mises en scène et d’autres plus spontanées lorsqu’il se détourne de la caméra ou attend qu’on lui ouvre une porte fermée. La force de Mami Sunada est de signer une œuvre autant pédagogique que poétique, sans enfermer les créateurs qu’elle rencontre dans des images préconçues. Rêve et réalité s’imbriquent dans Le Voyage de Chihiro, Mon voisin Totoro et autres Château dans le ciel et ce n’est pas la moindre réussite de la réalisatrice de nous avoir fait ressentir cela dans son propre film.

http://youtu.be/z5IM2IwA7FU

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