Test DVD : Pour Clémence

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Pour Clémence

France : 1977
Réalisation : Charles Belmont
Scénario : Charles Belmont, Marielle Issartel
Acteurs : Eva Darlan, Jean Crubelier, Clémence Pouey de Graaf
Éditeur : L’éclaireur
Durée : 1h36
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie cinéma : 19 octobre 1977
Date de sortie DVD : 11 avril 2023

Un ingénieur aéronautique, quarantenaire passionné par son métier, choisit néanmoins un chômage bien indemnisé en guise d’année sabbatique. Que se passe-t-il quand l’espace de la ville et le temps ne sont plus balisés par l’emploi ? Où sont les merveilleux projets ? Où sont les ressources intimes ?

Le film

[4/5]

Ingénieur chez Aérofrance depuis 15 ans, travaillant dans la région parisienne, Michel est licencié pour avoir refusé une mutation à Toulouse, puis une autre à Nantes. Dommage pour la Société qui l’employait car il était bien noté par sa hiérarchie. Dommage pour lui car il aimait son travail. Mais, après tout, « il y a des trucs que j’ai jamais pu faire, c’est le moment ou jamais » dit il à Sarah, son épouse ; « Et je suis encore prof », rétorque-t-elle ! Alors que la radio ne cesse de diffuser des messages stigmatisant l’absentéisme et affirmant que le travail, c’est le devoir des citoyens et qu’il faut se lever pour aider le pays à produire, c’est donc plutôt dans la joie que Michel se prépare à un jour de travail supplémentaire,  son licenciement intervenant à la fin du mois de février d’une année bissextile. Une dernière journée de travail dont Michel va profiter pour ne rien faire ! Mais après ? Michel est-il prêt pour profiter de ce « droit à la paresse » évoqué en 1880 par Paul Laffargue, le gendre de Karl Marx ? Ne va-t-il pas s’apercevoir très vite qu’il ne sait pas quoi faire du temps maintenant qu’il lui est donné ? Va-t-il supporter longtemps le fait d’être le seul homme à la sortie de l’école lorsqu’il va chercher sa fille, la petite Clémence ? Sarah va-t-elle supporter longtemps d’avoir « l’ordre de la maison qui n’est plus son ordre », de se sentir « dépossédée de son pouvoir » ?

Quatrième long métrage réalisé par Charles Belmont, considéré à sa sortie comme étant le premier film d’écologie politique, Pour Clémence est donc un film réalisé en 1977 sur le travail, plus précisément sur la valeur travail. Le travail est-il indispensable pour qu’un être humain trouve son épanouissement ? Si oui, pourquoi, actuellement, toutes ces grèves, toutes ces manifestations contre un projet gouvernemental rajoutant deux ans de travail supplémentaires avant le départ à la retraite ? Pour Clémence montre de façon très claire que peu de choses ont changé en 45 ans concernant les rapports des … travailleurs avec cette valeur travail, même si on parle de plus en plus d’un revenu universel qui ne serait plus rattaché à l’exécution d’un travail. Que ce soit à droite ou à gauche, des voix continuent de s’élever pour encenser, pour sacraliser le travail. Mais de quel travail parle-t-on ? Par exemple, d’un simple point de vue écologique, doit on mettre sur le même plan le travail d’un agriculteur d’une exploitation travaillant en bio et celui d’un agriculteur travaillant dans l’agriculture intensive ? Comme l’explique très clairement le philosophe Patrick Viveret dans un des suppléments disponibles sur le DVD, le langage dispose de plusieurs mots qui donnent l’impression d’avoir à peu près la même signification mais qui, ne serait-ce que par leurs étymologies, ont des sens bien différents : travail, métier, emploi. Il ne serait pas d’ailleurs pas inutile de rajouter occupation et activité à cette liste ! Dans son rapport au travail, Michel avait d’un côté un emploi, c’est à dire un rapport de dépendance par rapport à son employeur, de l’autre un métier, rattaché à son emploi, un métier qu’il aimait et qui, pour lui, s’apparentait à une vocation, à un projet de vie. Le fait d’avoir perdu son emploi a fait qu’il se retrouve sans véritable projet de vie et il ne le supporte pas, sans aller pour autant jusqu’à accepter un nouvel emploi à l’opposé de ses convictions éthiques. Contrairement à tou.te.s ces retraité.e.s qui s’éclatent dans des activités non rémunérées au sein, par exemple, d’associations, Michel reste au milieu du gué, sans occupation « enrichissante », le fait d’être devenu homme au foyer lui montrant quand même ce qu’est trop souvent la vie des femmes avec leurs doubles journées de travail. Là aussi, 45 ans plus tard, les choses n’ont guère changé en matière d’égalité entre les hommes et les femmes !

Sur un tel sujet, on aurait pu craindre un film didactique, ou académique, voire les deux à la fois. Il n’en est rien, le réalisateur sachant utiliser avec brio des ruptures de ton d’une scène à l’autre, passant sans coup férir de l’émotion au caustique, allant jusqu’à utiliser l’animation dans un esprit proche de celui des Monty Python. Une certaine forme d’humour trouve sa place dans Pour Clémence, un humour très fin auquel participent les interventions de la petite Clémence à qui, en quelque sorte, le film est dédié. Pour le bonheur des spectateurs, Pour Clémence est donc un film exempt de didactisme et d’académisme qui fusionne de grandes qualités au niveau du fond et de très belles qualités formelles avec un travail très soigné sur l’image, avec beaucoup de scènes très sombres ainsi qu’un travail remarquable sur les couleurs. On ajoutera que le film bénéficie d’une musique à la fois énergique et sarcastique, une musique de jazz composée et interprétée par Michel Portal et Jean Schwarz et à laquelle participe la contrebasse de Jean-François Jenny-Clark. Quant à la distribution, elle met face à face Jean Crubelier, l’interprète de Michel, au jeu très proche de celui des acteurs de la Nouvelle Vague des années 60, et Eva Darlan, l’interprète de Sarah, dont le jeu aurait toute sa place dans le cinéma d’aujourd’hui. Loin d’être  un handicap pour le film, cette grande différence apporte au contraire un intéressant effet d’opposition et de surprise qui n’était probablement pas prévu lors de la réalisation du film.

Le DVD

[4.5/5]

C’est grâce à Marielle Issartel que les spectateurs d’aujourd’hui peuvent découvrir ou redécouvrir le cinéma de Charles Belmont. En effet, celle qui fut la compagne et la monteuse du comédien devenu réalisateur, celle à qui il arrivait de participer à l’écriture du scénario comme c’est le cas pour Pour Clémence, s’attache patiemment à faire restaurer les films de Charles Belmont et à les faire ressortir en salles et/ou en DVD. Concernant Pour Clémence, le travail à réaliser pour une sortie en DVD s’avérait a priori difficile. En effet, ce film comprend de nombreuses scènes très sombres, le genre de scènes dont la restitution sur le format DVD, avec ses limites, est rarement pleinement satisfaisante. In fine, le travail réalisé sur Pour Clémence aboutit sur ces scènes à un résultat tout à fait honorable, les scènes plus éclairées ayant elles un excellent rendu. Le son Dolby digital 2.0 est de bonne qualité, et il peut être accompagné, si besoin est, par un sous-titrage.

Le DVD ajoute à la vision du film 3 suppléments très intéressants, directement ou indirectement liés au film. Le premier de ces suppléments a pour titre La coagulation des jours, un court métrage de 19 minutes réalisé en 2009 par Michaël Lellouche et qui montre que, si certains, comme Michel, peuvent tomber dans le désœuvrement et l’ennui lorsqu’ils sont en dehors de l’emploi, cela peut également arriver à certains dans le cadre d’un emploi. Plus directement lié à Pour Clémence, un entretien de 23 minutes mené par Marielle Issartel avec Philippe Rousselot, le Directeur de la photographie du film, qui avait commencé à travailler avec Charles Belmont comme assistant opérateur sur Rak, puis comme chef opérateur sur Histoire d’A et qui est aujourd’hui considéré comme un des grands Directeurs de la photographie de son époque. Au milieu de nombreuses anecdotes, il y parle de ce choix de « faire » des nuits pourpres, nécessitant à l’époque de décaler les machines de tirage et de bien se positionner en matière de lumière au moment de la prise de vue alors qu’aujourd’hui, « il suffirait d’appuyer sur un bouton ». Le troisième supplément est un entretien de  29 minutes, lui aussi mené par Marielle Issartel, avec le philosophe Patrick Viveret, ami proche de Charles Belmont. Il revient sur tout ce qui tourne autour de la valeur travail, avec le rapport de dépendance qu’on trouve dans l’emploi, face au projet de vie d’un métier qu’on fait par vocation, tout en rappelant que, chez les grecs de l’antiquité, le travail, si valorisé aujourd’hui, était réservé aux esclaves !

 

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