Test DVD : Loin de mon père

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Loin de mon père

loin de mon père dvd Israël : 2014
Titre original : Harcheck mi headro
Réalisateur : Keren Yedaya
Scénario : Keren Yedaya, d‘après l’œuvre de Shez
Acteurs : Maayan Turjeman, Tzahi Grad, Yaël Abecassis 
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h33
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 25 février 2015
Date de sortie DVD : 9 juillet 2015

 

Moshe et Tami sont en couple. Moshe a cinquante ans, Tami est à peine entrée dans la vingtaine. Ils vivent une relation cruelle dont Tami ne semble pas pouvoir se libérer. Tami et Moshe sont père et fille.

 

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Le film

[3.5/5]

La réalisatrice israélienne Karen Yadeya tourne peu, mais ses films ne laissent jamais indifférent : Mon Trésor, son premier long métrage, film sur la prostitution, avait obtenu la Caméra d’Or au Festival de Cannes 2004 ; Jaffa, son deuxième, film sur les relations entre arabes et israéliens dans une ville israélienne, avait été présenté en sélection officielle du Festival de Cannes 2009, dans une séance spéciale ; présenté dans la sélection Un Certain Regard lors du Festival de Cannes 2014, Loin de mon père, film sur l’inceste, a le plus souvent beaucoup choqué et a fait l’objet d’un rejet assez massif de la part de la critique et du public. Rejet mérité, ou pas ?
Le scénario de Loin de mon père est une adaptation de Loin de son absence, un roman écrit par Shez, une écrivaine israélienne, elle-même victime d’inceste dans son enfance. Le film raconte l’existence de Tami, une jeune femme d’une vingtaine d’années, qui vit en couple avec Moshe, un homme qui a environ 30 ans de plus qu’elle. Un homme qu’elle aime et qu’elle déteste à la fois. Un homme qui la bat lorsqu’elle ne le satisfait pas. Un homme dont elle est la chose et qui, sans la séquestrer au sens propre du terme, l’a enfermée dans les tâches ménagères et la satisfaction de ses propres (!) pulsions sexuelles. Un homme qui pousse la perversité jusqu’à faire venir une maîtresse chez eux un soir de Pessa’h. Cet homme, c’est son propre père.

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Au sens propre du terme, Loin de mon père est un film d’horreur, ce qui peut expliquer le rejet qu’il peut provoquer. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas d’une horreur fabriquée pour le cinéma, genre vampires ou méchants extraterrestres, mais d’une horreur qui, malheureusement, existe pour de vrai. Cette horreur, Keren Yedaya veut la combattre avec son arme, le cinéma. Pour combattre une telle horreur, il faut en montrer tous les ressorts. Il ne s’agit pas de faire du voyeurisme, il s’agit tout simplement de faire du spectateur un témoin du caractère tout à la fois ambigu et malsain de la relation qui lie Tami et Moshe. Cela implique de montrer que si Tami aime son père, au point d’être jalouse lorsqu’il va aimer ailleurs, elle se partage entre amour et dégoût en ce qui concerne son propre corps : d’un côté, elle passe beaucoup de temps à le laver, à le purifier, de l’autre côté, l’humiliation qu’elle ressent la pousse à se goinfrer de Kinder Bueno et à se mutiler à coup de scarifications. Cela implique de montrer que son père, tout ignoble qu’il est, sait parfois se montrer tendre avec sa fille. Cela implique de montrer que si Tami arbore quasiment en permanence un visage renfrogné, il lui arrive, à de rares occasions, de sourire ou même de rire en présence de son père. Cela implique de montrer que le bourreau de Tami ne se pose jamais la moindre question sur son propre comportement. « Je ne mérite pas cette scène », crache-t-il lorsque Tami ose émettre une récrimination. Cela implique de montrer la façon dont le « couple » pratique la sexualité, de montrer, en particulier, que Tami y apparaît consentante. Consentante en apparence, car sous l’emprise totale de son père, le seul homme qu’elle ait jamais connu. Ajoutons que, ces scènes de sexe, Keren Yedaya les montre avec beaucoup de pudeur, sans nudité, dans une pénombre qui fait qu’on ne voit pratiquement rien tout en ressentant un profond malaise. Cela implique de montrer que les voisins les plus proches ne sont pas forcément capables de comprendre le caractère anormale de la relation qui lie un père et sa fille. Cela implique de montrer, enfin, que, bien souvent, le seul moyen de se libérer de l’inceste réside dans une rencontre avec quelqu’un qui va vous comprendre et va vous aider à briser la camisole qui s’est construite autour de vous.

Certains voudront voir dans ce film une métaphore du conflit entre Israël et la Palestine : la réalisatrice s’en défend avec force, son seul but étant de faire bouger les lignes sur le seul sujet de l’inceste. Avec une mise en scène d’une grande sobriété, Keren Yedaya secoue le spectateur, bien aidée qu’elle est par une distribution sans faille. Si Maayan Turjeman, qui joue Tami, tourne ici son premier film, Tzahi Grad, qui joue Moshe, est un comédien et réalisateur reconnu en Israël. Et que dire de Yaël Abecassis, véritable pilier du cinéma israélien et qui, ici, joue Shuli, la « rencontre » que va finir par faire Tami ? Le cinéma de Keren Yedaya n’est pas un cinéma de repos ou de paresse, mais c’est un cinéma important, un cinéma de courage. En fait, il y a un peu de Haneke chez elle.

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Le DVD

[4/5]

Le « bonus » de 11 minutes que nous offre Blaq Out devrait permettre à celles et ceux qui pourraient avoir un sentiment de rejet à la vision du film de comprendre que Loin de mon père est tout sauf une agression envers les spectateurs et que le fait de montrer, avec beaucoup de pudeur, des scènes d’amour entre le père et sa fille était nécessaire pour montrer la complexité du phénomène de l’inceste et, ce faisant, mieux le dénoncer. Ce supplément, c’est un entretien avec Keren Yedaya, tourné en mai 2014, à l’occasion de la projection cannoise de son film dans le cadre de la sélection Un Certain Regard. Dans cet entretien, la réalisatrice explique donc avoir voulu s’éloigner des clichés trop souvent présents lorsque le cinéma s’intéresse à l’inceste : « un homme très méchant et une toute petite fille terrorisée ». Pour elle, même s’il y a consentement de la part de la victime, l’inceste est un viol. D’une manière générale, Keren Yedaya dit vouloir faire un travail social et politique, vouloir essayer, modestement, de changer la société avec ce qu’elle tourne. Elle y confesse également sa passion pour le zoom, un procédé cinématographique qui apporte ce qu’elle recherche et dont la modestie lui convient parfaitement.

Très logiquement, le film n’est visible qu’en version originale (hébreu) sous-titrée. Concernant le son, on a le choix entre Dolby stéréo 2.0 et Dolby Digital 5.1. Visuellement, certaines scènes sont très sombres : en fait, on ne fait que deviner ce qui se passe. Cela ne vient pas du transfert sur DVD : il s’agit des scènes sexuelles entre le père et sa fille, scènes qu’il était nécessaire de « montrer » tout en ne les montrant pas de façon frontale et ostentatoire. Pour les autres scènes, le transfert sur DVD est excellent.

Ce DVD est disponible chez Blaq Out.

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