Test Blu-ray : Slocum et moi

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Slocum et moi

France, Luxembourg : 2025
Titre original : –
Réalisation : Jean-François Laguionie
Scénario : Anik Le Ray, Jean-François Laguionie
Acteurs : Elias Hauter, Grégory Gadebois, Coraly Zahonero
Éditeur : Condor Entertainment
Durée : 1h13
Genre : Animation
Date de sortie cinéma : 29 janvier 2025
Date de sortie DVD/BR : 1 décembre 2025

1er juillet 1895 : Le capitaine Joshua Slocum quitte Boston pour le premier tour du monde à la voile en solitaire. Il a 51 ans. Il est le premier marin à avoir accompli un tour du monde à la voile en solitaire. 1er juillet 1949 : Pierre commence à construire un bateau dans le jardin de son pavillon de banlieue sur les bords de la Marne. Un bateau qui doit aussi courir les mers… Tout les sépare. Le temps, l’espace… L’un est marin, l’autre ne l’est pas… Peut-on comparer les deux voyages ? Le premier se déroulera sur les quatre océans du monde, le second ne quittera pas les limites du jardin… Mais c’est aussi une véritable aventure, car c’est l’histoire de la construction d’une famille…

Les films

[4/5]

Il y a des films qui se construisent comme des cabanes bancales, et Slocum et moi ressemble à une embarcation bricolée dans un jardin de banlieue, mais qui finit par flotter dans l’imaginaire collectif comme un paquebot de souvenirs. Jean-François Laguionie, 86 ans, vétéran de l’animation française, transforme une histoire intime en fresque universelle : un enfant des années 50, François, voit ses parents ériger une réplique du voilier de Joshua Slocum. Ce bateau ne prendra jamais la mer, mais il devient le radeau de la mémoire, un objet de transition entre enfance et âge adulte. Slocum et moi raconte moins une aventure maritime qu’une traversée intérieure, où le voilier devient métaphore d’une quête de liberté, d’un besoin de se construire soi-même en même temps qu’on assemble des planches de bois. Ce bateau, c’est un peu le « Palais idéal » du facteur Cheval : une construction impossible, une utopie domestique. Et mine de rien, cela en dit beaucoup, non seulement sur Jean-François Laguionie, mais aussi sur la France d’après-guerre, encore engluée dans ses ruines mais déjà tournée vers des horizons fantasmés.

Dans Slocum et moi, l’animation choisit la douceur plutôt que l’esbroufe. Les traits sont simples, les couleurs pastel, comme si le film refusait de hurler pour mieux chuchoter à l’oreille du spectateur. Comme à son habitude, Jean-François Laguionie refuse le clinquant numérique pour préférer la texture du dessin, comme si chaque trait de crayon contenait une ride du temps. Les couleurs du film, légèrement délavées, évoquent les albums photo jaunis qu’on retrouve dans les greniers. Ce choix esthétique n’est pas qu’une coquetterie nostalgique : le minimalisme visuel de l’ensemble épouse parfaitement les thématiques du film, à savoir la lenteur, la patience, l’attente. Construire un bateau qui ne verra jamais la mer, c’est accepter que l’important n’est pas le départ mais le chemin. On pense à d’autres œuvres de Jean-François Laguionie bien sûr, telles que Louise en hiver ou Le voyage du prince, dans lesquels l’animation se mettait déjà au service d’une méditation sur le temps et la mémoire.

Dans Slocum et moi, le bateau devient un personnage à part entière, une carcasse de bois qui incarne l’obsession paternelle. Le père adoptif, surnommé Slocum, est un homme qui construit pour ne jamais naviguer, qui rêve pour ne jamais partir. Ce paradoxe est au cœur du film : l’aventure immobile. L’enfant grandit à l’ombre de ce navire fantôme, et l’animation traduit cette tension par des cadrages où le bateau occupe l’espace comme une cathédrale domestique. On pourrait dire que Slocum et moi est un film sur l’impossibilité du voyage, mais ce serait trop simple : c’est surtout un film sur la nécessité du rêve, même lorsqu’il échoue. C’est aussi une réflexion sur la filiation et l’héritage, dans le sens où le film interroge la manière dont les enfants héritent des obsessions des adultes, parfois pour les prolonger, parfois pour s’en libérer. Cette tension traverse chaque séquence, et l’animation, avec ses cadrages souvent fixes, accentue cette impression de destin figé. Pourtant, la fluidité des mouvements et la tendresse des voix apportent une respiration, comme une bouffée d’air marin dans un jardin trop étroit.

Comme dans les autres films de Jean-François Laguionie, il y a dans Slocum et moi une poésie discrète, qui refuse les grands effets mais s’autorise à l’occasion des images saugrenues. La mise en scène, qui privilégie les plans larges, semble vouloir nous rappeler que l’histoire individuelle s’inscrit dans un contexte collectif : la France des années 50, marquée par la reconstruction et les rêves d’ailleurs. Le voilier devient symbole d’une génération qui voulait s’évader, mais qui devait composer avec les ruines du passé. L’animation, en refusant le spectaculaire, souligne cette tension entre désir et réalité. Le spectateur est invité à contempler, à prendre le temps ; Slocum et moi s’impose ainsi comme une œuvre méditative, tendre et singulière. Loin des blockbusters animés saturés d’effets, il propose une expérience intime et rappelle que l’animation peut être un art de la lenteur, un art de l’écoute, un art de la patience. Et dans un monde saturé de bruit, cette discrétion est probablement la plus belle des audaces, s’pas ?

Le coffret Blu-ray

[4/5]

On peut l’affirmer d’entrée de jeu : l’édition Prestige Blu-ray + DVD + Livret de Slocum et moi proposée par Condor Entertainment est un objet qui mérite le détour. Le packaging est remarquable : boîtier élégant, visuel poétique, livret collector annoté par Jean-François Laguionie. On sent la volonté de créer un objet de collection, pas seulement un support technique. Techniquement parlant, l’image du Blu-ray restitue avec finesse les couleurs pastel du film. Les contrastes sont équilibrés, les noirs profonds, et la définition permet d’apprécier chaque détail du trait. Quelques séquences nocturnes montrent une légère perte de précision, mais l’ensemble reste d’une grande qualité. Le son, qui nous est proposé en DTS-HD Master Audio 5.1, enveloppe le spectateur avec douceur. Les dialogues sont clairs, la musique de Pascal Le Pennec bénéficie d’une belle dynamique, et les ambiances discrètes trouvent leur place dans le mixage. Pas de démonstration tonitruante, mais une spatialisation cohérente qui respecte l’esprit contemplatif du film.

Les suppléments de Slocum et moi constituent un véritable festin pour les amateurs d’animation. Le livret de 64 pages, annoté par Laguionie, offre une plongée dans l’univers créatif du réalisateur, du début à la fin du projet. Le making of du film (26 minutes), intitulé « Le marin imaginaire « , revient également sur la genèse du projet et les différentes étapes ayant mené à la réalisation du film, avec des témoignages passionnés qui éclairent la démarche artistique. Le making of de la musique du film (8 minutes) permet de comprendre comment la partition a été pensée pour accompagner la lenteur et la poésie des images. Enfin, le storyboard animé avec voix off (1h07), est sans doute le supplément le plus fascinant : il révèle la construction du récit, la manière dont chaque plan a été pensé avant d’être animé. Ces bonus, loin d’être anecdotiques, prolongent l’expérience du film et permettent de mesurer l’ampleur du travail accompli. L’ensemble est cohérent, généreux, et confirme que Condor Entertainment a voulu offrir une édition Blu-ray à la hauteur de la classe de l’œuvre.

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