Test Blu-ray : La Petite sœur du Diable

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La Petite sœur du Diable

Italie, Espagne : 1979
Titre original : Suor omicidi
Réalisation : Giulio Berruti
Scénario : Giulio Berruti, Enzo Gallo, Alberto Tarallo
Acteurs : Anita Ekberg, Alida Valli, Massimo Serato
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h29
Genre : Thriller, Giallo
Date de sortie cinéma : 30 janvier 1980
Date de sortie Blu-ray : 15 février 2022

Dans la région de Lugano, Sœur Gertrude travaille au sein d’un hôpital prenant en charge des personnes âgées. Après une récente opération d’une tumeur au cerveau, la religieuse a développé une addiction à la morphine, ainsi qu’au sexe, la plongeant peu à peu dans la paranoïa. Et, pour couronner le tout, des patients sont bientôt assassinés dans l’établissement. Très vite, une partie du personnel suspecte Sœur Gertrude d’être la criminelle…

Le film

[3,5/5]

Les voies de l’édition vidéo sont impénétrables. S’il nous faut parfois attendre des mois avant de pouvoir se repaître de petits délices « Bis » transalpins en Blu-ray ou DVD, en ce début avril, il semble que les éditeurs français se soient donnés le mot, et aient décidé de combler de joie les amateurs de thriller italien. Ainsi, grâce aux efforts conjoints de Sidonis Calysta, Le Chat qui fume et Artus Films, on est aujourd’hui en mesure d’ouvrir notre « Semaine du Giallo » : tous les matins jusqu’à vendredi, vous trouverez le test Blu-ray d’un nouveau représentant du Giallo, genre très prolifique en Italie tout au long des années 70.

Dans le cas où vous seriez totalement étranger au genre, la page de vulgarisation Wikipédia consacrée au Giallo nous explique qu’il s’agit d’un « genre de film d’exploitation italien à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme (…) Les films de ce type sont caractérisés par de grandes scènes de meurtres excessivement sanglantes, un jeu de caméra très stylisé et une musique inhabituelle (…). Ces films mettent en avant la violence sadique et brutale, l’érotisme. La forme primitive de ce cinéma est l’image d’une femme, seule chez elle et qui a peur ».

On ajoutera à cela que mis à part une volonté régulière de mettre en scène une bourgeoisie décadente commettant des actes criminels en toute impunité, le Giallo se tient globalement à distance des prises de position politiques nettes et engagées des films italiens de la même époque, et qu’il développe souvent des atmosphères baroques et morbides, qui traduisent peut-être le poids de cette bonne vieille culpabilité catholique.

Semaine du Giallo, Jour #5 – La Petite sœur du Diable

C’est déjà la fin de notre « Semaine du Giallo », et La Petite sœur du Diable, le cinquième film que nous aborderons cette semaine n’est pas, à proprement parler, un « pur » représentant du genre, dans le sens où il mêle les thématiques et motifs du Giallo et ceux de la « Nunsploitation ». Petit cousin du « Film d’inquisition » avec qui il partageait le contexte et une partie des thématiques, le sous-genre du cinéma d’exploitation appelé « Nunsploitation » a connu son heure de gloire dans la première moitié des années 70, principalement en Italie et au Japon. Né du succès international des Diables de Ken Russell en 1971, le genre impliquait – comme son appellation l’indique – la présence de nonnes, de « bonnes sœurs » chrétiennes résidant dans un couvent, la plupart du temps au Moyen-Âge. Jonglant toujours avec des thèmes de nature religieuse ou sexuelle, la Nunsploitation était un genre dont la popularité s’est largement construite sur un parfum de souffre ou de scandale – la surenchère dans la violence et l’érotisme y était souvent de mise afin de « choquer le bourgeois » de l’époque.

Pourtant, La Petite sœur du Diable n’est ni réellement un Giallo, ni réellement un Nunsploitation. La page Wikipedia française consacrée au film de Giulio Berruti le qualifie pourtant de Giallo. La page Wikipedia américaine le qualifie de Nunsploitation. La vérité se situe quelque-part entre les deux. Il est d’ailleurs assez intéressant de noter qu’en dépit des deux genres dans lesquels on classe le film, et qui sont tous deux des genres dits « d’exploitation » peu enclins au réalisme, La Petite sœur du Diable est en réalité basé sur une histoire vraie, celle de Cécile Bombeek, nonne toxicomane ayant commis une série de meurtres dans un hôpital gériatrique à Wetteren en Belgique, en 1977. Grâce à cette caution sérieuse, le film a pu bénéficier d’un casting relativement prestigieux, mené par Anita Ekberg, l’actrice de La Dolce Vita, qui incarne la fameuse bonne sœur aux pulsions meurtrières. On notera également la présence au générique d’Alida Valli, qui jouait déjà dans le film qu’on a chroniqué hier, L’œil du labyrinthe, Joe Dallesandro, un habitué d’Andy Warhol et Paul Morrissey, le toujours excellent Lou Castel ou encore la jeune Paola Morra, qui assurait le quota de nudité gratuite du film.

Mais qui dit nudité gratuite ne dit pas forcément vulgarité, n’est-ce pas, et le moins que l’on puisse dire, c’est que si la nature de film d’exploitation de La Petite sœur du Diable ne fait aucun doute, il a fort à parier pour que les aspirations artistiques du réalisateur Giulio Berruti aient été un peu plus exigeantes au moment de la mise en boite de son film. Bien déterminé à traiter son sujet sous l’angle du fait divers, avec le maximum de sérieux et de respect pour les victimes, même si bien sûr le film n’évite pas forcément les excès. Cela dit, l’atmosphère du film évite assez brillamment le sordide et la complaisance.

La Petite sœur du Diable, c’est donc avant tout le récit d’une double personnalité, d’une schizophrénie galopante. Giulio Berruti traite son sujet avec rigueur, de façon progressive. On est loin d’un effet Dr Jekyll et Mister Hyde, avec une nonne passant de l’ange au démon en un claquement de doigts : la descente aux Enfers de Sœur Gertrude est au contraire traitée à l’écran de façon aussi progressive que douloureuse. Au début du film, on apprendra donc que la bonne sœur icnarnée par Anita Ekberg a subi l’ablation d’une tumeur, et qu’elle souffre de migraines chroniques. La douleur est si forte qu’elle est constamment gavée de médocs, mais continuer à exercer ses fonctions au sein de la maison de retraite où elle travaille. Peu à peu, elle commence à tuer, victime de trous de mémoire qui altèrent sa personnalité, et qui deviennent de plus en plus longs et de plus en plus intenses au fil des crises. La religieuse tente de convaincre l’un des médecins de la maison de retraite (Massimo Serato) qu’elle est en train de devenir folle, mais ce dernier ne la prend pas au sérieux. Les migraines s’intensifient donc et la personnalité criminelle de la nonne prend définitivement le dessus. Et aux meurtres s’ajouteront les humiliations qu’elle fait subir à sœur Mathieu (Paola Morra), une autre religieuse tombée amoureuse d’elle.

Porté par une atmosphère remarquable, une photo soignée et des décors intéressants, La Petite sœur du Diable est assurément un film très sombre, mais qui s’avère tellement classique et même élégant dans sa réalisation qu’il n’affiche jamais véritablement le côté complaisant et ouvertement érotique de la plupart des films de Nunsploitation. Il ne s’agit pas non plus d’un Giallo classique, dans le sens où il ne coche que certaines cases au sein du rigoureux cahier des charges du genre. Pour autant, il serait criminel de louper ce solide et sympathique petit Bis !

Le coffret Blu-ray + CD

[5/5]

Avec cette édition Combo Blu-ray + CD de La Petite sœur du Diable, Le Chat qui fume nous livre à nouveau un travail éditorial impressionnant et assez extraordinaire, du genre qui impose le respect avant même le déballage puisque comme à son habitude, l’éditeur nous propose une édition limitée à 1000 exemplaires s’affichant dans un superbe digipack trois volets surmonté d’un fourreau cartonné. Comme d’hab également, la maquette est signée Frédéric Domont, alias Frhead Domont, alias BaNDiNi, et s’avère tout simplement somptueuse dans son genre. Du grand Art !

Chapeau bas au Chat qui fume donc, d’autant plus que la qualité du master Haute Définition restauré 2K est globalement excellente : pas de souci de compression, encodage maitrisé, format respecté et version intégrale… Le piqué est précis, l’image toujours parfaitement stable, les couleurs sont littéralement explosives et le grain argentique semble avoir été préservé avec soin. Les contrastes ne manquent pas de punch, et semblent même avoir été tout particulièrement soignés sur les passages nocturnes, qui affichent des noirs absolument remarquables. Du très beau travail donc, que l’on retrouvera également au niveau sonore, avec deux pistes (italienne / française) mixées en DTS-HD Master Audio Mono 2.0 : les deux pistes permettront une immersion idéale dans ce petit giallo qui n’en est pas tout à fait un. Le rendu acoustique s’avère très satisfaisant, d’une belle clarté, sans souffle ni craquements disgracieux, sur l’on fasse le choix de visionner le film en VO ou en VF. Rien à redire niveau technique donc, le travail du Chat est toujours fait, et bien fait. On notera que les scènes coupées, courtes et parfois vraiment très anecdotiques, sont réintégrées au métrage et proposées en version originale sous-titrée.

Passons maintenant aux suppléments : Le Chat qui fume nous propose tout d’abord bien évidemment la musique du film au format CD. Cette excellente bande originale est signée Alessandro Alessandroni, et le CD nous propose treize titres pour une durée d’un peu moins de 45 minutes. Sur le Blu-ray à proprement parler, on trouvera un intéressant entretien avec Giulio Berruti (46 minutes). Le réalisateur et co-scénariste du film évoquera donc son parcours, et l’enchainement de hasards du destin qui l’ont finalement conduit à travailler dans le cinéma, tout d’abord en tant que scénariste, assistant réalisateur puis monteur. Il replacera ensuite La Petite sœur du Diable dans son contexte de tournage, à une époque difficile pour le cinéma de genre italien. Il se remémorera donc le tournage du film, les acteurs, le travail du chef opérateur Antonio Maccoppi, ou encore la musique ou les scènes qu’il avait dû se résoudre à couper. Il soulignera par ailleurs la difficulté de sortir le film dans un pays au cœur duquel beaucoup des circuits de distribution étaient sous la tutelle de l’église : le film a de fait largement été censuré en Italie, l’église estimant que La Petite sœur du Diable allait trop loin dans sa tentative de lier son histoire au Vatican et à d’autres scandales couverts par les médias. Après quelques mots sur la réception du film par la critique, il nous expliquera ensuite avoir pris ses distances avec le cinéma de fiction après ce film, ne se consacrant plus par la suite qu’au documentaire, même si visiblement, l’idée de revenir au cinéma afin de livrer au monde son « chef d’œuvre » semble encore le titiller. On terminera le tour des bonus avec la traditionnelle bande-annonce. Pour vous procurer cette édition limitée à 1000 exemplaires, rendez-vous sur le site de l’éditeur !

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