Test Blu-ray : Fear and Desire

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Fear and Desire

États-Unis : 1953
Titre original : –
Réalisation : Stanley Kubrick
Scénario : Howard Sackler
Acteurs : Frank Silvera, Paul Mazursky, Kenneth Harp
Éditeur : Elephant Films
Durée : 1h01
Genre : Guerre
Date de sortie cinéma : 14 novembre 2012
Date de sortie DVD/BR : 7 décembre 2021

Lors d’un conflit non nommé, dans un pays inconnu, 4 militaires se retrouvent coincés derrière les lignes ennemies. Après avoir massacré deux soldats, ils se rendent compte qu’une jeune femme a été témoin de la scène. Ils l’attachent à un arbre par peur d’être dénoncés…

Le film

[3,5/5]

Le hasard des sorties vidéo nous avait amené à évoquer il y a quelques semaines, dans le cadre de notre test Blu-ray de L’échine du Diable, ce qu’on pourrait appeler le « charme des premiers jets ». Dans le monde du cinéma, on y pense parfois quand on se retrouve face à une œuvre dense mais pas tout à fait aboutie, et dont les thématiques se verraient par la suite retravaillées, perfectionnées et peaufinées par un même cinéaste. Premier film de fiction de Stanley Kubrick, Fear and Desire (1953) était ainsi considéré par le cinéaste lui-même comme un exercice de style maladroit : on murmure même que Kubrick, grand maniaque / perfectionniste devant l’éternel, aurait passé des années à chercher toutes les copies du film afin de les détruire, afin d’empêcher que le film ne soit vu par le public.

Par conséquent, on a longtemps considéré que toutes les copies de Fear and Desire avaient été détruites, et le seul moyen de découvrir le film était un marché parallèle de VHS et de DVD pirates. Pour autant, une dizaine d’années après la mort de Stanley Kubrick, deux copies du film en bon état furent répertoriées, et une restauration fut entreprise en 2011, ce qui permit au grand public de découvrir Fear and Desire, une soixantaine d’années après son exploitation initiale. Et malgré l’aversion éprouvée par Kubrick à l’idée de partager ses premiers pas de cinéaste avec le public, force est de constater que le film porte en lui prémices d’une grande œuvre à venir.

Bien entendu, on ressent bien à la découverte de Fear and Desire qu’il s’agit du travail d’un réalisateur novice, qui tente des choses sans réellement savoir où celles-ci vont le mener. Au fil de ce très court récit (1h01), le film devient le terrain de nombreuses expérimentations formelles, qui se manifestent essentiellement dans la mise en scène et le montage – Stanley Kubrick y fait donc preuve d’une application remarquable du point de vue du style, quitte sans doute à en faire un peu trop.

Comme dans Les Sentiers de la gloire (1957) et Full Metal Jacket (1987), l’action de Fear and Desire se déroule en période de guerre, et le récit se focalise sur un petit groupe de soldats en « perdition ». La narration se fait essentiellement par le biais d’une voix off, qui disserte sur les horreurs de la guerre et soulève une poignée de questions existentielles très nietzschéennes. Film d’ambiance extrêmement noir, Fear and Desire joue sur l’idée que la guerre fait ressortir le pire de l’être humain, et verse peu à peu dans une ambiance quasi-fantastique, qui n’est pas sans rappeler les dernières séquences de Full Metal Jacket. Mais à bien y réfléchir, le centre du film n’est pas la guerre à proprement parler – il s’agirait d’avantage d’un « contexte », vague et obscur. Au centre du film, on trouvera en revanche plutôt – et comme l’indique son titre – la peur et les désirs de ce petit groupe d’hommes perdus dans un no man’s land où nul ne semble pouvoir survivre.

Dominé par la voix off volontiers cryptique de David Allen, Fear and Desire joue au final la carte du fantastique philosophique, ce qui évidemment évoquera également 2001 : Odyssée de l’espace, sans jamais en atteindre ni la portée ni la profondeur cela dit. Cependant, le film n’en demeure pas moins une mise en bouche fascinante pour les amoureux de Kubrick, sans compter que Fear and Desire comporte une poignée de séquences encore aujourd’hui tout à fait passionnantes et mises en images avec un talent fou.

On pense par exemple à la scène de la première tuerie, qui tire son épingle du jeu par un montage quasi-impressionniste à la Eisenstein, avec ses plans de plat de ragoût renversé propres à imprimer durablement la rétine. On remarquera également une petite tendance au fétichisme « bondage » de la part de Kubrick, qui nous propose durant la scène mettant en scène Paul Mazursky et Virginia Leith certains plans qui seront repris, quasiment à l’identique, par Steven Shainberg en 2002 pour son chef d’œuvre La secrétaire. Autant de raisons qui nous poussent forcément à considérer Fear and Desire comme un passionnant brouillon, contenant à un stade embryonnaire quelques-uns des éléments formels et thématiques les plus récurrents de l’œuvre de celui qui deviendrait, quelques années plus tard, l’un des cinéastes les plus respectés (vénérés ?) du Vingtième Siècle.

Le Blu-ray

[4,5/5]

Fear and Desire vient tout juste d’arriver au format Blu-ray en France, sous les couleurs de Elephant Films, et au sein de la riche collection Cinema MasterClass – le film de Stanley Kubrick vient donc grossir les rangs du catalogue de l’éditeur, déjà très riche en termes de grands classiques restaurés. Récemment restauré, le film de Kubrick bénéficie d’un master extrêmement solide, encodé en 1080p et au format 1.37 respecté. Si l’ensemble n’est certes pas irréprochable (quelques taches subsistent encore), le piqué, les contrastes et le Noir et Blanc en général retrouvent ici une nouvelle jeunesse, tout en respectant scrupuleusement le grain argentique d’origine. Certains plans sont plus doux que d’autres, on dénote toujours par ci par là quelques inévitables petites baisses de définition, mais l’ensemble est globalement très bien tenu : remarquable si l’on considère que Fear and Desire avait longtemps été considéré comme perdu. Côté son, la VO est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, et l’ensemble est parfaitement équilibré et sans souffle.

Du côté des suppléments, outre les traditionnelles bandes-annonces, l’éditeur nous propose une intéressante présentation du film par Nachiketas Wignesan (30 minutes). Ce dernier y abordera dans un premier temps la « petite histoire » autour du film : la carrière de Kubrick avant de se lancer dans le cinéma, le montage financier du film, ses différents retitrages et sa distribution chaotique… Il abordera par la suite l’œuvre en elle-même, faisant le tour des thématiques et des particularités formelles du film, avant de nous en proposer une interprétation qui s’impose comme une piste de réflexion intéressante, et tout à fait cohérente – mais en dire d’avantage reviendrait à [Spoiler] le film !

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