À cause d’un assassinat – Édition « Ultra Collector »
États-Unis : 1974
Titre original : The Parallax View
Réalisation : Alan J. Pakula
Scénario : David Giler, Lorenzo Semple Jr.
Acteurs : Warren Beatty, Paula Prentiss, Hume Cronyn
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h42
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 18 avril 1975
Date de sortie DVD/BR : 17 juin 2025
Le 4 juillet 1971, jour anniversaire de l’Indépendance des États-Unis, le sénateur Carroll est abattu au cours d’une réception à Seattle. L’enquête conclut à un acte isolé perpétré par un individu déséquilibré. Trois ans plus tard, les témoins de la scène trouvent la mort les uns après les autres. Présent lors de l’assassinat du sénateur Carroll, le journaliste Joseph Frady décide de mener l’enquête et découvre l’existence d’une machination de grande ampleur…
Le film
[5/5]
Si les base du genre du thriller politique américain moderne ont probablement été posées par John Frankenheimer avec l’impressionnant Un Crime dans la tête en 1962, il s’agit d’un genre dont on attribue généralement la paternité à Alan J. Pakula, en raison de l’impact paranoïaque et volontiers conspirationniste de ses films À cause d’un assassinat (1974) et Les Hommes du président (1976). Chef d’œuvre encore un peu trop méconnu de nos jours, À cause d’un assassinat bénéficie aujourd’hui de la chance d’atteindre une nouvelle génération de cinéphiles grâce à Carlotta Films, qui lui consacre le 29ème coffret de sa prestigieuse collection « Édition Ultra Collector ».
Avec son intrigue évoquant sans trop chercher à le cacher, les faits entourant l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy à Dallas en 1963, À cause d’un assassinat soulève d’intéressantes questions sur la notion de mensonge d’état, qui n’ont rien perdu de leur actualité, surtout au cœur d’un Vingt-et-unième Siècle plus que jamais enclin à distiller les fake news et autres théories du complot. Partant du principe selon lequel derrière chaque théorie du complot se cache une vérité non encore étayée de preuves, le film d’Alan J. Pakula tend à mettre en évidence le fait que la recherche des faits par un journaliste fouineur et entêté – ici incarné par un Warren Beatty en mode sobre et minimaliste – ne suffit pas toujours à découvrir la vérité. En effet, l’intrigue du film, adaptée du roman de Loren Singer « The Parallax View » suggère que les faits peuvent aussi être trafiqués, arrangés de telle manière qu’ils puissent mener à une vérité bien précise.
L’assassinat qui ouvre le film n’est pas celui d’un président, mais celui d’un sénateur, abattu, d’après la version officielle, par un « tireur isolé ». Pourtant, Alan J. Pakula a bien pris soin de montrer au spectateur que la thèse du tireur isolé était mensongère. De ce fait, quand l’intrigue fait un bond dans le temps de trois ans et que le spectateur découvre que tous les témoins présents au moment de la mort du sénateur ont disparu dans des circonstances étranges, le public ne pourra que se rendre à l’évidence selon laquelle les théories du complot, même les plus extravagantes, s’appuient toujours sur un point de départ factuel. Toute l’intrigue d’À cause d’un assassinat part de ce point de départ factuel, pour l’élargir de plus en plus, en prenant toujours un peu plus de recul afin d’avoir une vue d’ensemble plus complète.
Mais l’élargissement du point de départ change naturellement le point de vue, et c’est ce que suggère le titre original du film : la parallaxe désigne en effet l’impact du changement de position de l’observateur sur ce qu’il perçoit. Pour autant, en dépit d’une poignée de détours narratifs pas forcément indispensables (la bagarre de saloon, la poursuite en voiture en mode Cours après moi Shérif…), Alan J. Pakula parvient à articuler de façon assez vraisemblable les multiples révélations qui parsèment l’enquête de Warren Beatty. Mais les nombreuses ellipses temporelles qui émaillent le film créent forcément une zone de « flou » dans la vision que le spectateur a de l’enchaînement des événements, ce qui tend à créer au cœur d’À cause d’un assassinat une espèce de temporalité distendue, étrange et surréaliste, utilisant les codes du cinéma fantastique. D’ailleurs, le film remporta le Prix de la critique lors du Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1975.
L’atmosphère presque onirique qui baigne de nombreuses séquences d’À cause d’un assassinat est régulièrement renforcée par la mise en scène de Pakula et la photo de Gordon Willis, qui font régulièrement de Warren Beatty une fourmi au milieu d’un décor architectural écrasant, oppressant. Cette impression pour le spectateur que le personnage principal est constamment dominé par des forces invisibles contribue à renforcer le sentiment de paranoïa qui imprègne le film. Tandis que Frady cherche des réponses au cœur de décors trop grands pour lui, on a le sentiment que le monde n’est qu’un terrain de jeu pour des figures de l’ombre capables de le manipuler comme s’il n’était qu’un pion sur un échiquier. Seul contre tous.
Le Coffret Blu-ray + DVD + Livre
[5/5]
Il y a dix ans, avec la sortie de Body Double, Carlotta Films faisait le pari de l’édition grand luxe made in France avec la collection « Éditions Ultra Collector ». Depuis une dizaine d’années donc, les titres les plus prestigieux se sont succédé au sein de la collection : À cause d’un assassinat est le vingt-neuvième film à intégrer les rangs de cette prestigieuse collection de Blu-ray. Il s’agit d’une édition limitée, numérotée à 3.000 exemplaires, dont le visuel a été créé exclusivement pour cette édition par le talentueux Laurent Durieux. On notera donc d’entrée de jeu la classe absolue de cet imposant coffret, contenant un gros livre (160 pages tout de même) intitulé « L’envers des totems », passionnant ouvrage rédigé par Jean-Baptiste Thoret, et incluant 40 photos d’archive. Le livre est présenté comme un vrai livre de cinéma, avec une belle couverture cartonnée, glissé dans un étui à l’italienne. On a donc entre les mains un véritable et bel objet de collection, auquel l’éditeur rajoute une poignée de suppléments inédits à cette édition.
Du côté du Blu-ray, À cause d’un assassinat a bénéficié d’une belle restauration 2K, effectuée à partir d’un scan 4K Le piqué est d’une belle précision, la colorimétrie s’avère assez superbe, et le grain argentique d’origine a été préservé. La copie affiche par ailleurs une stabilité et une propreté toutes deux très convaincantes, même si les scènes en basse lumière affichent évidemment un peu plus de grain. Côté son, l’éditeur nous propose deux mixages DTS-HD Master Audio 1.0, dans des mixages clairs et propres, avec un bel équilibre et respectant tout à fait naturellement la patine old school du film.
Du côté des suppléments, en plus du livre inédit de 160 pages inclus dans ce coffret « Ultra Collector », Carlotta Films nous propose de nous plonger dans une présentation du film par Alex Cox (15 minutes). Collaborateur régulier de Carlotta, réalisateur de Repo Man (1984) et de l’excellent Straight to Hell (1987), auteur du livre « 10.000 façons de mourir », le cinéaste reviendra sur sa découverte du film ainsi que sur sa singularité et son côté quasiment prémonitoire. Il reviendra sur la notion de « conspiration », expliquera à quel point il semble improbable que Lee Harvey Oswald ait agi seul lors de l’assassinat de JFK, et dressera une série de liens entre le film de Pakula et la réalité. Selon lui, « le monde que Pakula avait imaginé en 1974 est celui dans lequel nous vivons aujourd’hui. » On continuera ensuite par un entretien avec Jon Boorstin (15 minutes). Assistant d’Alan J. Pakula sur le tournage d’À cause d’un assassinat, Jon Boorstin se remémorera le tournage du film et la relation entre Alan J. Pakula et Gordon Willis, il évoquera les constantes réécritures du scénario arrivaient chaque jour, et bien sûr le fameux « test Parallax », probablement la meilleure séquence du film. Enfin, on terminera avec un entretien avec Nicolas Pariser (27 minutes), centré sur la thématique du complot.