Test Blu-ray 4K Ultra HD : Si Versailles m’était conté

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Si Versailles m’était conté

France, Italie : 1954
Titre original : –
Réalisation : Sacha Guitry
Scénario : Sacha Guitry
Acteurs : Michel Auclair, Jean-Pierre Aumont, Bourvil
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 2h55
Genre : Comédie, Historique
Date de sortie cinéma : 15 février 1954
Date de sortie DVD/BR/4K : 5 décembre 2025

L’histoire du château de Versailles, depuis l’instant où, enfant, le futur roi Louis XIII découvre le site, jusqu’aux années cinquante où le château de Louis XIV est devenu un musée. À l’origine, Louis XIII fit élever un pavillon de chasse dans la forêt de Versailles, que son fils Louis XIV transforma en un château somptueux. Le train de vie faste du monarque et de sa cour éveilla la colère du peuple, qui fit trembler les murs du palais… À travers les grandes figures qui l’ont habité, Sacha Guitry se réapproprie l’histoire du château de Versailles, lui rendant un formidable hommage…

Le film

[4/5]

Avec Si Versailles m’était conté, Sacha Guitry semble bien déterminé à transformer le château en théâtre permanent, où les murs semblent avoir des oreilles et les dorures des lèvres prêtes à raconter mille histoires. Le film n’est pas une simple reconstitution historique : c’est une fresque, bavarde mais flamboyante, qui fait du monument parisien un personnage à part entière. Versailles devient une boîte à musique géante, où chaque séquence résonne comme une variation sur le pouvoir, la gloire et la décadence. Derrière les perruques poudrées et les costumes brodés, il y a une réflexion sur la mémoire collective : comment un lieu peut-il contenir autant de récits, de contradictions et de fantômes ? Si Versailles m’était conté ne se contente pas de dérouler une chronologie, il invente une manière de filmer l’Histoire : comme une succession de tableaux vivants, oscillant entre la comédie et la tragédie.

On connaît l’attachement de Guitry au verbe et à la langue française, et l’un des aspects les plus intéressants du film est la façon dont il relie la parole à l’image. Le film est une orgie de dialogues, très – parfois trop – abondants, mais toujours portés par une verve théâtrale qui transforme les personnages en figures presque mythologiques. Les mots deviennent des armes, des caresses, des piques, et la caméra se fait complice de cette logorrhée en multipliant les mouvements fluides, les entrées et sorties de champ, comme si elle dansait avec les acteurs. L’Histoire est mise en scène comme un spectacle, mais Si Versailles m’était conté garde une singularité française : l’ironie, la distance, le plaisir de la digression. Guitry ne filme pas Versailles comme un musée, mais comme une scène où l’on peut encore improviser.

La thématique centrale de Si Versailles m’était conté est celle du pouvoir et de sa fragilité. Les rois, les reines, les courtisans apparaissent tour à tour majestueux et ridicules, comme des marionnettes dorées dont les fils sont tirés par le temps. Le film rappelle que l’Histoire est une succession de vanités, et que derrière les ors du château se cachent des intrigues mesquines, des jalousies, des passions. La mise en scène traduit cette idée par une alternance de plans grandioses et de détails intimes : un bal fastueux peut être suivi d’une conversation triviale, une déclaration solennelle d’un geste grotesque. Si Versailles m’était conté montre que la grandeur n’est jamais pure, qu’elle est toujours contaminée par le ridicule. Et si certains critiques aiment réduire Guitry à un bavard narcissique, il faut reconnaître que cette manière de mêler le sublime et le trivial est précisément ce qui donne au film sa force.

La distribution de Si Versailles m’était conté est un véritable défilé de stars françaises des années 50, où chaque apparition devient un événement. On croise Micheline Presle, Gérard Philipe, Claudette Colbert, et une multitude d’acteurs qui incarnent l’Histoire comme une succession de visages familiers. Ce casting pléthorique pourrait tourner au catalogue, mais Guitry parvient à donner à chacun un éclat particulier, une réplique, un geste, une présence. Le film devient une sorte de carnaval aristocratique, où les figures historiques se mêlent aux acteurs contemporains dans une grande mascarade. Et si Guitry était souvent considéré comme misogyne, il faut reconnaître qu’il ne filme pas les reines de France uniquement pour montrer leurs robes, mais leur offre au contraire de beaux moments de puissance, de lucidité, de séduction.

Bien sûr, la musique et les décors de Si Versailles m’était conté jouent un rôle essentiel dans la reconstitution proposée par le film. Les compositions orchestrales soulignent la grandeur des séquences, tandis que les décors, souvent tournés dans le château lui-même, lui confèrent un cachet et une authenticité rare. Mais cette authenticité est toujours doublée d’une stylisation : les éclairages, les cadrages, les mouvements de caméra transforment Versailles en un espace presque irréel, un décor de théâtre où l’Histoire se rejoue comme une pièce éternelle. On retrouve ici une logique qui rappelle les films de René Clair ou de Christian-Jaque, où le réalisme était toujours teinté de fantaisie. Si Versailles m’était conté n’est pas un documentaire, c’est une rêverie historique, une manière de faire du passé un spectacle vivant.

Ce qui rend Si Versailles m’était conté encore fascinant aujourd’hui, c’est sa capacité à parler du présent à travers le passé. Derrière les intrigues de cour, on peut lire une réflexion sur la politique contemporaine, sur les illusions du pouvoir, sur la fragilité des institutions. Le film rappelle que les empires sont toujours menacés par leur propre vanité. Le château de Versailles devient une métaphore universelle : un lieu où la grandeur se construit et se détruit, où chaque génération croit inventer l’éternité avant de disparaître dans l’oubli. Si Versailles m’était conté est donc plus qu’un film historique : c’est une méditation sur la mémoire, sur le temps, sur la manière dont l’Histoire se répète, en changeant simplement de costumes.

Cela dit, en dépit de sa durée conséquente, de ses bavardages incessants et de la profondeur de ses thématiques, donnant par moments l’impression que le film est une gigantesque salle de bains où les rois se mirent dans des miroirs trop grands pour eux, Si Versailles m’était conté n’en est pas pour autant un film chiant, et reste une œuvre globalement assez ludique. Sacha Guitry s’y amuse avec les codes, avec les clichés, avec les attentes. Il détourne la solennité de l’Histoire pour en faire une comédie, une farce, une tragédie. Le film refuse de choisir entre le sérieux et le rire, entre la grandeur et le ridicule, et c’est – peut-être – cette ambiguïté qui en fait aujourd’hui un petit classique.

Le coffret Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

L’édition limitée Blu-ray 4K Ultra HD de Si Versailles m’était conté proposée par Rimini Éditions est un objet somptueux, digne du château qu’elle célèbre. Le boîtier Digipack avec étui, qui contient un Blu-ray 4K Ultra HD et deux Blu-ray (dont un dédié aux suppléments), impose d’entrée de jeu une élégance rare, presque royale, comme si l’éditeur avait voulu rivaliser avec les dorures de Versailles. L’image, restaurée en 4K avec le plus grand soin, restitue la richesse des décors et des costumes : les perruques retrouvent leur éclat, les dorures brillent avec une intensité nouvelle, et les visages des acteurs se parent de détails inédits. Certes, quelques plans révèlent encore une patine d’époque, mais l’ensemble surpasse largement les éditions précédentes. Côté son, le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 (mono) restitue avec fidélité la verve des dialogues de Guitry. Les voix sont claires, les ambiances bien restituées, et la musique orchestrale résonne avec une puissance nouvelle, sans jamais écraser les paroles. Le film retrouve ainsi sa dimension théâtrale, où chaque réplique est une pièce d’orfèvrerie.

Les suppléments de cette édition Blu-ray 4K Ultra HD de Si Versailles m’était conté constitueront à coup sûr un véritable festin pour les amateurs de cinéma et d’Histoire. On commencera avec une présentation du film par Noël Herpe (39 minutes). L’historien du cinéma nous y propose une analyse érudite et passionnante, qui replace le film dans la carrière de Sacha Guitry tout autant que dans le contexte du cinéma français des années 50. Il souligne le fait que Guitry recycle en partie d’anciens textes afin de signer le scénario de son film, revient sur son goût pour le défilé d’acteurs et met en évidence le fait que le film est ressenti par le cinéaste comme une « revanche » par rapport à son passé de collabo. Il aborde également les acteurs n’ayant pas pu participer au projet, l’importance du montage afin de dynamiser les dialogues, ou encore l’artificialité des émissions de radio et de télévision organisées par Guitry afin d’assurer la promotion du film. Et si artificielles puissent-être ces émissions, c’est avec un grand plaisir que l’on pourra se plonger dans les archives de l’INA qui nous sont proposées par Rimini Éditions. On aura donc droit au programme diffusé à la TV, « À vous aussi Versailles sera conté » (32 minutes), perdu mais reconstitué en 4K à partir des rushes de tournage. On continuera ensuite avec le premier épisode de la série d’émissions de radio « Et Versailles vous est conté » (12 minutes). Ces deux archives permettent de nous replonger dans l’époque de la sortie du film.

On continuera le tour des suppléments par un entretien avec Albert Willemetz (24 minutes). Le président de l’Association des amis de Sacha Guitry nous offre un témoignage plus intime et beaucoup moins objectif de la production du film, et partagera quelques anecdotes liées au tournage du film à la personnalité de Guitry. Certaines infos avancées par Albert Willemetz sont contradictoires avec celles de Noël Herpe. On terminera enfin par un sujet dédié à la restauration du film (3 minutes), qui reviendra sur le travail technique réalisé pour redonner au film son éclat originel.

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