À toute épreuve
Hong Kong : 1992
Titre original : Lat sau san taam
Réalisation : John Woo
Scénario : Barry Wong, John Woo, Gordon Chan
Acteurs : Chow Yun-Fat, Tony Leung, Anthony Wong
Éditeur : HK Vidéo
Durée : 2h08
Genre : Action, Polar
Date de sortie cinéma : 16 juin 1993
Date de sortie BR/4K : 16 décembre 2025
Quelques jours avant la rétrocession, un climat apocalyptique s’installe sur la ville. Tandis que les guerres entre gangs font rage, Tequila, un flic tête brûlée, jure de venger son meilleur ami tué lors d’une fusillade dans une maison de thé. Son chemin croise bientôt celui d’un mystérieux tueur à gages nommé Tony. Une étrange relation de rivalité et de complicité s’installe entre les deux hommes…
Le film
[5/5]
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, À toute épreuve n’est pas un simple film d’action : c’est une messe en slow motion où les balles deviennent des cierges et les explosions des orgues tonitruants. Avec ce film, John Woo orchestrait son chaos comme un chef d’orchestre ivre de lyrisme, et David Wu découpait les séquences avec une précision si chirurgicale qu’elle a immédiatement mis à l’amende tout le cinéma américain de l’époque – un peu comme si John Woo et David Wu travaillaient au scalpel quand tous leurs concurrents bossaient leurs montages à la tronçonneuse. Trois ans après The Killer, John Woo se lançait donc dans le grand spectacle 100% action, et chaque plan d’À toute épreuve demeure, plus de 30 ans après sa sortie, une véritable démonstration de style – une danse macabre où Chow Yun-Fat et Tony Leung se croisent comme deux anges déchus, coincés entre la loi et l’amitié.
À toute épreuve ne se contente pas de tirer sur tout ce qui bouge : il tire aussi sur les certitudes, sur les clichés du polar hongkongais, et sur l’idée même de ce qu’un film d’action peut être. Les scènes de fusillade ne sont pas seulement des morceaux de bravoure : elles sont des poèmes visuels. C’est un lieu commun, mais le découpage de David Wu transforme chaque échange de tirs en ballet, où les corps chutent avec la grâce de danseurs classiques et où les gerbes de sang deviennent des ponctuations rouges dans une partition symphonique. La séquence de l’hôpital, interminable et pourtant jamais lassante (50 minutes d’action non-stop !), est une cathédrale de mise en scène : couloirs labyrinthiques, bébés en danger, héros en transe. On pourrait croire à une exagération grotesque, mais comme toujours avec John Woo, À toute épreuve transcende le ridicule pour atteindre une forme de sublime.
Même si le film est résolument tourné vers l’action, les thématiques d’À toute épreuve sont celles de John Woo depuis toujours : loyauté, fraternité, sacrifice. Mais ici, entre deux scènes explosives qui en mettent plein les yeux du spectateur, elles touchent quasiment à l’abstraction, et prennent une dimension presque métaphysique. Tequila, le flic badass incarné par Chow Yun-Fat, n’est pas seulement un policier : il est une figure christique, un homme qui porte le poids du monde sur ses épaules et qui continue à tirer, encore et encore, comme si chaque balle était une prière. Tony Leung, en infiltré déchiré, incarne la douleur de l’identité fracturée. Ensemble, ils forment un duo qui dépasse le simple buddy movie à l’américaine : À toute épreuve devient une méditation sur la possibilité de rester humain dans un monde saturé de violence.
La stylisation extrême d’À toute épreuve est sa marque de fabrique. Les éléments de décor qui s’envolent au ralenti, les fusils qui brillent comme des sceptres, les visages filmés en gros plan comme des icônes religieuses : tout concourt à transformer le film en une fresque baroque. On pourrait parler de « gun-fu », ce mélange improbable de kung-fu et de fusillades, mais À toute épreuve dépasse le simple label. C’est une œuvre où chaque geste est chorégraphié, où chaque tir est une note de musique. Tout y donne l’impression que le chaos est parfaitement maîtrisé, comme si l’anarchie avait été dressée pour défiler en uniforme. D’ailleurs, le film ne cherche jamais à être réaliste, mais à s’imposer comme un spectacle total – une orgie visuelle, une overdose de style, qui fait passer les blockbusters américains de l’époque pour des ringards.
Ce qui rend À toute épreuve intemporel, au-delà de ses scènes d’action monumentales (souvent imitées, jamais égalées), c’est sa capacité à lier la forme et le fond. La violence n’est pas gratuite : elle est le langage par lequel les personnages expriment leurs dilemmes. Les ralentis ne sont pas des effets tape-à-l’œil : ils sont des pauses méditatives, des instants où le spectateur peut contempler la beauté tragique de l’instant. Le film devient ainsi une réflexion sur la fragilité humaine : les balles fusent, les corps tombent, mais au milieu du carnage, il reste des bébés à sauver, des amitiés à préserver, des choix à assumer. À toute épreuve est donc plus qu’un chef-d’œuvre d’action : c’est une parabole sur la condition humaine, racontée avec des fusils, des colombes, et une caméra qui danse. Mieux encore, il est au cinéma d’action ce que le Kamasutra est au sexe : une encyclopédie de toutes les positions possibles (mais avec des fusils à la place des corps).
Le coffret Blu-ray 4K Ultra HD
[5/5]
Pour son arrivée au format Blu-ray 4K Ultra HD, À toute épreuve s’offre une édition collector limitée absolument magnifique, sous les couleurs de HK Vidéo. Le packaging du coffret impressionne : un Digipack élégant avec étui rigide, accompagné d’un livret de 20 pages, de cinq photos et d’une affiche. L’objet en lui-même, classieux, chic et élégant, est une déclaration d’amour au film, un écrin digne de la maestria de John Woo, et on peut déjà noter qu’en 2026, The Killer et Une Balle dans la Tête bénéficieront du même écrin prestigieux. Côté galette, l’image, restaurée en 4K et magnifiée par les technologies Dolby Vision et HDR10, est une révélation : les contrastes explosent, les couleurs retrouvent leur éclat originel, et les ralentis mythiques gagnent en fluidité. Les séquences de fusillade, saturées de détails, profitent d’une netteté qui permet de savourer chaque éclat de verre, chaque gerbe de sang. Quelques plans (principalement des plans « à effets », tels que les fondus enchaînés) montrent encore des limites liées au matériel d’origine, mais l’ensemble est d’une précision absolument bluffante. Côté son, les mixages VF et VO en DTS-HD Master Audio 5.1 offrent une immersion totale. La version originale, plus riche et nuancée, restitue la musicalité des dialogues et la puissance des fusillades avec une ampleur impressionnante. La version française, solide et dynamique, reste honorable, mais la version originale conserve l’avantage pour qui veut goûter pleinement à la poésie sonore du cinéma de John Woo.
Le Blu-ray 4K Ultra HD d’À toute épreuve ne se contente pas d’offrir une restauration impeccable : il déploie une véritable encyclopédie de suppléments, comme si HK Vidéo avait décidé de transformer la galette en musée interactif. Chaque bonus est une porte ouverte sur l’univers de John Woo, et l’ensemble compose une fresque critique et passionnée qui prolonge le film bien au-delà du générique de fin. Sur le Blu-ray 4K Ultra HD, on commencera tout d’abord avec un commentaire audio de John Woo et Drew Tayler, qui s’avère une véritable mine d’or. John Woo y raconte les crimes réels qui ont inspiré le film, ses collaborations avec Chow Yun-Fat, ses improvisations de tournage. Il explique pourquoi il a adouci la fin, comment il a conçu les séquences d’action, et ce que signifiait pour lui de filmer la violence comme une prière. Le ton est parfois hésitant, mais toujours sincère. On continuera avec HK Revisited – Episode 1 (53 minutes), une réunion de l’équipe originale du magazine HK – Orient Extreme Cinema, qui fit les beaux jours des mordus de films asiatiques entre 1996 et 2000. La discussion est animée par Christophe Gans, David Martinez, Léonard Haddad et Julien Carbon, et s’avère un moment de cinéphilie pure. Ils y reviendront sur l’attente générée par le film, née du fait qu’ils avaient découvert la première séquence du film en VHS grâce à Samuel Hadida. Tous évoqueront le cinéma de John Woo comme ayant littéralement changé leur vie – en particulier Julien Carbon – et se remémoreront leur découverte du film, et son aspect « apocalyptique ». Ils aborderont également les thématiques du film, son aspect chrétien, presque biblique, avec ses personnages remontant, tout au long de la séquence finale, les différents étages de l’enfer. On retrouve dans cette discussion tout l’esprit des années 90, quand la découverte d’À toute épreuve relevait de l’initiation mystique. Les intervenants ne se contentent pas de commenter le film : ils racontent la manière dont John Woo a bouleversé leur rapport au cinéma, comment la violence stylisée a redéfini le langage visuel, et comment HK Vidéo s’est imposé comme un important passeur culturel. On abordera également le reste la carrière américaine de John Woo, Ringo Lam et Tsui Hark, ainsi que le plan final du film (flashback ou pas flashback ?). Bref, il s’agit d’une conversation vivante, qui donne l’impression d’être attablé avec des amis passionnés que l’on n’avait pas croisés depuis longtemps.
Cette nouvelle édition Blu-ray 4K Ultra HD d’À toute épreuve sera bien sûr également l’occasion de redécouvrir la riche interactivité du DVD Collector de 2002. On commencera donc avec le making of rétrospectif intitulé « À l’épreuve du temps » (1h16), qui s’avère une pièce maîtresse. Le sujet est divisé en plusieurs parties : La genèse, la scène du salon de thé, le style de John Woo, le tournage du film, le plan séquence de l’hôpital, le montage, le choix d’un lieu unique pour la dernière séquence, les acteurs et le fait qu’À toute épreuve était également pensé comme une carte de visite Hollywoodienne. John Woo, Terence Chang, David Wu et Philip Kwok y reviennent donc sur la production du film, ses conditions de tournage, et son impact durable. Woo y confesse ses doutes, ses hésitations, ses choix esthétiques. David Wu détaille le montage, véritable partition musicale où chaque coup de feu est une note. Philip Kwok, chorégraphe des cascades, explique comment la violence a été pensée comme une danse. Ce documentaire est essentiel : il montre qu’À toute épreuve n’est pas seulement un film culte, mais une œuvre construite avec une rigueur artisanale. On continuera avec une rencontre avec Tony Leung (11 minutes), au cœur de laquelle l’acteur évoque son rôle d’infiltré, ses échanges avec Chow Yun-Fat, et la difficulté de jouer un personnage constamment déchiré. Ses propos révèlent la profondeur émotionnelle du film, souvent éclipsée par les « bang bang » et la pyrotechnie. Le montage alternatif de la scène d’ouverture, présenté par Christophe Gans (21 minutes), est une curiosité passionnante : on découvre comment une simple variation peut modifier la perception du récit, et comment Woo a affiné son introduction pour maximiser l’impact. L’entretien avec Nicolas Saada (11 minutes) nous propose un regard critique intéressant sur le film. Saada replace A toute épreuve dans l’histoire du cinéma mondial, évoque ses influences (Peckinpah, Melville) et son héritage (Quentin Tarantino, Matrix…). Ses propos sont érudits mais accessibles, et ils rappellent que le film est un carrefour culturel, une œuvre transnationale qui a marqué autant l’Orient que l’Occident. Il aurait été intéressant de réécouter Nicolas Saada aujourd’hui, et de mettre en parallèle ses propos enregistrés au début du siècle et ses pensées sur le film presque 25 ans plus tard.
Le reste des suppléments s’avère inédit en France, à commencer par deux heures trente d’entretiens tournant autour du film. Les interviews individuelles sont nombreuses et variées, et naturellement, le mieux servi dans la section interviews est John Woo (41 minutes), qui reviendra en détail sur ses inspirations, puis évoquera son passage à Hollywood, et la manière dont À toute épreuve lui aura servi de tremplin pour l’international. L’excellent Anthony Wong (22 minutes) avouera – avec une franchise désarmante – ne pas avoir revu le film sa sortie, et ne pas être fan du style excessif qu’il avait dans ses jeunes années : un comble pour un acteur ayant écumé pendant des années les films barrés de Category III ! Il avouera ne pas avoir créé de liens sur le tournage, mais reconnaîtra néanmoins la singularité du film. Le producteur Terence Chang (12 minutes) nous expliquera pourquoi il a voulu glorifier la police plutôt que les criminels, et comment le scénario a évolué. Les scénaristes Gordon Chan & Chan Hing-Ka (27 minutes) reviendront sur l’écriture du film, les ajustements autour de certains personnages, et la manière dont le script a été remanié redraft après redraft jusqu’à être poli comme un 357 Magnum. Le compositeur Michael Gibbs (10 minutes) racontera les défis autour de la création de la musique, le manque de directives claires de la part de John Woo, et la nécessité d’inventer une partition qui épouse la folie visuelle de l’ensemble. Le critique Leon Hunt (19 minutes) replacera À toute épreuve dans la tradition du wuxia et du gun-fu, en le reliant, entre autres, à Sam Peckinpah. Le critique Lin Feng (13 minutes) reviendra quant à lui sur la carrière de Chow Yun-Fat, montrant comment le film a clairement servi de tremplin à l’acteur dans sa trajectoire de star internationale. Enfin, le segment Hong Kong Confidential avec Grady Hendrix (13 minutes) est un bijou d’humour et de cinéphilie, qui reviendra sur l’improvisation constante ayant régné sur le tournage du film (une constante dans le cinéma hongkongais de l’époque). Ses anecdotes sont savoureuses, ses analyses pertinentes, et son ton décalé fait de ce bonus un moment assez jubilatoire.
On terminera enfin avec une poignée de scènes coupées et alternatives (14 minutes), qui s’avéreront un véritable trésor pour les amateurs et les fans du film. On y découvre les différences entre la version taïwanaise et la version coréenne, avec des extensions de scènes, des prises alternatives, et surtout la fin originale, plus sombre. On aura également l’occasion de voir Chow Yun-Fat jouer de la clarinette dans une poignée de séquences inédites. La bande-annonce originale est également de la partie, en version restaurée, et s’avère un petit bijou de nostalgie fébrile pour tous ceux qui l’auront découvert en VHS dans les années 90, souvent en préambule de films asiatiques achetés en France ou en import UK. On ajoutera à tout cela les goodies disponibles au sein du coffret, et notamment le livret de 20 pages rédigé par Charles Ferragut … En somme, les bonus du Blu-ray 4K Ultra HD d’À toute épreuve forment une constellation foisonnante : entre les discussions passionnées, les documentaires érudits, les interviews franches, les commentaires audio riches, et les scènes alternatives, cette nouvelle édition estampillée HK Vidéo est une véritable bible pour les amateurs de John Woo. Chaque supplément éclaire une facette du film, et l’ensemble compose une expérience totale, où l’on comprend qu’ À toute épreuve n’est pas seulement un chef-d’œuvre d’action, mais une œuvre vivante, toujours en mouvement, presque 35 ans après sa sortie dans les salles. Indispensable – le cadeau de Noël idéal !


























