Livre : The Shark is not working (Renatus Töpke)

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The Shark is not working
Allemagne, 2025
Titre original : The Shark is not working Die grössten Desaster der Filmgeschichte
Auteur : Renatus Töpke
Éditeur : Schüren Verlag
350 pages
Genre : Histoire du cinéma
Date de parution : 19 août 2025
Format : Pdf / 150 mm X 220 mm
Prix : 28€

3/5

Contrairement aux apparences, cet ouvrage n’est pas un énième livre paru en hommage au 50ème anniversaire des Dents de la mer, comme avaient pu l’être d’autres éditions récentes sur le marché francophone et hispanophone. Certes, ce pavé à vocation encyclopédique revient sur le film hautement célèbre de Steven Spielberg. Mais l’ambition de son auteur est infiniment plus vaste. En effet, Renatus Töpke ouvre un grand éventail historique de toutes les productions cinématographiques, ou presque, ayant connu de sérieuses difficultés avant de voir la lumière des salles de cinéma. Car ce sont pas moins de 55 films, très majoritairement américains, qui ont droit ici à un chapitre d’une petite dizaine de pages chacun, dans lequel Töpke condense sobrement la génèse de ces désastres de l’Histoire du cinéma !

En tant que source d’informations sur ces œuvres maudites ayant plus ou moins marqué les annales du Septième art – et à condition que vous maîtrisiez tant soit peu la langue de Goethe –, « The Shark is not working » vaut indéniablement son pesant d’or. Aussi, parce qu’il ose le grand écart dans le temps entre Autant en emporte le vent de Victor Fleming à la fin des années 1930 et des films sensiblement plus contemporains, comme bon nombre d’aventures de super-héros. Bien sûr, la conception calamiteuse et hors normes des longs-métrages de cinéma n’a pas commencé avec l’épopée de la Guerre civile américaine, comme l’a démontré à de nombreuses reprises le réalisateur mythique Erich von Stroheim du temps du cinéma muet. Mais le fait de remonter si loin dans le temps, tout en incluant plus d’une quarantaine de titres du siècle dernier, relève déjà d’une volonté de mémoire des plus appréciables en ce milieu des années 2020.

Dommage alors que, dans toute sa fiabilité globale, l’approche de l’auteur reste trop à la surface des choses. Car face à la place assez considérable allouée à chaque film, présenté sans exception avec une citation, un synopsis et une affiche quelque pages plus loin, il reste hélas très rare que Renatus Töpke approfondisse son propos. Son écriture est fluide et il adopte un langage courant dépourvu de fioritures universitaires. Or, à aucun moment, il ne s’autorise à prendre du recul par rapport à son sujet, ne serait-ce que pour établir un lien entre les chapitres qui se suivent et se ressemblent un peu trop.

Autant en emporte le vent © 1939 Fred Parrish / Selznick International Pictures / Metro-Goldwyn-Mayer /
Warner Bros. Discovery France Tous droits réservés

Synopsis : Quel est le point commun entre toutes ces productions dont la création a conduit ses producteurs, réalisateurs et comédiens au bord du gouffre des grands défis de l’Histoire hollywoodienne ? Des problèmes d’égo, des dépassements massifs du budget, la débauche généralisée sur le plateau ou bien des accidents, des catastrophes naturelles et des poussées de mégalomanie ? Pour certains désastres d’exception à longue haleine comme Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, tous ces défauts peuvent se cumuler. Pour d’autres, il est juste question de démesure de la part du réalisateur (Michael Cimino et La Porte du paradis) ou de l’acteur principal (Klaus Kinski dans Fitzcarraldo). Pourtant, souvent ces projets nés sous une mauvaise étoile finissent par trouver leur public, voire par devenir de véritables films cultes.

Cléopâtre © 1963 20th Century Fox / The Walt Disney Company France Tous droits réservés

Ce n’est pas uniquement depuis une chanson de carnaval très populaire en Allemagne dès la fin des années ’40, qui nous a d’ailleurs inspiré ce premier titre de paragraphe, que tout tourne autour de l’argent. Puisque le cinéma constitue un mélange très particulier entre l’art et le commerce, il a toujours fallu des sommes exorbitantes pour prétendre tourner des films destinés à un grand public. « The Shark is not working » n’en fait nullement abstraction, son auteur mettant même un point d’honneur à traduire les millions de dollars dépensés jadis en leur valeur actuelle, ajustée à l’inflation en 2024. Néanmoins, il va quasiment de soi qu’une explosion du budget est le symptôme principal de la déroute majeure d’un film en pleine production. Et il n’a pas fallu attendre le cas historique de Cléopâtre de Joseph L. Mankiewicz au début des années ’60, détaillé correctement ici avec ses aléas de production gigantesques et ses scandales colportés par la presse mondiale, pour s’en rendre compte.

Cependant, les dépenses hors de contrôle s’avèrent rarement être la cause initiale d’un parcours du combattant qui vaudra inclusion dans les plus de trois-cents pages de ce livre-ci. Auparavant, de graves erreurs de conception conduisent d’emblée vers une situation de départ bancale, qui se soldera tôt ou tard par un naufrage annoncé. A commencer par des scénarios ni faits, ni à faire, qui subissent d’innombrables corrections, avant que l’urgence du tournage entamé ne force tous les participants à improviser à des degrés plus ou moins laborieux. Suivis par des réalisateurs soit inexpérimentés, comme Josh Trank et Les 4 Fantastiques, soit trop gourmands dans leurs ambitions, jusqu’à se faire débarquer de leurs propres projets.

Ce cataclysme dans une vie professionnelles se tisse tel un fil rouge à travers le livre. Kevin Jarre pour Tombstone, Richard Stanley pour L’Île du docteur Moreau, Zack Snyder pour Justice League et Phil Lord et Chris Miller pour Solo A Star Wars Story sont les victimes les plus tristement mémorables de cette pratique bassement mercantile.

L’Île du docteur Moreau © 1996 Peter Sorel / New Line Cinema / Metropolitan Filmexport Tous droits réservés

Parfois, ce sont également des entités proprement machiavéliques qui sont en cause. Nous avons nommé les vilains producteurs. A ce sujet, l’Italien Dino De Laurentiis voit son nom apparaître avec une régularité alarmante au fil des premières pages. Incriminé entre autres pour Dune de David Lynch et Maximum Overdrive de Stephen King, il appartient à cette vieille école des producteurs despotes dont son confrère Paulo Branco, responsable d’un retard parmi d’autres dans la production-fleuve de L’Homme qui tua Don Quichotte de Terry Gilliam, n’est presque qu’une pâle réplique. En parlant du réalisateur des Aventures du baron de Munchausen, il compte parmi les malheureux cinéastes à avoir deux de leurs films figurer dans « The Shark is not working ».

Aux côtés de Tobe Hopper (Massacre à la tronçonneuse et Poltergeist), Steven Spielberg (Les Dents de la mer, donc, ainsi que Jurassic Park à cause de la complexité des effets spéciaux), William Friedkin (Sorcerer et Cruising La Chasse), Oliver Stone (Platoon et Tueurs nés), John McTiernan (Last Action Hero et Le 13e Guerrier) et Renny Harlin (L’Île aux pirates et L’Exorciste Au commencement). Ce qui fait tout de même un groupe de réalisateurs ayant globalement fait leurs preuves !

D’où notre double constat. D’un, que personne ne s’investit corps et âme dans un projet de film pour faire exprès de la merde – même pas Stephen Norrington et La Ligue des gentlemen extraordinaires, encore que … ! Et de deux, que l’accumulation de ces histoires malheureuses peut finalement avoir de quoi vous filer le cafard, tant l’espoir d’une éventuelle rédemption des artistes et des œuvres y est évacué très succinctement. Comme si l’auteur ne souhaitait pas s’attarder sur la réhabilitation de ces hommes et de ces femmes durement éprouvés par le feu d’une production infernale.

L’Homme qui tua Don Quichotte © 2018 Alacran Pictures / Tornasol Films / Kinology / Entre chien et loup /
Ukbar Filmes / Carisco Producciones / Océan Films Tous droits réservés

Conclusion

Après la lecture de « The Shark is not working », vous serez certainement incollables sur les moindres détails de l’histoire mouvementée de la création de ces films, parfois plus passionnante que le film en lui-même. La surabondance d’informations y a malheureusement parfois tendance à jouer contre l’auteur Renatus Töpke. Celui-ci aurait peut-être mieux fait de se concentrer sur une trentaine de cas réellement emblématiques, au lieu de courir le risque de s’éparpiller dans les profondeurs d’un Rambo III de Peter MacDonald ou d’un Highlander Le retour de Russell Mulcahy. Et pourquoi s’être presque exclusivement focalisé sur le cinéma américain, à l’exception notable du Bateau de Wolfgang Petersen ? Sans doute en raison de cette propension presque pathologique de la machine hollywoodienne de faire éhontément la publicité même de ses pires dérives.

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