Livre : Il y a bien longtemps, dans une salle de montage … (Paul Hirsch)

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Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine …
États-Unis, 2020
Titre original : A long time ago in a cutting room far, far away …
Auteur : Paul Hirsch
Traduction : Pierre Filmon
Éditeurs : Carlotta Films / Almano Films
455 pages
Genre : Autobiographie
Date de parution : 9 juin 2022
Format : 135 mm X 190 mm
Prix : 20 €

4/5

Un livre de cinéma parfait, est-ce qu’une telle chose existe ? Bien sûr, bon nombre de considérations subjectives entrent en jeu pour adouber un ouvrage qu’on dévore à la fois pour le savoir qu’il transmet, pour son écriture divertissante et plus globalement pour le regard singulier qu’il jette sur une industrie et une forme d’art dont on croit connaître les moindres rouages. Les signes de cette perfection toute relative qui ne trompent pas seraient alors la vitesse à laquelle on bouquine ce livre, voire l’appréhension au fil des dernières pages d’en avoir d’ores et déjà fini avec cette porte d’accès privilégié au monde du Septième art. En somme, si vous regrettez de devoir reposer le livre pour vaquer aux occupations de la vie courante, c’est que vous avez probablement l’une de ces publications hélas assez rares entre les mains !

A bien des égards, Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine … répond à ce cahier de charges de l’appréciation aussi passionnelle que personnelle. En effet, l’autobiographie du monteur américain Paul Hirsch nous amène à travers un demi-siècle de cinéma hollywoodien, du début des années 1970 jusqu’à très récemment, depuis la place de choix d’un technicien de haut niveau, ayant travaillé avec les plus grands réalisateurs de cette époque-là. En dehors de sa collaboration soutenue avec Brian De Palma, George Lucas, Herbert Ross et John Hughes, son chemin avait de même croisé celui de noms aussi célèbres que Francis Ford Coppola, Joel Schumacher, Taylor Hackford et Tom Cruise. Une carrière exceptionnelle donc de laquelle il aurait été facile de s’enorgueillir. Sauf que Hirsch paraît être un homme des plus décomplexés et abordables, un vaillant soldat dans l’équipe de faiseurs de films qui ne cherche jamais à tirer la couverture du prestige à lui.

Et c’est peut-être à ce niveau-là que son livre se montre le plus passionnant : dans sa façon d’inciter le lecteur à vouloir passer du temps en compagnie de son auteur. De suivre presque intimement les hauts et les bas d’une carrière au fil de plus de quatre-cents pages, sans jamais se lasser du mélange savant entre anecdotes croustillantes, faits de la vie personnelle et analyse lucide du fonctionnement particulier de la machine hollywoodienne.

Carrie au bal du diable © 1976 Red Bank Films / United Artists / Splendor Films Tous droits réservés

Synopsis : Film après film, le monteur Paul Hirsch nous fait revivre sa carrière, en dressant le portrait de moments décisifs qui ont contribué à créer certaines scènes parmi les plus iconiques du cinéma américain. Du bal sanguinolant de Carrie de Brian De Palma aux batailles spatiales de La Guerre des étoiles de George Lucas, suivies des pas de danse de Kevin Bacon dans Footloose de Herbert Ross et de l’escapade oisive de Matthew Broderick dans La Folle journée de Ferris Buller de John Hughes, jusqu’à plus récemment la récréation de la vie du chanteur de légende Ray Charles dans Ray de Taylor Hackford et les cascades spectaculaires de Tom Cruise dans Mission : impossible Protocole fantôme de Brad Bird, Paul Hirsch était aux premières loges de bon nombre de films marquants du cinéma hollywoodien du demi-siècle dernier.

La Guerre des étoiles © 1977 John Jay / Lucasfilm / 20th Century Fox / The Walt Disney Company France
Tous droits réservés

Le contexte est tout

Une autobiographie reflète-t-elle fidèlement le caractère de la personne par laquelle elle a été écrite ? En tout cas, elle peut fournir une indication sur l’image que l’auteur souhaite donner de lui-même. Le processus sélectif d’y mettre exclusivement des choses qui donnent une impression flatteuse du sujet s’y enclenche presque toujours automatiquement, personne ne voulant laver son linge sale en public. A moins de chercher à vendre un maximum d’exemplaires et de rivaliser avec la presse à scandale le temps d’un cycle médiatique. Or, ce genre d’ouvrage exhibitionniste ne nous a jamais trop intéressé. D’ailleurs, il va sans dire que Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine … n’appartient nullement à cette catégorie à la valeur littéraire fort discutable. Non, Paul Hirsch s’y positionne davantage comme un vieux sage qui revient avec précision et pudeur sur une vie professionnelle mouvementée, sans méchanceté gratuite, mais sans complaisance non plus.

Car s’il fait souvent preuve de reconnaissance envers les hommes et les femmes lui ayant permis d’arriver jusque là, il ne se garde pas non plus de voir d’un œil critique certaines pratiques et autres égos démesurés qui faisaient la loi dans le microcosme hollywoodien de la fin du siècle dernier. Le tout en ayant toujours à l’esprit que la production d’un film est une entreprise coûteuse aux multiples aléas et que sa contribution de monteur n’est qu’une pièce essentielle mais nullement autosuffisante du puzzle. Avant que les projecteurs des salles obscures ne dévoilent l’œuvre accomplie au public, beaucoup de choses peuvent aller de travers. Et la carrière de Hirsch était suffisamment riche et variée pour qu’il puisse nous divertir royalement avec des incidents techniques, ayant causé de nombreuses sueurs froides au technicien exigeant qu’il est sans aucun doute.

Potins de femmes © 1989 Zade Rosenthal / Rastar Films / TriStar Pictures / Sony Pictures Releasing France
Tous droits réservés

Le montage des attractions

Or, c’est moins la technique que l’art de la narration qui nous a subjugués dans ce livre édité de main de maître par Carlotta Films et Almano Films. L’approche de l’auteur est assez vaste et la période couverte assez étendue pour que son livre ait pu courir le risque de s’éparpiller dans des considérations trop spécifiquement techniques, financières ou personnelles. Au contraire, la maîtrise absolue du dispositif du montage a permis a Hirsch de rythmer parfaitement son récit, quitte à entamer l’histoire de sa vie avec son premier gros succès avant d’opérer un retour en arrière dans les chapitres suivants. La même fluidité de l’écriture est de rigueur au cours des centaines de pages successives, l’auteur ne s’attardant jamais plus qu’un paragraphe ou deux sur des thématiques qui pourraient ennuyer son public. Dès lors, on serait presque tenté de pardonner quelques erreurs grammaticales récurrentes qui entachent légèrement le travail de traduction sinon exemplaire de Pierre Filmon.

Aussi centré sur l’industrie du cinéma américain Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine … soit-il, il s’en dégage néanmoins quelques vérités universelles de premier ordre. A savoir que travailler dans ce domaine, même en ayant un bagage professionnel aussi solide que Paul Hirsch, ne garantit pas d’être à l’abri de plusieurs périodes de chômage. L’auteur a le bon goût de ne pas trop se morfondre dans les inconvénients matériels et mentaux de ces passages à vide, mais il sait parfaitement transmettre sa prise de conscience de la précarité de son métier. Malgré l’établissement de certains garde-fous, rendus en fin de compte inefficaces par des décisions créatives en dehors de sa portée, il s’était donc trouvé embarqué dans des projets au sort aussi funeste que Pluto Nash de Ron Underwood. Un film aux conséquences financières presque plus graves pour lui que ne l’était son échec cuisant au box-office en 2002.

Heureusement pour lui et pour nous, Paul Hirsch a su renaître de ses cendres ! Il en a profité afin de nous pondre cette autobiographie aussi instructive sur le processus de fabrication d’un film – y compris sur le travail des compositeurs et des mixeurs du son guère plus valorisé que celui des monteurs – que hautement divertissant, lorsqu’il s’agit de dresser le portrait sans fard des géants du cinéma hollywoodien cités plus haut, dont ce technicien hors pair était un collaborateur largement loyal.

Ray © 2004 Nicola Goode / Anvil Films / Bristol Bay Productions / Walden Media / Universal Pictures International France
Tous droits réservés

Conclusion

Autant nous sommes admiratifs de l’effort éditorial de sortir le livre de Paul Hirsch en France, dans un délai raisonnable après sa première publication aux États-Unis en 2020 et à un prix qui l’est de même tout à fait, autant nous ne sommes guère d’accord avec l’argument de vente émis sur sa quatrième de couverture. Bien plus qu’un simple manuel à l’usage des étudiants de cinéma et qu’un hymne à de légendaires cinéastes du cinéma, Il y a bien longtemps, dans une salle de montage lointaine, très lointaine … est cette bête rare d’un ouvrage qui permet de vulgariser brillamment un aspect de notre cinéma chéri qui avait, à tort, la réputation d’être trop technique. Grâce au talent de conteur sans prétention de Paul Hirsch, nous ne verrons plus jamais un film de la même façon ! Et nous prêterons encore plus d’attention à ces noms au générique, qui avaient tendance à laisser le grand public indifférent, mais qui apportent chacun sa pierre à l’édifice plus ou moins bancal d’un film.

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