Critique VOD : The nightingale

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The nightingale

Australie : 2018
Titre original : –
Réalisation : Jennifer Kent
Scénario : Jennifer Kent
Interprètes : Aisling Franciosi, Baykali Ganambarr, Sam Claflin
Distribution : Condor Entertainment
Durée : 2h16
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie VOD : 15 avril 2021 (sortie également en DVD et en BR)

4/5

Australienne originaire de Brisbane où elle est née en 1969, Jennifer Kent a débuté au cinéma en tant qu’actrice. Lorsque son intérêt pour le métier de comédienne a commencé à faiblir, elle a obtenu de Lars Van Trier l’autorisation d’assister au tournage de Dogville, considérant que c’était sans doute une des meilleures écoles pour passer à la réalisation et retenant par dessus tout l’importance de l’obstination. Après avoir réalisé un court métrage en 2005, elle s’est lancée dans son premier long métrage en 2014 avec Mister Badadook, un film d’horreur qui a accumulé les récompenses dans divers Festivals, dont celui de Gérardmer. The nightingale, son deuxième long métrage, a été présenté à la Mostra de Venise 2018 où Jennifer Kent était la seule réalisatrice en compétition, et ce film a obtenu le Prix spécial du Jury. Jennifer Kent travaille actuellement sur son prochain film, Alice+Frida forever, adapté du livre de l’américaine Alexis Coe sur l’histoire d’un crime qui s’est déroulé à Memphis à la fin du 19ème siècle.

Synopsis : 1825, dans l’Australie sous domination anglaise. Après avoir purgé sa peine, Clare, une jeune bagnarde irlandaise, va bientôt pouvoir vivre librement auprès de son mari et de son bébé. Mais son officier de tutelle n’en a pas fini avec elle : rossée et laissée pour morte, Clare assiste impuissante au massacre de sa famille par des soldats britanniques. A son réveil, au bord de la folie, elle se lance à leur poursuite au travers des terres vierges de Tasmanie. Dans cette région sauvage et isolée, où les lois des hommes ne s’appliquent plus, elle ne reculera devant rien pour se faire justice.

Une île dans laquelle règne la violence

La Tasmanie, 1825. Cette grande île au sud de l’Australie est en phase de colonisation par les britanniques depuis 1803, une colonisation associant le plus souvent le plus souvent des condamné.e.s et leurs gardiens. Face à ces britanniques, qu’ils soient bagnards, militaires ou colons, une population aborigène installée dans l’île depuis environ 35 000 ans et qui, en 1803, comptait entre 5 000 et 10 000 personnes. Clare, une jeune irlandaise de 21 ans, avait été envoyée, par la couronne britannique, purger une peine dans un bagne de Tasmanie pour une raison qui ne sera jamais dévoilée. Toujours est-il que, dorénavant, elle est libre, elle est mariée à Aidan, un compatriote, et elle a donné naissance à une fille, Bridget. Une liberté toute relative puisqu’elle est toujours sous la coupe du lieutenant Hawkins, son officier de tutelle, dont elle attend vainement la lettre de recommandation qui lui permettrait de partir vers une véritable liberté avec son mari et leur fille, et qui, entre temps, en profite pour la violer régulièrement. Le massacre de Aidan et de Bridget par le lieutenant Hawkins, le sergent Ruse et l’enseigne Jago incite Clare à se venger et donc à partir à leur poursuite alors que Hawkins a décidé de partir vers la ville de Launceston où se trouvent les quartiers de l’officier supérieur qui pourrait, s’il arrive à temps, lui permettre de monter en grade et d’être enfin muté dans une région plus hospitalière. Ce délai très court implique d’aller au plus vite, quitte à faire le choix de traverser une région dangereuse et difficile d’accès. Dans ce contexte, être guidé par un aborigène ayant une grande connaissance de la région est une nécessité absolue. Pour le petit groupe mené par le lieutenant Hawkins, ce sera « Uncle Charlie » ; pour Clare, ce sera Billy.

Beaucoup plus qu’un banal film de viol et vengeance

S’il est un pays dans le monde dont la production cinématographique ne jouit pas en France de la renommée et de la couverture qu’elle mérite, c’est bien l’Australie. Il faut dire que l’Australie est un pays de langue anglaise, ce qui rend ses films très accessibles pour le public américain, d’où un exode rapide vers Hollywood pour la grande majorité des réalisateurs australiens dès qu’ils rencontrent le succès. Né dans un pays réputé pour ses grands espaces et qui s’est construit par et dans la violence, le cinéma australien a presque toujours reflété ces deux particularités. Aussi, lorsque la réalisatrice confie : « J’ai toujours été fascinée par la Tasmanie, considérée comme la plus dure des colonies britanniques. Les multirécidivistes y étaient envoyés, les violeurs, les assassins… En revanche, les femmes étaient envoyées bas même pour des crimes mineurs, afin de respecter l’équilibre entre les sexes. Malgré tout, elles étaient à 8 contre 1. Vous pouvez imaginer l’environnement dans lequel elles devaient vivre ! Et côté aborigène, ce qui s’est passé en Tasmanie est considéré comme l’une des pires tentatives de destruction par les britanniques », on peut être certain que son film ne se complaira pas dans la mièvrerie.

En fait, The nightingale est un film qui entre dans la catégorie appelée en anglais « Rape and revenge », viol et vengeance, un genre qui a donné naissance à de véritables chefs d’œuvre et à d’abominables navets. Dire de ce film que c’est un pur chef d’œuvre serait sans doute exagéré, mais affirmer qu’il s’agit d’un film puissant et captivant apparait comme une évidence, avec, en plus, une très belle photographie de paysages magnifiques et une peinture sans détour de personnages aux caractères affirmés. Ambitieux, violeur et violent, ne tenant aucun compte de la vie humaine, le lieutenant Hawkins est presque dédouané lorsque Clare lui demande si son comportement vient d’une absence d’amour maternel dans sa jeunesse. Jeune femme qui, depuis sa plus tendre enfance, a eu une vie difficile, Clare se transforme en véritable furie à la perte de son mari et de sa fille. Jeune aborigène qui a dû grandir auprès de ceux qui ont tué tous les membres de sa famille, Billy est un véritable animal blessé, à la fois dur et plein de colère, tout en ayant beaucoup de générosité au fond de lui. Une des qualités principales de The nightingale réside dans la peinture de l’évolution de la relation entre Clare et Billy : une relation qui pendant une bonne partie du trajet, est imprégnée de racisme et d’ignorance, d’un côté comme de l’autre. Pour Clare, Billy n’est qu’un indigène dont, certes, elle a besoin pour ne pas s’égarer mais qu’elle commande avec dureté comme s’il s’agissait d’un animal ; Clare est une européenne et, pour Billy, elle fait partie de celles et, surtout de ceux, qui ont envahi la terre de ses ancêtres et assassiné sa famille et ses proches. Et puis, à force de se côtoyer, à force de s’entraider, Clare et Billy vont se rapprocher et ce, d’autant plus, lorsqu’ils vont prendre conscience qu’ils partagent une même haine envers les anglais.

Un souci d’authenticité, une excellente distribution

Ce qu’a cherché Jennifer Kent en réalisant The nightingale est très clair : montrer un exemple précis des violences que peuvent subir des femmes, où que ce soit dans le monde, et l’effet que peuvent avoir ces violences sur leur comportement ; mettre en pleine lumière les traitements inhumains imposés aux aborigènes lors de la colonisation en Australie et, plus particulièrement, durant la Guerre Noire en Tasmanie. Pensez donc : une population réduite de 5 000 ou 10 000 personnes à 300 entre 1803 et 1833. Concernant ces deux sujets et, plus particulièrement encore, le second, la réalisatrice tenait à « rendre une copie » qui ne puisse pas être contestée. Ce souci d’authenticité l’a conduite à engager Jim Everett comme consultant aborigène, un spécialiste reconnu de l’histoire et de la culture des aborigènes de Tasmanie qui l’a conseillée dans ces domaines relevant de sa compétence. Ce souci d’authenticité est allé se nicher dans les moindres détails, l’utilisation de la langue des aborigènes, le Palawa Kani, bien évidemment, l’utilisation de la langue gaélique irlandaise pour les conversations entre Clare et Aidan, mais aussi le tissage, la texture et les teintures des tissus utilisés pour l’habillement des personnages, ainsi que la façon de construire des bâtiments en bois à une époque où les clous étaient très chers. Par ailleurs, Jennifer Kent ne souhaitait pas que son film puisse être comparé à un documentaire touristique sur la Tasmanie : montrer la beauté sauvage des forêts primaires traversées pour atteindre Launceston, c’était une évidence, mais en faisant de ces lieux un personnage du film, quelque chose rappelant les contes de Grimm, en mettant en avant la notion d’enfermement chez les personnages. Par conséquent, il n’était pas question de tourner en scope, avec de petits personnages dans un cadre immense ! La réalisatrice y tenait : le film a été tourné au format 1.37 : 1, le plus adapté à la captation des émotions sur les visages. Le polonais Radek Ladczuk, le Directeur de la photographie, qui avait déjà travaillé avec Jennifer Kent pour Mister Badadook, a été, parait il, difficile à convaincre. Cela ne l’a pas empêché de nous offrir un très bel ouvrage sur ce film.

Dans la distribution, le plus expérimenté, le plus connu, est le britannique Sam Claflin, l’interprète du lieutenant Hawkins. Dans le rôle d’un personnage dont il dit lui-même qu’il est à l’opposé de sa véritable personnalité, ce comédien qu’on a vu, par exemple, dans The Riot club et dans My cousin Rachel, se montre convaincant en personnage totalement haïssable qu’on a du mal à totalement haïr. Moins connue, moins expérimentée, même si on l’a vue dans Jimmy’s Hall, de Ken Loach, et dans Game of Thrown, la comédienne irlando-italienne Aisling Franciosi est absolument prodigieuse dans le rôle de Clare, excellente dans toutes les facettes de son rôle, femme amoureuse, mère pleine de tendresse, vengeresse sans aucun frein, et, en plus, impeccable chanteuse. L’australien Damon Herriman campe parfaitement l’abominable soudard qu’est le sergent Ruse. Quant à Baykali Ganambarr, l’interprète de Billy, c’est dans The nightingale qu’il a fait ses débuts devant une caméra. Des débuts très réussis qui lui ont permis d’obtenir le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir masculin lors de la Mostra de Venise 2018.

Conclusion

Bien entendu, on regrettera de ne pas avoir pu voir ce grand film sur grand écran. Il faut toutefois comprendre le choix du distributeur de le sortir en VOD, en DVD et en Blu-ray, s’agissant d’un film dont le tournage s’est déroulé il y a maintenant 4 ans. Par rapport à la VOD, le DVD et le Blu-ray proposent 2 suppléments de grand intérêt : « L’histoire et les personnages », d’une durée de 28 minutes, dans lequel les principaux protagonistes du film s’expriment sur l’histoire, sur le personnage qu’ils ou elle interprètent et sur le jeu de leurs partenaires ; « Dans les coulisses du tournage », d’une durée de 18 minutes, entraine le spectateur vers la recherche d’authenticité présente dans tous les domaines du tournage et des accessoires, costumes, coiffures, constructions, ainsi que dans la justification des choix de la réalisatrice, format de l’image et lieux de tournage en particulier. Le résultat est à la hauteur de ce travail minutieux et précis !

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