Critique : une vie secrète

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Une vie secrète

Espagne : 2019
Titre original : La Trinchera Infinita
Réalisation : Jon Garaño, Aitor Arregi, José Mari Goenaga
Scénario : Luiso Berdejo, José Mari Goenaga
Interprètes : Antonio de la Torre, Belén Cuesta, Vicente Vergara
Distribution : Epicentre Films
Durée : 2h27
Genre : Drame
Date de sortie :  28 octobre 2020

2.5/5

Trois réalisateurs ou réalisatrices pour un film, c’est une situation très rare, même si il ne faut pas remonter très loin dans le temps pour retrouver Party Girl, Caméra d’or cannoise en 2014, réalisé par 2 femmes et un homme. Jon Garaño, Aitor Arregi et José Mari Goenaga sont basques et ils travaillent ensemble depuis une vingtaine d’années, tant sur des scénarios de films que sur leur réalisation et leur production. Une vie secrète est leur première réalisation en trio. C’est aussi la première fois qu’ils abandonnent la langue basque pour le castillan. 

Synopsis : Espagne, 1936. Higinio, partisan républicain, voit sa vie menacée par l’arrivée des troupes franquistes. Avec l’aide de sa femme Rosa, il décide de se cacher dans leur propre maison. La crainte des représailles et l’amour qu’ils éprouvent l’un pour l’autre condamnent le couple à la captivité. 


Coupé du monde pendant plus de 30 ans

Les taupes sont de petits mammifères qui vivent presque en permanence dans des galeries souterraines. Wikipedia nous dit qu’elles naissent avec une vue parfaitement développée et qu’elles deviennent aveugles ou presque (selon les espèces) au fil du temps. Pendant la guerre d’Espagne et durant la longue période du franquisme, la répression organisée par les phalangistes et la garde civile a touché énormément de monde, avec, à la clé, des détentions, des tortures ou des exécutions, après ou sans jugement. Pour échapper à ces traitements barbares, de nombreux espagnols se sont cachés, très souvent dans leur domicile, sans pouvoir sortir de chez eux, avec l’espoir que cette situation serait de courte durée. En fait, cette situation a duré jusqu’en 1969, date de la « prescription générale pour les crimes commis pendant la guerre ». En Espagne, un qualificatif a été utilisé pour appeler ces gens là : Los topos, les taupes. Des gens qui, certes, ne sont pas devenus aveugles au fil du temps, mais qui, parfois, n’ont pas vu la lumière du jour pendant de très longues années. C’est la vision en 2012, au Festival de San Sebastien, de 30 ans d’obscurité, un documentaire réalisé par Manuel H. Martin et qui racontait l’histoire de plusieurs « taupes », qui a déclenché chez le trio des réalisateurs l’idée de réaliser une fiction sur ce sujet.

Une vie secrète se concentre sur un couple, Higinio et Rosa Blanco, Higinio restant terré chez lui pendant plus de 30 ans, Rosa étant elle obligée de mentir à son entourage durant toute cette période. Pour Higiono, un confinement à côté duquel celui que nous avons vécu au printemps dernier (et que nous allons peut-être connaître à nouveau !) peut être qualifié de particulièrement léger. Pour le couple, le poids permanent de la peur et une promiscuité non moins permanente qui ne peut pas, malgré l’amour manifeste qu’ils ont l’un pour l’autre, ne pas générer des moments de tension, et ce, d’autant plus lorsque Rosa décide qu’il est temps pour elle d’avoir un enfant. Pour le couple, toujours, un certain nombre de difficultés d’ordre pratique : comment faire, par exemple, pour cacher la présence d’un homme lorsqu’on fait sécher le linge à l’extérieur ? Comment faire concernant le renouvellement des vêtements d’Higinio, l’achat de vêtements d’hommes étant bien sûr impossible ? Pour le couple, enfin, il y a le danger important que représente un voisin proche, dont le frère a été tué par les Républicains et qui, poursuivant Higinio de sa vindicte, est persuadé qu’il se cache chez lui et parait prêt à tout pour le débusquer.

La question de l’image

En décidant de nous faire vivre l’existence d’une « Taupe » sur une durée de plus de 30 ans, en nous mettant plus ou moins à sa place, les réalisateurs n’ont pas choisi la facilité. Déjà, comment arriver à compresser tant d’années sur la durée d’un film ? Il est certes évident que pour Rosa, et encore plus pour Higinio, les jours se suivent et ont tendance à beaucoup se ressembler. Il n’empêche, malgré les 147 minutes que dure le film, inévitables et nombreuses sont les ellipses. Pour faciliter la tâche des spectateurs, les réalisateurs ont eu recours à une astuce : considérer que chaque séquence du film correspond à un chapitre et donner une définition à chacune de ces séquences. Malgré tout, le film apparait parfois fastidieux à suivre.

Si le traitement du son, pratiquement le seul moyen dont Higinio dispose pour suivre ce qui se passe à l’extérieur, est très bien réalisé dans le film, qu’en est-il de l’image, la plupart des séquences se déroulant dans une grande obscurité ? Figurez vous que, sur ce sujet, les opinions varient considérablement. Cela va, pour des spectateurs assistant à la même projection, de « la photographie est magnifique, on dirait que l’on contemple des tableaux » » à « Il y a longtemps que je n’avais pas vu des images aussi laides. On se dirait revenu au début du numérique avec, par exemple, la présence presque systématique de liserés très voyants le long des profils des personnages ». Comment expliquer cette différence dans les opinions ? L’emplacement dans la salle ? Autre chose ?

Deux grands interprètes

Si on peut émettre quelques réserves quant à la façon dont l’histoire, a priori historiquement importante, est racontée, sur l’intérêt, fonctionnant sur courant alternatif, que le spectateur peut y trouver, une certitude se dégage à la vision de Une histoire secrète : les interprètes d’Huginio et de Rosa sont excellents ! Dans le rôle d’Higinio, un comédien qu’on voit beaucoup et qui est actuellement la star n°1 du cinéma espagnol : Antonio de la Torre. il a joué un premier rôle dans les grands succès récents de ce cinéma, La isla mínima, La Colère d’un homme patient, Que Dios nos perdone, El reino, avec le Goya du meilleur acteur dans ce dernier film. Dans Une histoire secrète, il sait montrer avec beaucoup de sobriété les failles psychologiques et morales d’Higinio, des failles que la situation qu’il vit ne peut que mettre à nu. A ses côtés, Belén Cuesta, moins connue que Antonio de la Torre, campe parfaitement Rosa, une femme qui souffre de la situation mais dont l’énergie ne faiblit pas. Un rôle délicat pour lequel elle a obtenu le Goya de la meilleure actrice, en janvier dernier.
 

Conclusion

Sur un sujet fort, mais difficile à traiter, Une vie secrète ne manquera pas de partager les spectateurs, certains y voyant un film décrivant parfaitement la vie d’un couple dont le mari doit vivre caché de tous pendant 30 longues années, les autres regrettant que cela se traduise par un film trop long et visuellement trop sombre. Par contre, les spectateurs ne pourront qu’apprécier le jeu de Antonio de la Torre et, peut-être plus encore, celui de Belén Cuesta.

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