Critique : Tazzeka

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Tazzeka

France, Maroc : 2018
Titre original : –
Réalisation : Jean-Philippe Gaud
Scénario : Jean-Philippe Gaud
Interprètes : Madi Belem, Ouidad Elma, Olivier Sitruk, Amada Diop
Distribution : Les films des deux rives
Durée : 1h35
Genre : comédie dramatique
Date de sortie : 10 octobre 2018

4/5

Originaire de Draguignan, dans le Var, Jean-Philippe Gaud a suivi les cours de la Fémis : Département Montage, promotion 1997. C’est donc en tant que monteur qu’il a réalisé, jusqu’à présent, le plus gros de sa carrière cinématographique tout en participant à l’écriture de scénarios et en réalisant quelques court-métrages de fiction ou documentaires. Amateur d’opéra par tradition familiale, il a également mis en scènes deux opéras, « Paillasse » et « Le Barbier de Séville ». Tazzeka est son premier long métrage, un film qu’il a muri pendant 7 ans et dont l’ensemble des qualités lui permettent de prendre place parmi les réalisateurs à suivre du cinéma français.

Synopsis : Élevé par sa grand-mère qui lui transmet le goût et les secrets de la cuisine traditionnelle, Elias grandit au cœur d’un village marocain, Tazzeka. Quelques années plus tard, la rencontre avec un grand chef cuisinier parisien et l’irruption de la belle Salma dans son quotidien vont bouleverser sa vie et le décider à partir pour la France… À Paris, Elias fait l’expérience de la pauvreté et du travail précaire des immigrés clandestins. Il découvre aussi les saveurs de l’amitié grâce à Souleymane, qui saura raviver sa passion pour la cuisine.

 

Le rêve d’un cuisinier

Dès son plus jeune âge, Elias a montré un grand intérêt pour la cuisine, un art dont sa grand-mère, celle qui l’a élevé, lui a révélé un grand nombre de secrets et dont il a complété la connaissance en lisant les livres de Joël Robuchon, en apprenant par cœur ses recettes et en suivant les émissions culinaires à la télévision. Un rêve le hante : devenir un grand chef ! Un rêve manifestement impossible à réaliser dans le petit village marocain où il travaille dans l’épicerie-gargotte de Youssef, un patron plutôt sympathique avec lui, mais qui refuse qu’Elias s’écarte des plats « de base » de la cuisine marocaine, tajines et couscous. Un carré d’agneau ? Pas question étant donné le prix d’achat de cette viande de luxe. Un rêve qui semble se rapprocher quand le hasard fait entrer dans l’établissement de Youssef le chef parisien multi étoilé Julien Blanc, star de la télévision. L’occasion pour Elias de montrer à un connaisseur l’étendue de ses talents ! Les compliments de Julien, plus les délicieux moments passés avec Salma, une jeune fille dont la famille est originaire du village, une jeune fille qui, normalement vit dans la région parisienne et qui, sans prévenir Elias, quitte le Maroc pour retourner en France après un séjour chez un oncle censé lui apprendre le mode de vie des jeunes filles marocaines, voilà des raisons suffisantes pour que Elias se retrouve à Paris où, bien sûr, les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu : des moments difficiles, la vie illégale d’un immigré clandestin, isolé dans une ville tentaculaire, obligé d’accepter n’importe quel travail qui se présente, bien loin, bien sûr, du monde de la cuisine. Avec aussi la chance de rencontrer Souleymane, un immigré sénégalais, sans papiers lui aussi, un homme qui aime faire la fête et dont l’entrain contagieux contraste avec l’effacement d’Elias.

« Un ancrage dans le réel sur un ton léger »

On le sait depuis longtemps : la cuisine faite avec amour et le cinéma font souvent bon ménage ! Rappelons nous, entre autres, Le Festin de Babette, Beignets de tomates vertes, Salé sucré, The lunchbox, Les délices de Tokyo, des films de rencontres plus ou moins fortuites qui, tous, dégageaient sans aucun pathos une grande émotion tout en titillant agréablement nos papilles. Le film de Jean-Philippe Gaud vient incontestablement prendre sa place dans cette famille. C’est parce qu’il désirait réaliser un film parlant de l’immigration avec un ancrage dans le réel tout en étant plus léger que ce qu’on a l’habitude de voir sur ce sujet, que Jean-Philippe Gaud a choisi de faire de son personnage principal un cuisinier en devenir, ce métier, par nature dans le liant, permettant a priori des rapports humains plus apaisés. Quant au choix du Maroc et, plus particulièrement, de Tazzeka pour démarrer l’histoire, le réalisateur l’explique par son désir de faire partir Elias d’un environnement qui ne soit pas particulièrement lourd tout en ayant une coupure franche entre les paysages des deux parties du film, campagnard pour commencer, urbain ensuite.

Que ce soit dans la première partie du film, marocaine, ou dans la seconde, parisienne, on voit Elias préparer des plats avec beaucoup de soin et de délicatesse, et il est évident que le plaisir visible des gens qui, ensuite, les consomment est pour lui une grande récompense et une énorme source de bonheur. Dans la première partie, à Terreka, l’environnement campagnard est magnifique et Elias vit une jeunesse insouciante, même si on apprend que son frère est mort en tentant de se rendre en Europe via le détroit de Gibraltar. Dans la seconde partie, à Paris, l’environnement citadin est oppressant, la recherche de travail difficile, mais le réalisateur fait en sorte de ne jamais réellement confronter Elias et Souleymane à des policiers, des hommes dont on ne verra furtivement que les chaussures montantes. Il préfère s’attarder sur la solidarité qui règne entre Elias et Souleymane, sur l’intégration du jeune marocain dans une communauté qui n’est pas la sienne mais dont la chaleur des relations lui fait du bien et lui redonne envie de réussir son rêve.

Un travail sur sept années

La première image qu’on voit d’un film a souvent un impact important sur l’impression qu’il laissera, une fois terminé. Dans Tezzeka, cette première image, celle de collines de la région du Rif marocain juste après un épisode de pluie, elle a été travaillée par René Mazet, le Directeur de la photographie, et elle est tout simplement magnifique, rappelant certains plans de Le goût de la cerise, la Palme d’or d’Abbas Kiarostami. Par la suite, le ton général du film fait davantage penser au Robert Guédiguian de Marius et Jeannette et de Les neiges du Kilimandjaro avec cette appétence pour les rapports humains chaleureux et ce mélange subtil de drame et de comédie. Quant au montage, réalisé par Jean-Philippe Gaud lui-même, il est tout simplement parfait, avec ce qu’il faut d’ellipses et des scènes ayant très exactement la bonne durée.

Sept années ont été nécessaires pour réaliser ce film. Il y a eu des repérages, un gros travail de documentation, la recherche du financement, la recherche des comédiens, …. Ces comédiens, à part Olivier Sitruk qui joue le rôle de Julien Blanc, on ne les connait pas vraiment, même si Madi Belem, l’interprète d’Elias, a un petit rôle dans Baron Noir et un rôle plus important dans Le convoi, même si Ouidad Elma (Salma) a déjà tourné dans de nombreux films et téléfilms, et même dans The last post, une série britannique, même si Abbes Zahmani (Youssef) a, depuis 30 ans, une filmographie conséquente, même si Amada Diop (Souleymane), par ailleurs chanteur et percussionniste, est très souvent sur des scènes théâtrales. Une distribution qui ne force jamais son jeu et qu’on sent totalement impliquée dans la réussite du film. Un film qui porte le nom d’une vallée située à une soixantaine de kilomètres à l’est de Fès et que Jean-Philippe Gaud avait « repérée » dès 2011. Un film qui, pour des raisons de logistique, a été tourné ailleurs, près de Chefchaouen, dans le Rif. On terminera en évoquant le travail important réalisé sur la photographie : filmé en numérique, il a été procédé à une transformation de l’image, consistant à lui donner 3 apparences de grains différentes, super 8, 16 mm, 35 mm, de façon à bien différencier dans le temps les différentes périodes.

Conclusion

Tazzeka est un film qui donne la pêche, un film qui fait chaud au cœur. Il est possible, voire probable, que certains le jugent avec un certain mépris, le trouvant trop gentillet, trop « bisounours » : tant pis pour eux ! Très bien interprété, il est, en plus, magnifiquement mis en images et il recèle un certain nombre de scènes qui, d’un point de vue purement cinématographique, marquent les esprits, l’exemple le plus remarquable étant une magnifique scène de dégustation à l’aveugle sur fond d’un aria de Mozart. Pour son premier long métrage, Jean-Philippe Gaud a tapé juste.

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