Critique : Si le vent tombe

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Si le vent tombe

France, Arménie, Belgique : 2020
Titre original : –
Réalisation : Nora Martirosyan
Scénario : Nora Martirosyan, Emmanuelle Pagano, Guillaume André, Olivier Torres 
Interprètes : Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan
Distribution : Arizona Distribution
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie :26 mai 2021

3.5/5

Native de l’Arménie soviétique, Nora Martirosyan est dorénavant installée à Montpellier où elle se partage entre l’enseignement du cinéma et de la vidéo et la réalisation de films. Après plusieurs court-métrages, elle a choisi, pour son premier long métrage, de poser sa caméra dans un pays très particulier, un pays qui n’existe pas sur le plan juridique et géopolitique, mais qui a pourtant une capitale, un président et qui est doté d’une constitution. Ce pays, c’est le Haut-Karabagh et elle l’a visité pour la première fois en 2009. Le cheminement pour arriver à Si le vent tombe a été long : le film a été développé dans le cadre des ateliers d’Angers 2014, le projet a été sélectionné par l’Atelier Cannes 2014 et l’écriture du scénario a été finalisée avec la romancière Emmanuelle Pagano, rencontrée à la Villa Médicis. Le film faisait partie de la sélection ACID de Cannes 2020.

Synopsis : Alain, un auditeur international, vient expertiser l’aéroport d’une petite république auto-proclamée du Caucase afin de donner le feu vert à sa réouverture. Edgar, un garçon du coin se livre à un étrange commerce autour de l’aéroport. Au contact de l’enfant et des habitants, Alain découvre cette terre isolée et risque tout pour permettre au pays de s’ouvrir.

Un audit dans une région troublée

Lorsque Alain Delage arrive à l’aéroport de Stepanakert après un voyage en avion suivi de 8 heures de voiture, il n’a qu’une vague idée de ce qui l’attend. Certes, il sait qu’il a été missionné pour réaliser un audit de cet aéroport situé à proximité de la capitale du Haut-Karabagh, audit destiné à vérifier si l’ensemble de ses infrastructures répondent aux normes de l’aviation civile. Par contre, il ne sait pas grand chose du contexte historique et politique du pays. Pour lui, il s’agit de se montrer sérieux et objectif dans sa tâche. C’est ainsi que, malgré la requête pressante du directeur de l’aéroport, il refuse de façon abrupte d’être interviewé par la télévision locale tant qu’il n’aura pas abouti à la conclusion de son audit, que son avis, in fine, s’avère positif ou négatif. Très vite, il s’aperçoit que de nombreux points vont dans le bon sens, Alain Delage étant même surpris de constater que tous les employés nécessaires à un véritable fonctionnement de l’aéroport sont à leur poste. Deux points, toutefois, lui posent des problèmes : tout d’abord, il y a ce gamin, Edgar, qu’il voit traverser le terrain de l’aéroport et les pistes avec ses deux bonbonnes d’eau, la preuve évidente que les clôtures du terrain sont poreuses ; et puis, surtout, une question majeure se pose : à quelle distance exacte se trouve la frontière avec l’Azerbaïdjan, les différentes cartes n’étant pas d’accord, laquelle doit on croire ? En effet, si cette frontière est trop proche de l’aéroport, les avions risquent de la dépasser lorsque, pour une raison quelconque, ils devront partir faire demi-tour après un atterrissage raté et, dans ce cas, ils se trouveront sous les feux d’un ennemi implacable. Même si son interlocuteur fait remarquer que l’on peut atterrir par tous les temps, grâce au système d’atterrissage aux instruments, même si, pour lui, l’avion vient pour atterrir, pas pour faire demi-tour, Alain Delage clôt le débat : la régulation impose de pouvoir faire demi-tour !

Un pays dans une situation difficile 

Dans la plupart des pays, l’audit que doit réaliser Alain Delage se ferait assez facilement, à partir de réponses objectives à l’ensemble des questions. Mais nous sommes dans une République autoproclamée depuis 1991, en majorité peuplée d’arméniens mais convoitée par l’Azerbaïdjan, un pays qui n’est reconnu par aucun Etat membre de l’ONU et dans lequel de violents combats entre les populations locales, soutenues par l’Arménie, et l’Azerbaïdjan se sont déroulés entre 1992 et 1994. Au moment où le film a été tourné, la situation n’avait pratiquement pas évolué depuis le cessez le feu de mai 1994 et on peut aller jusqu’à croire ce que le directeur de l’aéroport dit à Alain Delage : avoir un aéroport en fonctionnement, avec des lignes commerciales directes vers l’Arménie et d’autres pays, augmenterait considérablement les chances du Haut-Karabagh d’avoir une reconnaissance internationale. De quoi mettre la pression sur l’auditeur ! De fait, au contact de Seirane, le chauffeur qu’on lui a alloué et dont la femme vient d’accoucher d’un fils, au contact des amis de Seirane, Alain Delage commence à ressentir une forme d’empathie  pour ce pays et sa population. Peut-il, toutefois, en arriver à ne pas tenir compte des règles internationales dans les conclusions de son rapport ? Malheureusement, peu de temps après le tournage du film, le conflit a repris du 27 septembre au 10 novembre 2020, entre l’Azerbaïdjan équipé d’armes en provenance d’Israël et soutenu par la Turquie et les forces militaires du pays soutenues par l’Arménie. Pour le Haut-Karabagh, les pertes en hommes ont été très importantes et une grande partie du pays se retrouve dorénavant sous l’emprise de l’Azerbaïdjan

Une grande importance historique

Même si le film souffre parfois de quelques longueurs, il n’en a pas moins une importance de type historique en étant le reflet réaliste d’une situation qui n’existe plus, le réalisme baignant régulièrement dans une atmosphère quasiment onirique, proche de celle qu’on retrouve dans « Le désert des Tartares » de Dino Buzzati. C’est ainsi qu’on découvre un aéroport qui, bien que n’étant pas en service, est en parfait état, avec la présence effective des employés qui font « comme si … », un gamin qui vend de l’eau aux vertus prétendument miraculeuses et dont il assure qu’elle provient d’une source bien connue des habitants de la région, un vieil homme un peu fou qui vit en ermite dans la montagne. Et puis, à côté, le réalisme avec Alain Delage, le représentant de l’ouest de l’Europe, qui s’étonne auprès de Seirane : « Je ne savais pas que le conflit avait été aussi violent ! » et son chauffeur qui lui répond : « Bien sûr que vous ne le saviez pas, vous ne regardiez tous que la Yougoslavie ». Dans la distribution du film, un seul comédien nous est familier : Grégoire Colin, l’interprète de Alain Delage. Ce comédien de 45 ans qui avait connu un début de carrière particulièrement prometteur il y a plus d’un quart de siècle n’avait plus obtenu de premier rôle depuis bien longtemps. Nora Martirosyan l’a choisi pour la force intérieure qu’il dégage et son côté ténébreux : on doit reconnaître qu’elle ne s’est pas trompée ! A ses côtés, un casting d’acteurs et d’actrices arménien.ne.s, venant principalement du théâtre, que nous, français, ne connaissons pas, mais que l’Arménie connait très bien !

Conclusion

Il arrive que le tournage d’un film se déroule juste avant que des événements importants touchent le pays qui l’a accueilli. La conséquence est simple : lorsque le film sort, la situation décrite dans le film peut avoir complètement changé. C’est exactement ce qui s’est passé pour Si le vent tombe, tourné dans le Haut-Karabagh, les combats ayant repris peu après entre l’Azerbaïdjan et les forces militaires locales, se traduisant par d’importantes pertes en hommes et une grande partie du pays se retrouvant dorénavant sous l’emprise de l’Azerbaïdjan. Même si le film souffre parfois de quelques longueurs, Si le vent tombe n’en a donc pas moins une importance de type historique non négligeable.

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