Critique : Leur Algérie

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Leur Algérie

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Lina Soualem
Scénario : Lina Soualem
Interprètes : Aïcha Soualem, Mabrouk Soualem, Zinedine Soualem
Distribution : JHR Films
Durée : 1h13
Genre : Documentaire
Date de sortie : 13 octobre 2021

4/5

Fille du comédien franco-algérien Zinedine Soualem et de l’actrice et réalisatrice franco-palestinienne Hiam Abbass, Lina Soualem s’est très naturellement tournée vers une carrière cinématographique après avoir fait des études d’histoire et de sciences politiques. Après être apparue à l’écran en tant que comédienne, c’est lorsque ses grands-parents paternels se sont séparés, après 62 ans de mariage, qu’elle a jugé possible et nécessaire de réaliser Leur Algérie, un film qui mélange avec bonheur histoire familiale et histoire tout court.

Synopsis : Après 62 ans de mariage, les grands-parents de Lina, Aïcha et Mabrouk, ont décidé de se séparer. Ensemble ils étaient venus d’Algérie en Auvergne, à Thiers, il y a plus de 60 ans, et côte à côte ils avaient traversé cette vie chaotique d’immigré.e.s. Pour Lina, leur séparation est l’occasion de questionner leur long voyage d’exil et leur silence.

La fin d’un silence familial

C’est au cours d’un voyage d’étude en Algérie, alors qu’elle était en licence d’histoire à Paris 1, à la Sorbonne, son premier voyage en Algérie, que Lina Soualem a pris conscience que, si elle avait une bonne connaissance de l’histoire de ce pays, elle ne connaissait rien de l’histoire de ses grand-parents paternels, des algériens qui avaient quitté leur pays en 1954 pour venir s’installer à Thiers : un sujet qui avait toujours fait l’objet d’un grand silence de la part de son entourage. Ce n’est toutefois que plusieurs années plus tard, lorsque son père lui a appris la séparation de ses grand-parents, qu’elle a ressenti « le besoin de les filmer pour comprendre leur histoire, comprendre d’où vient ce silence surtout, comprendre ce qui se peut se cacher derrière ». Une forme d’urgence, pour elle, Aïcha, sa grand-mère, étant âgée de 80 ans au moment de cette séparation, Mabrouk, son grand-père, ayant largement dépassé cet âge : la réalisatrice voulait faire en sorte qu’ils racontent leur histoire avant qu’ils ne disparaissent. Bien lui en a pris, Mabrouk étant décédé au moment de la post-production.

Alors que Lina Soualem avait en tête, au départ, de filmer presque exclusivement sa grand-mère, elle s’est aperçue que, même s’il s’exprimait peu, il était important de filmer également son grand-père ainsi que son père, celui qui faisait le lien entre sa génération et celle de ses grand-parents. Tout comme il était utile de glisser quelques petits bouts de films familiaux tournés par son père dans les années 90. Tout comme il était sans doute indispensable, enfin, qu’elle-même intervienne, posant les questions, montrant des photos et des films à Aïcha et à Mabrouk, faisant office de fil conducteur, tout en représentant la 3ème génération, la plus éloignée dans le temps des racines algériennes et, en même temps, Lina est celle qui tient le plus à retourner vers ces racines, à retrouver, à rencontrer les membres de la famille restés sur place, dans le village agricole de Laaouaner en Kabylie, à se rendre dans le cimetière où sont enterrés les ancêtres. « Là bas, j’ai pensé à nous », dit Lina à son père à son retour.

Passionnant, tendre et délicat

Leur Algérie est un témoignage passionnant, plein de tendresse et de délicatesse sur les liens entretenus par 3 générations successives avec un pays, l’Algérie, que les plus âgés, les grand-parents, avaient quitté il y a plus de 60 ans, alors que commençait la guerre pour l’indépendance, que la génération intermédiaire, représentée par Zinedine, n’a cessé de porter dans son cœur, sans pour autant chercher à bien le connaître et que la génération la plus jeune, avec Lina, la réalisatrice, a préféré aller visiter plutôt que de le fantasmer. Comme elle l’espérait, la réalisation de son film lui a permis d’apprendre un grand nombre d’éléments concernant la vie de ses grands-parents, la façon dont s’était déroulée leur rencontre, le regret de Aïcha de ne pas avoir été scolarisée, le fait que, durant une grande partie de leur existence, ils avaient imaginé retourner un jour en Algérie, mais, comme dit Mabrouk « Quand tu fais du social ici, tu peux plus partir », etc. Par contre, elle n’imaginait pas vraiment apprendre des éléments ignorés de la vie de son père et elle se montre surprise que celui qu’elle pensait avoir été français dès sa naissance car né à Thiers n’avait fait qu’à 28 ans les démarches pour obtenir la nationalité française.

Sans appuyer lourdement, simplement au travers de ce que dit Mabrouk sur son travail dans une coutellerie et d’images d’usines à l’abandon, Leur Algérie montre aussi l’évolution de ce qu’on appelle la mondialisation avec le besoin de main d’œuvre ressenti par l’industrie coutelière de Thiers après la 2ème guerre mondiale, un besoin se traduisant par un transfert important de population immigrée vers cette ville, et la situation d’aujourd’hui, avec les problèmes que cette industrie rencontre face à une concurrence où la main d’œuvre est restée sur place, en Chine ou ailleurs. Sur le vécu et le ressenti des familles d’immigrés, sur l’appel à l’immigration suivie progressivement de la désindustrialisation de notre pays, Leur Algérie est un film qui, en montrant le local, en interrogeant l’intime, donne une vision de ces questions qui côtoie l’universel.

Un personnage de cinéma

Deux éléments importants font de Leur Algérie autre chose qu’un documentaire fade et ennuyeux : il y a d’abord le talent de la réalisatrice qui a interrogé, qui a filmé, qui a enregistré le son, auquel s’ajoute l’excellent travail de la très réputée monteuse Gladys Joujou. Et puis, il y a la présence d’un extraordinaire personnage de cinéma : Aïcha, la grand-mère de la réalisatrice. Une femme dont on sent qu’elle n’a pas eu dans son existence tous les éléments pour être pleinement heureuse mais qui, à 80 ans, a conservé une extraordinaire énergie vitale, une femme au regard pétillant de malice, certainement d’une grande beauté dans sa jeunesse et qui, sans doute pour se protéger, ponctue par des éclats de rire les réponses qu’elle donne aux questions qu’on lui pose, une femme qui, par ailleurs, déborde d’émotion non feinte lorsqu’elle est confrontée à la photo de sa mère. A côté, Mabrouk, dont la ressemblance avec son fils Zinedine est frappante, est un taiseux ayant comme crédo : « Que je te dise ou que je te le dise pas, ça va changer quoi ? », mais, habilement, en lui montrant des photos, en l’emmenant au musée de la coutellerie, sa petite fille arrive à le faire parler et le peu qu’il dit est toujours intéressant. Au moment où Lina a réalisé son film, Aïcha et Mabrouk étaient séparés depuis peu, mais toujours proches l’un de l’autre, 30 mètres séparant leurs 2 immeubles et Aïcha visitant Mabrouk tous les jours. Finalement, au vu des relations au sein du couple entrevues au travers du film, cette séparation ne représentait pas pas un grand changement par rapport à la longue période durant laquelle ils partageaient la même demeure et qui voyait Mabrouk s’éclipser lors des fêtes de famille se déroulant chez eux.

Conclusion

Les premiers pas de Lina Soualem en tant que réalisatrice sont très prometteurs, Leur Algérie s’avérant un portrait tendre et délicat d’une histoire familiale tout en permettant aux spectateurs de ressentir le côté universel qu’il y a dans cette histoire. Après la famille de son père, on attend sans grande crainte d’être déçu le portrait de la famille de sa mère, le côté palestinien de ses origines, qu’elle est en train de réaliser. 

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