Critique : La fiancée du désert

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La fiancée du désert

Argentine, Chili : 2017
Titre original : La novia del desierto
Réalisation :  Cecilia Atán, Valeria Pivato
Scénario :  Cecilia Atán, Valeria Pivato, Martín Salinas
Acteurs : Paulina García, Claudio Rissi
Distribution : Memento Films Distribution
Durée : 1h18
Genre : Drame
Date de sortie : 13 décembre 2017

4.5/5

Il y a 6 ans, un « petit » film argentin de la Semaine de la Critique avait enthousiasmé la Croisette et était reparti avec la Caméra d’Or. Ce film, Les acacias, était argentin et, cette année, on pouvait croire, voire même espérer, à une répétition de ce scénario avec La fiancée du désert, un autre « petit » film argentin, premier long métrage de Cecilia Atán et Valeria Pivato, présenté dans la sélection Un Certain Regard.

Synopsis : Teresa, 54 ans, a toujours travaillé au service de la même famille jusqu’au jour où elle est contrainte d’accepter une place loin de Buenos Aires. Elle entame alors un voyage à travers l’immensité du désert argentin, et ce qui semblait être le bout du chemin va s’avérer le début d’une nouvelle vie.

Comme quoi un oubli tout bête peut changer votre vie !

Teresa est une chilienne de 54 ans qui, ayant perdu ses parents lors d’un tremblement de terre, a été recueillie par un oncle qui l’a placée comme domestique dans une famille de Buenos-Aires, afin qu’elle prenne en charge l’enfant de la famille. Au bout de plusieurs années, Teresa a vraiment l’impression de faire partie de cette nouvelle famille. Mais, en Argentine comme ailleurs, les enfants grandissent et arrive un moment où « on  » n’a plus besoin d’elle. Ce qu’elle prenait pour sa nouvelle famille décide de l’envoyer occuper une nouvelle fonction à San Juan, à 1100 kilomètres de car de Buenos-Aires. Le voyage ne se déroule pas tout à fait comme prévu, le car tombant en panne à Vallecito, à une heure de route de San Juan.

Dans cette bourgade où les passagers du car doivent attendre, se trouve un sanctuaire dédié à la Difunta Correa, un personnage mythique qui fait l’objet d’un véritable culte en Amérique du sud. La foule qui afflue n’a pas laissé indifférent le monde du commerce et, autour du sanctuaire, s’est développé un espace tenant tout à la fois de la foire et de la fête foraine. C’est en flânant dans les stands que Teresa va oublier un sac dans le motor-home qui sert de cabine d’essayage à ‘El Gringo’, un forain vendeur de robes. Ce sac comprend tout ce qu’elle a de précieux : cet  oubli et ‘El Gringo’ vont changer la vie de Teresa.

Un délicat road movie

Si vous mettez une belle histoire, fut elle en apparence très simple, entre les mains de deux réalisatrices ayant le sens du timing et qui, bien que ce soit leur premier long métrage, maitrisent parfaitement leur mise en scène tout en sachant utiliser au mieux leurs comédiens, vous avez la base minimale pour obtenir un film qui ne laissera personne indifférent. Si, en plus, elles ont à leur disposition des paysages grandioses de l’Argentine ainsi que deux très grands comédiens pour tenir les rôles principaux, non seulement le résultat final ne laissera personne indifférent mais il pourra entrer par la grande porte dans la catégorie des grands « petits films », ces films tout en retenue, délicats, pleins de charme, dont on sort ému et requinqué en se disant : « eh bien non, le monde n’est peut-être pas aussi sordide qu’on veut bien le dire et le croire ».

Oui, La fiancée du désert n’est qu’un « petit » road movie de 78 minutes, mais en s’intéressant à la métamorphose d’une femme de 54 ans qui n’a jamais eu de vie personnelle et dont tout laisse à penser qu’elle est encore vierge, en montrant avec délicatesse qu’à cet âge il est encore possible de ressentir pour la première fois un élan amoureux, il nous en dit bien plus sur l’âme humaine que bien des films beaucoup plus longs et, surtout, beaucoup plus prétentieux.

Timing, mise en scène, direction et qualité des comédiens : on aime !

Sens du timing, qualité de la mise en scène et de la direction d’acteur, Cecilia Atán et Valeria Pivato en apportent donc la preuve dès leur premier long métrage. Concernant les deux premières qualités, il suffit de regarder les premières minutes du film pour être aussitôt convaincu, avec l’utilisation d’astucieux flashbacks pour raconter l’histoire passée de Teresa, des flashbacks qui, loin d’embrouiller les spectateurs comme c’est parfois le cas, permettent une mise en situation rapide et claire.

Bien entendu, une bonne direction d’acteur a besoin, pour s’épanouir, de comédiens de talent. C’est le cas ici, avec les deux comédiens qui interprètent les rôles de Teresa et de ‘El Gringo’ et qui sont pour beaucoup dans la qualité de ce beau film. La chilienne Teresa, c’est la comédienne chilienne Paulina Garcia qui l’interprète, une comédienne qui, venue du monde des séries TV, a attendu 53 ans pour tenir, dans Gloria, son premier grand rôle au cinéma  : une entrée en fanfare puisque ce rôle lui a permis d’être désignée meilleure actrice au Festival de Berlin de 2013. On l’a revue depuis dans Voix off, Tout va bien et le film américain Brooklyn Village, et on la retrouvera le 3 janvier prochain, interprétant le rôle de la Présidente du Chili, dans le film El Presidente de Santiago Mitre. Dans La fiancée du désert, son jeu très sobre convient parfaitement à ce rôle d’une femme qui se surprend à vivre enfin pour elle-même, une femme pour qui l’oubli de ce sac permet de vivre une seconde naissance.

Claudio Rissi, l’interprète argentin de ‘El Gringo’, autant avouer tout de suite qu’on ne le connaissait pas ! C’est pourtant un acteur qui, à 70 ans, a à son actif un grand nombre de rôles, tant au cinéma qu’à la télévision et au théâtre et il prouve toute l’étendue de son talent dans La fiancée du désert, dans le rôle d’un homme dont on ne sait pas trop bien si le côté retors l’emporte sur le côté serviable ou le contraire.

Pour mettre en image la beauté des paysages argentins, les deux réalisatrices ont choisi le chilien Sergio Armstrong, habituel Directeur de la photographie (sauf sur Jackie) de Pablo Larrain.

Conclusion

Dès leur premier film, Cecilia Atán et Valeria Pivato entrent dans la catégorie des cinéastes dont on va attendre les films suivants avec impatience. On peut regretter que la Caméra d’or cannoise ne soit pas venu récompenser leur très beau travail et on espère que le rythme effréné des sorties n’empêchera pas ce film d’avoir le temps de s’installer et de pouvoir ainsi bénéficier pleinement d’un bouche à oreilles qui, n’en doutons pas, va petit à petit faire son travail.

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