Critique : La Femme des steppes le flic et l’œuf (Deuxième avis)

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La Femme des steppes le flic et l’œuf

Mongolie, 2019

Titre original : Öndög

Réalisateur : Wang Quan’an

Scénario : Wang Quan’an

Acteurs : Dulamjav Enkhtaivan, Aorigeletu, Norovsambuu Batmunkh

Distribution : Diaphana Distribution

Durée : 1h37

Genre : Drame

Date de sortie : 19 août 2020

4/5

La femme des steppes, le flic, l’œuf, (Öndög – le titre original signifie un œuf de dinosaure fossilisé), est le septième long-métrage du réalisateur chinois Wang Quan’an, pour lequel il a était récompensé en 2019 d’une Montgolfière d’or, le prix remis au meilleur film en compétition au Festival des trois continents de Nantes.

Synopsis : Mongolie, le corps dénudé d’une femme repose dans la steppe. Un jeune policier reste garder le corps la nuit. Une bergère lui sauve sa vie et fait de lui un homme. Il repart dans la civilisation, elle reste dans sa steppe. Quelques temps après, elle découvre qu’elle est enceinte, ce qui lui redonne l’espoir de fonder une famille avec son ami berger.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Dans l’étendue d’une steppe sans fin, le corps dénudé d’une jeune femme est découvert. Ce moment déclencheur du film est un prétexte surréel pour la rencontre fructueuse du jeune vierge et de la bergère, dont le nom reste inconnu et seul son pseudonyme, dinosaure, est donné. Le corps de la femme, bien centré dans l’image, est un objet étrange. Il dérange le paysage, sublimé par cette sauvagerie, partagé par une ligne d’horizon entre le bleu du ciel et le jaune de l’herbe. L’histoire de la jeune femme morte reste d’ailleurs irrésolue. Le début du film annonçant un drame policier aux allures comiques, passe à une réflexion proprement cinématographique sur la matière et le temps.

Deux modes du visible

Au début du film, dans la scène de séduction au milieu du désert glaçant, le couple de la bergère et du policier parle d’amour. La bergère raconte au policier comment procéder pour séduire une femme : il doit devenir un animal, non pour lui faire peur, mais pour se rendre désirable. Devenir animal est un travail sur soi qui nécessite un isolement, lors duquel on se « déterriorise », comme le formulent le philosophe Gilles Deleuze et le psychiatre Félix Guattari. Il faut partir loin hors de soi et c’est dans ces étendues de steppe au milieu de la nuit, lorsque le danger est imminent – une louve erre autour du couple – que le policier perd sa virginité. Le moment où le germe se pose dans l’utérus de la bergère est le moment de la mort de la louve par sa main. Le premier cercle de la vie et de la mort est bouclé. Ajoutons que la bergère est une femme forte, indépendante et les hommes qu’elle rencontre ne représentent que le début et la fin. Immature ou alcoolique, ils servent à engendrer la vie (le flic) et donner la mort (son copain). Pour évoquer le féminisme dans le désert, La femme des steppes, le flic, l’œuf est l’exemple parfait.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Une double dichotomie règne sur le visible dans ce film : celle de la vie sur la mort et intrinsèquement de l’animal ou de la nature sur la civilisation. C’est ce double rapport que nous retrouvons dans les scènes qui pudiquement mettent l’image en flou et la scène corporelle où nous voyons la bergère uriner. Evoquons d’abord les deux scènes où la caméra opère des passages du net au flou. La première fois survient lorsque la bergère se change pour rejoindre le jeune policier. Tournée de dos vers nous, elle enlève son pull. Les contours pulpeux de son corps généreux deviennent flous. La deuxième fois, l’image se floute très lentement jusqu’à devenir telle une peinture abstraite, lors de l’autopsie de la jeune femme trouvée dans les steppes. Pourtant, lorsque la bergère rejoint à cheval l’arrêt de bus et urine devant nous sur le test de grossesse, aucun flou ne gêne notre vue. Les choix du net ou du flou soulignent esthétiquement et éthiquement la séparation, déjà sensible dans la construction du film, de la société (la vie des policiers) et de la nature (la vie de la bergère dans la steppe).

Certes, la société est relative dans ces décors marqués par l’ère soviétique : le wagon de train typiquement vert (en plus il n’y a qu’un seul !), l’intérieur abîmé de la morgue, la voiture des policiers qui, ironiquement, ne démarre plus une fois arrivée au milieu de la steppe. La nature, en revanche, est sans tabou et lorsque la bergère urine au milieu de la steppe, il n’y a pas de raison de le dissimuler. D’un côté, elle est une partie intégrante de cette nature et en plus, être enceinte, revendique « l’animal » chez la femme. Face à la nature, le spectateur se trouve dans un mode du visible complètement diffèrent de celui de la société.

Parallèlement, lorsque le jeune policier dans la steppe couvre le fessier du cadavre, ce sont les mœurs sociétales qui guident son geste. Son initiative est à la fois comique et touchante – ce qui le qualifie de timide – mais elle est également inutile. Il est seul dans le désert et avec l’angle de prise de vue il ne le voit pas. C’est pour nous, qu’il effectue ce geste, en créant un rapport de conscience de la présence des spectateurs dans la salle du cinéma.

Hors temps

La steppe est sans fin, mais elle est également hors temps. À la première rencontre de la bergère et des policiers, sa figure majestueuse avançant lentement sur le chameau contraste avec leurs mouvements toujours précipités et mal adaptés. La lenteur qui règne sur la steppe est bien évidemment aménagée. On montre une scène longue dans laquelle le policier attend le retour de la bergère. Au lieu de faire un feu pour repousser la louve et se réchauffer, ce jeune citadin danse en écoutant de la musique sur son portable, qui va probablement bientôt s’éteindre en manque de batterie. En même temps, la bergère appelle son copain. Celui-ci arrive de loin sur sa moto. Il l’aide à tuer un mouton, qu’elle cuit ensuite et enfin ramène au jeune. Le policier est presque gelé à ce moment. Pendant tout ce temps, un interminable coucher du soleil change la palette des couleurs du paysage.

Cette lenteur semble se ralentir davantage, lorsque la bergère se rend à cheval à l’arrêt du bus, toujours au milieu de la steppe. Elle effectue le test de grossesse et puis attend le bus qui ne vient jamais. Elle repart.

© Wang Quan’an Tous droits réservés

Enfin le temps s’arrête. Dans sa yourte, la bergère annonce à son copain, qu’elle est enceinte (sa joie est manifeste, malgré le fait qu’il n’est pas le père). La trotteuse de l’horloge est immobile en nous indique que le temps est arrêté. Il lui offre des pommes qu’elle accepte et comme Adam et Eve, les deux premiers ou derniers de leur espèce, ils regagnent l’espoir de fonder une famille, voire une forme de l’immortalité.

Conclusion

Öndög est avant tout un film sur la matière première du cinéma – le temps. Les dialogues restent moins importants, purement fonctionnels- ils racontent ce que l’image ne transmet pas- ou poétiques et quelque peu naïfs, ils lient les longues scènes contemplatives. La symbolique biblique de la fin, n’alourdit pas considérablement la perception globalement positive du film. Quant aux images de matières primaires de la nature, elles sont tout à fait justifiées, même si peut-être choquantes pour un public sensible : le sang et la poche des eaux lors de la naissance d’un veau ; on tue la louve pour la défense, un mouton pour se nourrir. Difficile de ne pas penser aux célèbres images du mouton égorgé dans le prologue de Persona (1966) de Bergman, mais aussi à celles dans Les Saisons (1975) de Artavazd Pelechian. C’est également un film aux aspects anthropologiques sur une population en voie de disparition face à la globalisation du monde et un film qu’on peut qualifier de féministe. En bref, un film qui donne à penser autant qu’il montre. Un film à ne pas rater.

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