Critique : Father Mother Sister Brother

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Father Mother Sister Brother

USA : 2025
Titre original : –
Réalisation : Jim Jarmusch
Scénario : Jim Jarmusch
Interprètes : Tom Waits, Adam Driver, Mayim Bialik, Charlotte Rampling, Cate Blanchett, Vicky Krieps, Indya Moore, Luka Sabbat
Distribution : Les Films du Losange / Scala Films
Durée : 1h51
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie : 7 janvier 2026

4/5

6 ans déjà que Jim Jarmusch ne nous avait pas offert un nouveau film. Et voilà qu’à 72 ans, celui qui, en 1984, avait enthousiasmé la Croisette avec Stranger than paradise, nous revient, plus jeune, plus fringant que jamais, avec Father Mother Sister Brother, un film qui parle des liens familiaux avec un mélange d’humour et de finesse empreinte d’un certain pessimisme, un film qui a décroché le Lion d’or lors de la dernière Mostra de Venise.  

Synopsis : Father Mother Sister Brother est un long-métrage de fiction en forme de triptyque. Trois histoires qui parlent des relations entre des enfants adultes et leur(s) parent(s) quelque peu distant(s), et aussi des relations entre eux.

Des enfants adultes face à un père vivant, une mère vivante et des parents disparus.  

Une voiture qui roule sur une petite route du New Jersey au milieu d’un paysage enneigé. Au volant, Jeff ; à ses côtés, Emily, sa sœur. Tous les deux viennent rendre visite à leur père, ce qui manifestement, ne leur arrive pas souvent, et, dans la voiture, Jeff et Emily conversent. On sent vite que, pour Emily, cette visite a tout de la corvée, de l’action qu’on accomplit parce qu’on se sent obligé de la faire. D’ailleurs, malgré les ennuis de santé dont semble souffrir ce père, malgré les problèmes financiers qu’il semble rencontrer, elle admet ne jamais l’aider financièrement. Jeff, lui, semble plus proche de ce père qu’il admet avoir cherché à admirer, sans, manifestement, y être vraiment parvenu, de ce père à qui il donne de l’argent quand il sent qu’il est dans le besoin. De cette rencontre ironique entre ce père non-conformiste et retors et ses 2 enfants beaucoup plus conventionnels, on sort rempli d’émotion. Une émotion que Jim Jarmusch va s’amuser à remettre en question dès que la voiture transportant Emily et Jeff va s’éloigner.

Une voiture qui roule dans des rues qui se ressemblent toutes de la banlieue de Dublin, en Irlande. Au volant, Timothea qui, comme chaque année, va rendre visite à sa mère. Cela se passera autour d’un thé et d’un plateau de pâtisserie et elle y rencontrera sa sœur Lilith. Cette dernière n’a manifestement pas fait son « coming-out » puisqu’elle demande à monter à l’arrière du véhicule que conduit sa compagne afin de faire croire qu’elle arrive en Uber. Bien entendu, le véhicule repartira à peine Lilith aura-t-elle été déposée. Manifestement, les 3 femmes vivent dans des mondes parallèles qui ne se rencontrent qu’une fois par an et, à part quelques banalités, elles n’ont pas grand chose à se dire sauf, peut-être, une petite pique lancée par Lilith lorsque son autrice de mère, s’apprêtant à verser le thé, lance « Je joue à la maman ». « Il faut bien commencer un jour ! » lui répond Lilith.

Une voiture qui roule dans les rues de Paris. Au volant, Billy, métis US arborant dreadlocks et petite moustache ; à ses côtés, Skye sa sœur jumelle. Après avoir pris un café dans un bar, tous les deux se rendent dans l’appartement qu’habitaient leur père et leur mère qui viennent de perdre la vie dans le crash d’un avion de tourisme, un appartement dans lequel tout porte à croire que Skye et Billy ont passé une partie de leur enfance. Grâce à la gentillesse de madame Gautier, la concierge de l’immeuble qui les a connus petits, Billy a déjà pu récupérer et ranger en vrac dans un garage tous les meubles et toutes les affaires accumulées par les parents, malgré les 3 mois de loyer qu’ils n’ont pas payés avant leur disparition. Bien que l’appartement soit vide, Skye et Billy y retrouvent plein de souvenirs. Et si c’était le fait qu’ils ne soient plus de ce monde qui rendaient ces parents plus proches et plus aimables pour leurs enfants ? 

Lucide ou pessimiste, la vision des relations familiales donnée par Jim Jarmusch ? 

De toute évidence, la vision que donne Jim Jarmusch des relations familiales ne déborde pas d’optimisme. Une impression qui est confortée par ce qu’on entend dire de la bouche de Jeff :  « On choisit ses amis, ses amours mais on ne choisit pas sa famille ». Une phrase qu’on a toutes et tous déjà entendue à de nombreuses reprises, qu’on partage ou qu’on ne partage pas, mais qui résume bien l’atmosphère générale du film. Si Jeff arrive à accepter son père tel qu’il est, il est plus que probable qu’Emily en aurait choisi un autre si elle en avait eu la possibilité. Concernant Timothea et Lilith, elles sont tellement différentes qu’on peut imaginer qu’elles ne seraient jamais devenues amies si elles n’étaient pas nées sœur. Quant à leur mère, il est très probable que Lilith en aurait choisi une autre. Il est plus difficile de se prononcer concernant Timothea. Finalement, c’est le duo Skye et Billy qui apparait comme étant étant le plus proche de leurs parents dont elle et lui semblent garder un souvenir ému. Mais ce lien avec ces parents étaient-ils aussi forts lorsqu’ils étaient encore vivants ? En tout cas, des 3 duos d’enfants adultes qui nous sont présentés, c’est celui qui, manifestement, est le plus soudé. On peut penser que leur gémellité y est sans doute pour beaucoup.

Le film étant un triptyque, Jim Jarmusch s’est amusé à choisir un certain nombre d’éléments qu’il a glissés dans chacun des 3 volets. Il en est ainsi de réflexions relatives à l’eau, que ce soit sur sa qualité ou sur ses capacités médicamenteuses. Dans les 3 volets apparaissent des jeunes pratiquant le skateboard filmés au ralenti. Dans chacune des 3 familles, le mensonge est pratiqué, à plus ou moins grande échelle, d’une façon ou d’une autre. Dans chacun des volets du triptyque, un personnage porte une Rolex à son poignet, sans qu’on sache vraiment s’il s’agit d’une véritable Rolex ou d’une copie. Dans chacun des 3 volets, un personnage lance « Bob’s your uncle », une expression anglaise plus ou moins tombée en désuétude et qui signifie que « le tour est joué ». Quant aux voitures utilisées  par les différents personnages, elles sont européennes, Land Rover, BMW, Volvo, ou japonaise, Toyota. Le seul véhicule américain qu’on voit dans le film, le vieux pick-up Chevrolet du père dans le premier volet, il est considéré comme étant une véritable épave et n’est même pas utilisé. On aimerait pouvoir rencontrer Jim Jarmusch afin de  lui demander ce qu’il a voulu dire au travers de ces répétitions !

Très peu de musique et un excellent casting

Alléluia ! Enfin un film américain qui ne baigne pas dans un flot continu d’une musique de plus ou moins bonne qualité ! Certes, on entend de la musique composée par Jim Jarmush en personne, dans  Father Mother Sister Brother, mais peu, très peu ! Mais, au fait, Father Mother Sister Brother est-il vraiment un film américain ? Si on s’en tient à la nationalité de son réalisateur, la réponse est oui, même si le natif de l’Ohio qu’est Jim Jarmusch a annoncé très récemment avoir lancé les démarches lui permettant d’obtenir un passeport français. Si on s’en tient à la production du film, la chose est plus compliquée car le film ayant été tourné aux Etats-Unis, en Irlande et en France, ces 3 pays ont participé à sa production rejoints en plus par l’Italie et l’Allemagne. Mais qu’importe après tout de savoir si Father Mother Sister Brother est ou non un film américain ! Jim jarmusch qui est lui-même musicien et très grand connaisseur en matière de musique a été suffisamment lucide pour se rendre compte et pour proclamer que ce qu’il avait mis en scène n’avait pas besoin d’être accompagné musicalement et que, au contraire, les spectateurs risquaient, selon leur sensibilité,  d’être entrainés dans de mauvaises directions par certains choix musicaux.

Dans la mise en scène de son film, Jim Jarmusch n’a pas cherché à jouer les avant-gardistes mais un certain nombre de choix de plans ne sont sûrement pas le fruit du hasard : des plans sur des fenêtres et des surfaces réfléchissantes pour nous parler d’ouverture et de retour vers le passé, des plans tournés à la verticale depuis une caméra qui plane au-dessus d’une table lors d’une conversation, donnant une esthétique figée, une sorte de nature-morte qui renforce le côté artificiel de la situation. Concernant le casting de son film, Jim Jarmusch a fait appel aussi bien à des habitués de son cinéma qu’à des interprètes nouveaux ou nouvelles pour lui. Parmi les habitués, on retrouve Tom Waits dans le rôle du père, Adam Driver dans celui de Jeff, Cate Blanchett dans celui de Timothea et Luka Sabbat dans celui de Billy. Aux côtés de Cate Blanchett et de Vicky Krieps, Charlotte Rampling campe à la perfection une mère qui, manifestement, n’a jamais été une véritable mère pour ses 2 filles. Moins connues dans notre pays, Mayim Bialik (Emily) et Indya Moore (Skye) ne déparent pas du tout dans cet excellent casting. Et on ne peut que se réjouir de l’apparition de Françoise Lebrun dans le rôle de madame Gautier. Toujours aussi espiègle, Jim Jarmusch a dû bien s’amuser à intervertir les interprètes qu’on aurait penser être naturelles de Timothea et de Lilith, à les faire jouer toutes les deux à contre-emploi, faisant de l’expressive Cate Blanchett (Timothea) une espèce d’oie blanche assez fade dans son comportement et de la souvent très froide Vicky Krieps (Lilith) une femme exubérante qui, manifestement, a de l’énergie à revendre.

Conclusion

Cela valait le coup d’attendre 6 ans pour avoir droit à un nouveau film de Jim Jarmusch. Father Mother Sister Brother permet de commencer une nouvelle année cinématographique de la plus belle des manières. On sort de ce film tout à la fois tendre et drôle en se posant des questions sur les relations que l’on entretient ou qu’on a entretenues avec sa propre famille, avec son père, avec sa mère, avec, éventuellement, son frère ou sa sœur, avec, éventuellement, ses enfants. Mais au fait, si vous avez des enfants, que peuvent-ils bien penser de vous ?

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