Deux procureurs
France, Allemagne, Pays-Bas, Lettonie, Roumanie, Lituanie : 2025
Titre original : Zwei Staatsanwälte
Réalisation : Sergei Loznitsa
Scénario : Sergei Loznitsa, d’après la nouvelle de Georgy Demidov
Interprètes : Aleksandr Kuznetsov, Aleksandr Filippenko, Anatoliy Belyy
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h58
Genre : Drame, Historique
Date de sortie : 5 novembre 2025
4/5
Synopsis : Union Soviétique, 1937. Des milliers de lettres de détenus accusés à tort par le régime sont brûlées dans une cellule de prison. Contre toute attente, l’une d’entre elles arrive à destination, sur le bureau du procureur local fraîchement nommé, Alexander Kornev. Il se démène pour rencontrer le prisonnier, victime d’agents de la police secrète, la NKVD. Bolchévique chevronné et intègre, le jeune procureur croit à un dysfonctionnement. Sa quête de justice le conduira jusqu’au bureau du procureur général à Moscou. A l’heure des grandes purges staliniennes, c’est la plongée d’un homme dans un régime totalitaire qui ne dit pas son nom.
1937, la ville de Briansk en Union Soviétique, l’époque des grandes purges staliniennes orchestrées en URSS par le NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures). Alexander Kornev, un jeune procureur fraichement nommé et ayant en charge l’inspection des lieux de détention voit arriver entre ses mains une lettre envoyées par un vieux prisonnier depuis la prison locale et que, normalement, il n’aurait jamais dû recevoir. En effet, elle faisait partie d’un lot de lettres envoyées par des prisonniers, des lettres qui n’avaient jamais été distribuées et pour lesquelles un prisonnier avait été désigné pour les brûler. Ce prisonnier n’avait pas pu s’empêcher d’en lire quelques unes et une d’entre elle avait particulièrement retenu son attention : écrite sur un papier informe avec le sang du vieux prisonnier. Et cette lettre, finalement, était arrivée entre les mains d’Alexander Kornev, lequel va insister pour rencontrer son auteur. Ce ne sera pas facile à obtenir car, lui dit on, il y aurait des maladies infectieuses dans la prison, mais l’homme est obstiné et ce qu’il va finalement découvrir va profondément le choquer. Bolchévique convaincu, tout à la fois idéaliste, intègre et … naïf, il a toute confiance dans le système judiciaire de son pays et il tient absolument à faire remonter au plus haut niveau de l’état ce dont il a été témoin et qu’il considère comme étant une bavure.
Documentariste et réalisateur de fictions de nationalité ukrainienne, vivant en Allemagne, fondateur avec la russe Maria Choustova de Atoms & Void, une maison de production cinématographique basée aux Pays-Bas, Sergueï Loznitsa est né il y a 61 ans en Biélorussie soviétique. Le cinéma représente pour lui une seconde vie, la première ayant été consacrée à des études de mathématique de haut niveau puis à travailler sur le développement de systèmes experts, sur l’intelligence artificielle, sur les processus de prise de décision et sur des traductions du japonais en russe. C’est en 1991, à l’âge de 27 ans, qu’il s’est tourné vers le cinéma, en commençant avec des documentaires, et on sait depuis My joy, son premier long métrage de fiction, un film présenté en compétition au Festival de Cannes en 2010, qu’il est un des réalisateurs les plus importants de sa génération. Bien qu’ayant fait ses études de cinéma en Russie, ses films n’ont jamais été particulièrement tendres avec ce pays et il ne porte pas Poutine dans son cœur. C’est ainsi qu’en 2022, il a quitté l’European Film Academy, lui reprochant une réaction trop faible à l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe. Cela n’a pas empêché l’Académie cinématographique ukrainienne de l’exclure quelques semaines plus tard, lui reprochant son manque de loyauté en ayant exprimé son soutien aux cinéastes russes dissidents ainsi que son cosmopolitisme.

Deux procureurs n’est que le 4ème long métrage de fiction de Sergueï Loznitsa et, à l’instar des 3 précédents, il a fait partie, cette année, de la Sélection Officielle en compétition au Festival de Cannes. Quand bien même l’action du film se déroule en 1937, il parait évident que Sergueï Loznitsa a choisi de nous parler de la Russie des années 2020 : le dictateur n’est plus le même mais la volonté d’imposer sa détermination politique par la violence est identique. Il n’est pas interdit de penser que, comme nous le montre le film concernant ce qui se passait sous Staline, le système dictatorial adopté par Poutine a pour conséquence de détruire ses plus fervents défenseurs. C’est en adaptant une nouvelle de Georgy Demidov écrite en 1969 que Loznitsa a écrit son scénario. On notera au passage que Demidov, qui a passé plusieurs années au goulag, était, comme Loznitsa, de formation scientifique. Pour la réalisation de son film, Loznitsa a fait un certain nombre de choix importants avec Oleg Mutu, le Directeur de la photographie roumain avec lequel il a l’habitude de travailler : utilisation du format carré, une caméra qui ne bouge jamais, une palette de couleur se limitant à des teintes ternes. Quant à la distribution, elle fait appel à des comédiens russophones professionnels et non professionnels, des russes ayant quitté leur pays après l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022, des lituaniens, des lettons. Interprétant le rôle d’Alexander Kornev se démenant dans un parcours perdu d’avance pour arriver à faire triompher la vérité et la justice face à l’administration kafkaïenne mise en place par Staline, le comédien russo-ukrainien Aleksandr Kuznetsov excelle à nous montrer toutes les facettes de son personnage : son idéalisme, son obstination, sa naïveté.
















