Critique : En route pour le milliard

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En route pour le milliard

Congo, France, Belgique : 2020
Titre original : Downstream to Kinshasa
Réalisation : Dieudo Hamadi
Distribution : Laterit Productions
Durée : 1h30
Genre : Documentaire
Date de sortie : 29 septembre 2021

3.5/5

Né en 1984 à Kisangani (République Démocratique du Congo), Dieudo Hamadi est passé par des études de médecine avant de se former au documentaire et au montage à Kinshasa puis à la Femis. Après Dames en attente, son premier documentaire, un court-métrage de 24 minutes, Dieudo Hamadi a réalisé 4 longs métrages documentaires dont l’ensemble constitue un inappréciable témoignage de la réalité congolaise actuelle : Atalaku, 2013, sur l’élection présidentielle au Congo, Examen d’état, 2014, sur le système scolaire, Maman Colonelle, 2017, sur les violences faites aux femmes et aux enfants, Kinshasa Makambo, 2018, sur la lutte de militants pour l’alternance politique et la tenue d’élections libres dans leur pays. En route pour le milliard est le premier film congolais faisant partie de la sélection cannoise (2020) et c’est aussi le premier film de Dieudo Hamadi à sortir en salles.

Synopsis : 1734 km sur le fleuve Congo, une incroyable épopée pour réclamer justice. Sola, Modogo, Mama Kashinde, Papa Sylvain, Bozi, Président Lemalema… font partie de l’Association des victimes de la Guerre des Six Jours de Kisangani. Depuis 20 ans, ils se battent pour la mémoire de ce conflit et demandent réparation pour les préjudices subis. Excédés par l’indifférence des institutions à leur égard, ils décident de se rendre à Kinshasa pour faire entendre leurs voix.

Une autre guerre des six jours

La guerre des Six Jours qui s’est déroulée du lundi 5 juin 1967 au samedi 10 juin 1967 fut un évènement qui a marqué l’histoire du Moyen Orient. 33 ans plus tard, en 2000, exactement aux mêmes dates, lundi 5 juin au samedi 10 juin, eut lieu une autre guerre des six jours qui a beaucoup moins marqué nos mémoires. Il s’agit d’un épisode de la deuxième guerre du Congo, une guerre ayant pour enjeu le contrôle des richesses du sous-sol congolais, qui, de 1998 à 2003, a impliqué neuf pays africains et une trentaine de groupes armés et fit près de 5 millions de victimes si on prend en compte les victimes indirectes, liées à la famine et aux maladies. Cette guerre des six jours congolaises eut lieu à Kisangani, au nord-est de la République Démocratique du Congo, et elle consista en un face-à-face d’une grande violence entre les armées du Rwanda et de l’Ouganda. Ces affrontements ont détruit une grande partie de la ville, ils ont causé la mort d’un millier de personnes et environ 3 000 personnes ont été blessées, dont la majorité parmi les populations civiles. En 2005, la Cour Internationale de Justice a condamné l’Ouganda à dédommager la ville de Kisangani pour un montant de 10 milliards de dollars dont un milliard pour les survivants et les victimes. En fait, il est stipulé que les parties doivent se mettre d’accord pour « évaluer en équivalent monétaire la totalité des dommages matériels et des dommages moraux ». 16 ans plus tard, cet accord n’a toujours pas été trouvé. 

En bateau pour le milliard

A Kisangani, en 2018, le nombre de personnes se déplaçant en fauteuil roulant, ou qui se déplacent avec des béquilles est plus important qu’ailleurs, comme l’est celui des personnes ayant perdu au moins un membre. Des personnes qui ont été touchées dans leur chair lors de la guerre des six jours et qui, depuis 18 ans, n’ont jamais été indemnisées. Une association regroupe la plupart de ces personnes, une association qui décide de profiter d’une élection présidentielle pour envoyer une délégation à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo. Pour des raisons financières, un voyage en avion est impensable. C’est donc en bateau que ce périple va s’effectuer : plus de 1700 kilomètres sur le fleuve Congo. C’est donc plutôt « en bateau pour le milliard » que « En route pour le milliard » ! Ce bateau, il est surchargé, sans confort, il rencontre parfois de très mauvaises conditions atmosphériques, il rencontre même, de trop près, une autre embarcation, et c’est sur ce bateau que ses passagers qui, rappelons le, sont de grands handicapés, vont devoir vivre pendant 3 semaines dans une grande promiscuité en s’efforçant, parfois difficilement, de rester unis. La résilience dont ils vont faire preuve durant cette navigation, elle sera de nouveau à l’épreuve, mêlée à de la colère, lorsque, à Kinshasa, ils vont aller de déboire en déboire, lorsque, par exemple, ils vont se retrouver devant le parlement face à des députés en costumes-cravate qui les regardent avec dédain ou avec indifférence.

Que devons nous faire pour être écoutés ?

Né à Kisangani en 1984, Dieudo Hamadi a été marqué par cette guerre des six jours qu’il a donc connue alors qu’il était adolescent. C’est en 2017, lors du tournage de Maman Colonelle, qu’il a rencontré des membres de l’Association Fonds de solidarité pour les victimes de la guerre de Kisangani. Une rencontre qui l’a profondément bouleversé et lui a donné le désir de faire un film avec ces personnes trop souvent considérées comme des parias. Un film, mais comment ? En racontant quoi ? Des questions sans réponse jusqu’au jour où il a été appelé pour lui annoncer la décision prise de l’envoi d’une délégation à Kinshasa. Il n’a pas hésité longtemps pour prendre la décision de venir filmer les préparatifs du voyage puis se fondre dans cette délégation et filmer ce qu’il voyait, tant sur le bateau qu’à Kinshasa. C’est ce témoignage direct, sans filtre, sans pathos, qui constitue l’ossature de En route pour le milliard. Par ailleurs, le réalisateur a judicieusement choisi d’incorporer des séquences de répétition du spectacle, mélange de théâtre, de chants et de danse, que ses compagnons de voyage comptent jouer à Kinshasa. Une autre façon de rendre compte, toujours sans aucun pathos, de la grande force morale de ces personnes handicapées, dont une femme qui n’a plus ni bras, ni jambe, qui insistent sur le fait qu’elles ne sont pas nées comme ça, ce qui sous-entend que ceux qui les ont rendues comme ça leur doivent compensation. « Que devons nous faire pour être écoutés ? », s’interrogent les protagonistes du film.

Conclusion

Avec En route pour le milliard, Dieudo Hamadi a fait œuvre de mémoire envers des personnes meurtries dans leur chair et laissées sur le bord de la route par les politiques. De ce pan de l’histoire congolaise, il a fait un récit à la portée universelle, un récit lumineux et profondément humain.

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