Compte-rendu Brive 2016 chapitre deux

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C’est dans le reste de la sélection européenne qu’on aura vu les plus beaux films, souvent récompensés par le Jury. Cinq d’entre eux flirtent avec ou interrogent la forme documentaire ; ils y entrent mais parfois de manière décalée ou furtive. Si certains sont plus aboutis que d’autres, tous ont un intérêt et proposent une expérience cinématographique qui vaut le détour.

Vers la tendresse
Vers la tendresse

Le plus réussi est le grand prix France du festival, signé Alice Diop qui s’intitule Vers la tendresse. « Au cours d’un atelier sur le thème de l’amour, j’ai rencontré quatre jeunes hommes tous originaires de Seine Saint-Denis. J’ai enregistré nos conversations. J’ai eu envie de faire de ces voix un film. » explique la réalisatrice. Plutôt que de faire un film de fiction autour de ces dialogues, la cinéaste a préféré les utiliser pour en faire un documentaire. Le son est conservé, brut, et oriente l’image. On ne les voit donc pas parler mais on les suit dans leur déambulation quotidienne, dans des cafés, passant devant des devantures de clubs où l’on « loue » des services féminins, dans des voitures, parcourant inlassablement les mêmes lieux, les mêmes routes. Sur ces images quatre hommes issus des banlieues se livrent sur leur sexualité, sans détour, de manière parfois crue, parfois tendre, qu’ils soient en couple ou célibataire, hétéros ou homos. Et, à mesure que le film avance, on perçoit leur frustration, un machisme ambiant, l’impossibilité d’aller vers l’autre, l’hypocrisie qui domine ou au contraire le courage voire la marginalisation qu’ils se sont imposés aller de l’avant et aimer. Mais surtout, ce qui ressort du film, c’est l’importance de la culture d’origine, la difficulté d’être libre face à ce qu’on peut ressentir pour reproduire des modèles sociaux dominants et cette impossible communication qui rend leurs témoignages, et les images posées sur ces individus, plus surprenants, plus émouvants encore.

Les Nouvelles Geisha
Les Nouvelles Geisha

Face à ce film, on pourra être surpris par Les Nouvelles geisha de Momoko Seto, réalisatrice d’origine japonaise installée en France, plus connues pour ses « Planet » (Alpha, Sigma, Zeta), trois courts métrages expérimentaux croisant prises de vues réelles et image par image, ou pour ses pornos marins, dans lesquels elle met en scène des orgies de mollusques, céphalopodes ou crustacés. A Brive, dans son documentaire/fiction, elle relatait un phénomène courant au Japon : des femmes qui sont payées pour passer un temps imparti avec des hommes et simplement discuter avec eux, les séduire pour les faire revenir sans que rien ne se passe après. Juste, une fois encore, pour leur apporter une forme de tendresse qu’ils réclament mais que leur culture ne semble pas vraiment autoriser en dehors de ces bars. Momoko Seto revisite l’iconographie sentimentale, rose bonbon et kawaï japonaise pour nous convier au cœur de ces discussions mises en scène en plans serrés avec des interviews de véritables personnes, professeurs ou clients, qui donnent leur point de vue sur ces geishas populaires de l’époque contemporaine. Ce film est un joli et surprenant contrepoint au film précédent.

Telecommande
Telecommande

Les trois autres films sont plus expérimentaux. Le film anonyme Télécommande est issu d’un collectif d’auteurs politisés et se focalise sur les élections iraniennes de 2013 pour les remettre en scène autour d’un dispositif étonnant et plutôt radical : la télévision, cet objet à la fois intérieur et extérieur, intime et extime, fenêtre sur un monde contrôlé et censuré au sein même d’une cellule familiale plus libre. On écoute, sans les voir, diverses personnes issues de différents foyers donner chacun leur avis sur un pays dont ils sont fiers mais dont ils ne peuvent approuver la politique totalitaire. La caméra est focalisée sur le poste allumé où on voit émissions politiques, matchs de foot, etc… Les discussions s’orientent facilement autour de la vie privée, des convictions des uns et des autres impossibles à afficher en publique, de la censure des médias dont aucun n’est dupe. On est sans cesse entraîné de l’intérieur du foyer à l’extérieur avec ces témoignages et ces images. Et on s’aperçoit bien vite que si dehors, il faut se taire pour ne pas être inquiété, dedans, tout le monde sait ce qui se trame et espère.

6 x 6
6 x 6

6 x 6 de Pauline Lecomte et Marine Feuillade se situe également à la frontière du documentaire et de la fiction. Dans ce film s’entremêlent différents formats d’enregistrement, conférant au film un aspect plutôt sale et amateur où s’entrecroisent images quasi documentaires, fiction au mysticisme surprenant et camps en forêt. A partir de groupes de scout féminins existants et dans lesquels les deux réalisatrices se sont immiscées avec le consentement des jeunes filles, elles livrent un récit fictionnel étrange, perdu entre fantastique et réalisme. Le Jardin d’essai de Dania Reymond est franco-algérien et montre un casting dans un parc d’Alger, les répétitions des acteurs et du réalisateur dans ce même lieu en attendant le début du tournage du film qu’ils préparent. Tous sont des comédiens, et les répétitions sont fictives mais la mise en abyme déroutante donne l’impression d’être mis face à la genèse du film qu’on ne verra pas et qui parle de la ville assiégée, comme d’un pays où on ne sait plus trop comment vivre. En outre, à travers ce lieu singulier et clôt qu’est le parc, on assiste à toute une certaine histoire de l’Algérie, à ses conflits, à des rencontres, et finalement, là encore à la métaphore d’un siège impossible à figurer.

Le Jardin d'essai
Le Jardin d’essai

Jardin d'essai2

Cinq films donc et autant de manières de parler du cinéma et du documentaire, de cette forme toujours en marge, comme l’est le format auquel le festival est consacré.

Enfin, chez les français, impossible de ne pas parler de la fiction la plus surprenante : Le Dieu Bigorne de Benjamin Papin. Surprenante d’une part par l’excellente performance des deux très jeunes acteurs, Ninotchka Peretjatko et Rayan Rabia, et d’autre part par son histoire au réalisme magique très marqué qui nous fait passer, avec une apparente douceur doublée d’une véritable cruauté toute enfantine, dans un univers aux connotations fantastique très réussies. Filmé à la hauteur des deux protagonistes, ce film sur l’amitié possessive des deux enfants qui doivent être séparées car leurs vacances sont terminées, nous fait pénétrer dans leur univers, dans leur esprit, leurs désirs et leurs croyances comme rarement on l’aura vu. Et l’imaginaire des enfants est bien plus réel et solide que notre fébrile réalité qu’on imagine toujours des plus authentiques.

Le Dieu Bigorne

Le Dieu Bigorne2

 

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