Arras 2025 : L’Étrangère

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L’Étrangère

France, Belgique, Arabie Saoudite, 2025
Titre original : –
Réalisatrice : Gaya Jiji
Scénario : Gaya Jiji, Sarah Angelini, Mehdi Ben Attia et Agnès Feuvre
Acteurs : Zar Amir Ebrahimi, Alexis Manenti, Amr Waked et Megan Northam
Distributeur : Tandem Films
Genre : Drame de réfugiés
Durée : 1h42
Date de sortie : –

2,5/5

Alors que l’on compte les réfugiés dans le monde par dizaines de millions, les films sur ces déplacés par la guerre ou la misère ont hélas la cote. Il n’y a pas un mois où les distributeurs français ne nous sortent pas une histoire touchante sur des femmes, des hommes et des enfants, partis de la Syrie, d’Ukraine, de la Palestine, du continent africain ou d’Amérique latine pour tenter leur chance en Europe ou aux États-Unis. Au fil du temps, ce sous-genre du drame social a établi ses codes et ses passages obligés, ne laissant désormais plus trop d’espace d’innovation ou de surprise aux films retardataires. Présenté à l’Arras Film Festival, L’Étrangère souffre indéniablement du fait qu’un nombre conséquent de films comparables sont passés avant lui. Ce qui a eu pour conséquence que nos attentes à l’égard de ce genre d’histoire soient plus élevées que ce qu’elles ont pu être dix, quinze ans plus tôt.

Au fond, le deuxième long-métrage de Gaya Jiji, sept ans après Mon tissu préféré, n’a pas de défaut insurmontable. La seule réserve majeure que nous pourrions exprimer à son égard – le retournement ennuyeusement prévisible au bout d’une heure – est largement compensée par les interprétations doucement naturelles de Zar Amir Ebrahimi et Alexis Manenti. De même, la mise en scène est des plus solides, puisqu’elle sait rester à l’écart de subterfuges formels, au profit de l’émotion brute du personnage principal qui surgit avec toute sa force à l’écran. Néanmoins, son manque relatif d’originalité a failli nous laisser de marbre, face à un destin qui aurait au contraire mérité toute notre compassion.

© 2025 TS Productions / Gloria Films / Tandem Films Tous droits réservés

Synopsis : Au milieu des années 2010, Selma s’enfuit à pied à travers l’Europe, en laissant derrière elle, en Syrie, son fils Rami et son mari, considéré comme mort ou en tout cas disparu depuis que des militaires l’ont enlevé cinq ans plus tôt. Alors que sa destination choisie est la France, elle se fait arrêter en Hongrie, ce qui entraîne son enregistrement dans le fichier européen des réfugiés. A présent arrivée à Bordeaux, où elle travaille clandestinement dans un bistrot, Selma souffre énormément de la séparation de son fils. Avec sa demande d’asile mise en suspension, elle espère trouver de l’aide auprès d’un avocat qui fréquente le restaurant.

© 2025 TS Productions / Gloria Films / Tandem Films Tous droits réservés

Quels seraient donc les (rares) points qui mettent L’Étrangère à part ? Le profil légèrement atypique de son personnage principal avant tout. Selma est une femme qui sait ce qu’elle veut et qui essaie de résister le plus possible au rouleau compresseur de la gestion administrative de son périple. Ainsi, son fichage en Hongrie se fait plutôt au forceps et la seule solution qu’elle a trouvé pour se soustraire à ses conséquences appartient aux moments les plus éprouvants du film. D’emblée, avec ce naufrage dont on ne voit et n’entend que des bribes d’images et de sons, elle sait qu’elle ne peut compter que sur elle-même. Ce qui prédéfinit en grande partie son attitude envers son entourage, souvent méfiante et plus rarement apte à baisser la garde et accepter de l’aide quand elle a la chance d’en recevoir.

Surtout, Selma n’a pas vraiment envie d’être là, en France, loin des siens et soumis aux aléas d’une existence vécue dans la clandestinité. Tout son dilemme se situe dans cette incertitude personnelle. Le hic cinématographique, c’est que la mise en scène de Gaya Jiji n’a pas trouvé d’autres dispositifs pour en rendre compte que de faire d’elle un personnage presque antipathique. Sa posture de crainte et de rejet s’adoucit seulement au cours de la deuxième partie du film, malheureusement plus convenue que la première. Mais même cette perspective d’une vie à reconstruire, à l’écart des bombes et de la torture psychologique et physique subie des mains des geôliers du régime de Bachar Al Assad, n’a pas trop l’air de ranimer ses forces vives. En somme, Selma est à l’image du film qu’elle est censée porter : trop braquée dans l’expectative et le doute pour réellement remporter notre adhésion.

© 2025 TS Productions / Gloria Films / Tandem Films Tous droits réservés

Le volet local, essentiellement français, du récit ne fait pas non plus preuve d’un état d’esprit innovant. Au mieux, Selma est tolérée et ses collègues prêtent une oreille distraite aux manifestations les plus crues de son mal-être. Au pire, elle est malmenée et chassée par des agents de maintien de l’ordre qui ne voient en elle qu’une nuisance à faire entrer dans le rang. Même dans sa communauté de réfugiés syriens elle fait tache, parce qu’elle ose quitter temporairement la place dans l’ombre que celle-ci lui accorde. La seule à lui manifester un minimum de solidarité dépourvue d’arrière-pensées est sa collègue du bistrot, un rôle hélas trop peu développé pour que Megan Northam puisse en faire quoique ce soit de substantiel.

Toute la gêne et l’ignorance de la société française au sujet des réfugiés, venus de Syrie ou d’ailleurs, se trouve condensée dans le personnage de l’avocat. Celui-ci reste jusqu’au bout un spectateur de la tragédie de Selma. Certes, il lui prête main forte pour la préparer à son entretien à l’Ofpra et leur relation évolue par la suite dans une direction platement mélodramatique. Mais au fond, aussi par l’interprétation en retrait de Alexis Manenti, cet homme ne quitte jamais pour longtemps le confort de son statut de cadre provincial, enfermé dans une cage encore plus sournoisement cruelle que celle des réfugiés, condamnés à vivre à fleur de peau. Lui, il reste lâchement économe de son soutien, prenant conscience de l’impasse que représente son quotidien préservé, quoique trop rapidement effrayé par les difficultés sentimentales qui sont déclenchées par le deuxième coup de théâtre du récit, à peine plus crédible que le premier.

Conclusion

Des histoires tristes sur les réfugiés, on en a déjà vu plein. Au vu de la direction que prend le monde dans sa dimension géopolitique, nous risquons fort d’en voir encore beaucoup à l’avenir. Dans un tel contexte tristement inflationniste de la misère, L’Étrangère peine à faire le poids. Malgré la mise en scène assez délicate de Gaya Jiji et de l’interprétation des deux personnages principaux qui ne le sont pas moins, il manque à ce deuxième long-métrage un point de distinction suffisamment affirmé pour ne pas le considérer, hélas, comme un film de plus à refléter une situation insoutenable. Cette dernière ne s’arrange pas non plus. Bien au contraire, puisque de nouvelles guerres sont déclenchées à un rythme affligeant et que la volonté d’accueillir ces laissés-pour-compte baisse en même temps à une vitesse plus qu’alarmante. Au moins pour nous rappeler à quel point chaque destin de réfugié est particulier et digne d’être protégé, ce film remplit convenablement son contrat.

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