Albi 2025 : Ma frère

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Ma frère

France, 2025
Titre original : –
Réalisatrices : Lise Akoka et Romane Gueret
Scénario : Lise Akoka, Romane Gueret et Catherine Paillé
Acteurs : Fanta Kebe, Shirel Nataf, Amel Bent et Idir Azougli
Distributeur : Studiocanal
Genre : Comédie de vacances
Durée : 1h52
Date de sortie : 7 janvier 2026

3/5

En termes de références de comédies de colonies de vacances, le cinéma français disposait jusqu’à présent de deux repères devenus cultes au fil du temps. Côté dramatique, en 1976, il y a eu La Meilleure façon de marcher de Claude Miller. Et côté comique, le duo Toledano / Nakache avait fait mouche trente ans plus tard grâce à Nos jours heureux. Entre les deux se trouve désormais Ma frère, présenté initialement en sélection Cannes Première et qui est actuellement en pleine tournée festivalière, dont le Festival d’Albi.

Les deux réalisatrices y alternent très organiquement entre des moments de franche rigolade et des instants plus tristes, à l’image de cette parenthèse vaguement enchantée qu’est le séjour pendant une ou deux semaines à la campagne, à l’abri des tracas du quotidien. Avec toutefois la différence majeure par rapport aux deux longs-métrages précités, que celui-ci dispose d’une trame dramatique assez détendue, nourrie davantage de micro-événements pris sur le vif que de l’approfondissement de chaque personnage dans ce groupe gentiment hétéroclite.

Or, cette absence volontaire d’une multitude d’enjeux dramatiques que Lise Akoka et Romane Gueret pratiquent dans leur deuxième film, trois ans après Les Pires, est largement bénéfique au ressenti humain de leur récit. Mis à part les deux personnages principaux, qui bataillent respectivement contre une mère absente et en faveur d’un amant difficile à faire accepter par la famille, on apprend au mieux des informations très partielles sur les autres participants à cette virée dans la Drôme. Par conséquent, c’est l’effet de groupe qui prime dans cette expérience collective de laquelle tout un chacun sortira grandi. Dans cette ambiance marquée par un doux naturalisme, les deux interprétations principales ressortent positivement, Fanta Kebe et Shirel Nataf arrivant à insuffler une belle dignité humaine à ces jeunes femmes empressées de sortir de leur misère de cité.

© 2025 Bettina Pittaluga / Superstructure / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Synopsis : Paris, Place des Fêtes. Les copines de longue date Shaï et Djeneba, désormais majeures, ont fort à faire pour trouver leur place dans le monde, entre un frère trop protecteur pour l’une et une mère qui a quasiment abandonné son fils cadet pour l’autre. Sur recommandation de Djeneba, qui s’occupe déjà des enfants du quartier dans une école, Shaï est embauchée à ses côtés en tant qu’animatrice de colonie de vacances. Sur le terrain, elles devront faire de leur mieux pour s’intégrer dans l’équipe des encadrants, surveiller les jeunes à la lisière entre l’enfance et l’adolescence et gérer à distance les problèmes qu’elles pensaient avoir laissés derrière elles en montant dans le car.

© 2025 Bettina Pittaluga / Superstructure / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Il reste tant de choses à dire et à montrer sur la vie en cité depuis un point de vue féminin qu’un film comme Ma frère arrive à point nommé. Toutefois, l’objectif des réalisatrices n’a certainement pas été de rajouter une couche supplémentaire de préjugés et autres stéréotypes sur un microcosme perçu de l’extérieur, souvent à tort, comme dangereux ou au moins suspect. Elles abordent le point de départ de Shaï et Djeneba avec le même naturel décomplexé que leur aventure estivale qui occupera la majeure partie du film.

Néanmoins, il était important de montrer d’où viennent ces animatrices passablement improvisées, quels sont leurs doutes et leurs désirs alors que le monde adulte devrait s’ouvrir à elles. Sauf qu’il ne suffit pas d’avoir de la tchatche et une envie furieuse d’aimer – son copain Ismaël pour l’une et son petit frère pour l’autre –, afin de tracer sa route dans cette vie d’emblée réduite à une question de survie sociale.

Sur les dalles de béton du 19ème arrondissement de Paris et les toits-terrasses envahis par la mousse des barres d’immeubles, les deux héroïnes ont beau se défendre verbalement contre un dragueur grossier ou jouer au faux mariage, elles savent pertinemment que l’heure de vérité ne tardera pas à sonner pour elles. Partir en vacances, pour bosser et pas pour se prélasser en bord de mer, est pour les deux amies la dernière chance de prendre pied dans une réalité sociale dont elles sont les laissées-pour-comte tout désignées. Que ce voyage à la campagne mettra également leur solidarité entre filles à rude épreuve ne faisait pas partie du marché. Cela enrichit par contre considérablement une intrigue qui aurait sinon rapidement couru le risque de tourner en rond, entre états d’âme romantiques, petits bobos et autres révélateurs de la cruauté intrinsèque des enfants.

© 2025 Bettina Pittaluga / Superstructure / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Car là où Nos jours heureux entreprenait l’organisation rigoureuse de l’emploi du temps de la colonie de vacances, Ma frère a opté pour une approche sensiblement plus instinctive. Le rituel du retour sur l’expérience journalière entre animateurs ne devient dès lors qu’un repère narratif aléatoire, tout comme les sorties quotidiennes pour se baigner dans la rivière, les ateliers de maquillage ou bien les séances de canoë. Aucun ordre rigide ne vient figer le récit à ce niveau-là, qui demeure ainsi libre comme l’air et également un peu arbitraire. La vocation de la colonie de vacances imaginée par Lise Akoka et Romane Gueret n’est point de faire mûrir subitement les enfants et les adultes ainsi réunis. Ni de s’y faire entrechoquer avec fracas des façons de faire et de penser opposées dans un cercle vicieux d’engueulades à répétition.

Non, la douceur indiscutable du film résulte d’une égalité parfaite entre tous ses éléments. Malgré leur poids dramatique légèrement supérieur, tout n’y tourne pas autour de Shaï et Djeneba. Tout comme les personnalités des enfants demeurent plutôt vagues ou en tout cas soumises au rôle complémentaire qu’ils ont à jouer dans un ensemble plus vaste qu’eux. C’est l’expérience du groupe qui prévaut ici, au détriment d’une structure plus conventionnelle qui aurait davantage tendance à mettre en avant une poignée d’enfants aux traits et aux comportements plus mignons que ceux de leurs camarades. En procédant de la sorte, les réalisatrices ont créé un type de film différent, quoique nullement inférieur. Ainsi, Ma frère nous touche par petites bribes percutantes, au lieu de nous enrôler dans une vaste manœuvre de manipulation narrative, aux enjeux clairement établis et atteints sans surprise à la fin.

© 2025 Bettina Pittaluga / Superstructure / Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Conclusion

Tiens, dans notre tour d’horizon des comédies de colonies de vacances ayant marqué l’Histoire du cinéma français, nous avons omis de mentionner la plus récente : Un p’tit truc en plus de Artus. A notre défense, on pourrait soutenir que Ma frère est l’antithèse parfaite et donc hautement salutaire de cette comédie populaire sortie l’année dernière. A l’intrigue ennuyeusement consensuelle de celle-ci répond ici une grande liberté de ton. Elle est affranchie de toute entrave, quoique mise pendant près de deux heures au service de l’humanité désarmante de personnages nullement en quête de perfection, mais d’une authenticité qui peut faire un bien fou aux vieilles recettes fatiguées du genre.

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