Test Blu-ray 4K Ultra HD : La Nuit du Chasseur

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La Nuit du Chasseur

États-Unis : 1955
Titre original : The Night of the Hunter
Réalisation : Charles Laughton
Scénario : James Agee
Acteurs : Robert Mitchum, Shelley Winters, Lillian Gish
Éditeur : Wild Side Video
Durée : 1h33
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie cinéma : 11 mai 1956
Date de sortie DVD/BR/4K : 14 novembre 2025

Un pasteur élégant et séduisant, dont les phalanges sont sinistrement tatouées des mots « haine » et « amour », erre dans la campagne semant sur sa route la bonne parole et… la mort. Pour le révérend H. Powell, le travail du Seigneur n’est pas de sauver les âmes, mais de les condamner. À présent, Powell est prêt à tout pour récupérer un magot de 10 000 dollars caché dans une ferme. Sur son chemin : deux enfants, seuls à savoir où se trouve l’argent…

Le film

[5/5]

Dans La Nuit du chasseur, l’Amérique des années 1930 se transforme en terrain de jeu cauchemardesque où l’innocence des enfants se heurte à la duplicité des adultes. Charles Laughton, qui n’aura tourné qu’un seul film, déploie une fable noire où la religion se travestit en arme de manipulation. Robert Mitchum, avec son regard de requin et ses mains tatouées « LOVE » et « HATE », incarne un prédicateur pour le moins inquiétant. Mais derrière la simplicité du récit – deux enfants pourchassés par un faux prophète – se cache une réflexion sur la fragilité des croyances et la manière dont le cinéma peut transformer un conte moral en poème visuel. La Nuit du chasseur ne se contente pas de raconter une histoire : il sculpte une mythologie intemporelle.

Du point de vue formel, La Nuit du chasseur s’inscrit dans une tradition expressionniste héritée de F.W. Murnau et Fritz Lang, mais injectée dans le folklore américain. Les ombres démesurées, les décors stylisés et les cadrages obliques transforment chaque plan en gravure biblique. La séquence où Mitchum chevauche son cheval au loin, silhouette fantomatique sur fond de ciel crépusculaire, rappelle autant les westerns de John Ford que les cauchemars de Nosferatu. Charles Laughton joue avec la lumière comme un enfant avec une lampe torche sous la couette : il invente des monstres. Et si certains critiques ont trouvé le film trop théâtral, c’est précisément cette artificialité qui lui donne sa puissance : La Nuit du chasseur est une parabole, pas un reportage.

Les thématiques de La Nuit du chasseur tournent autour de l’enfance, de la survie et de la transmission. Les deux gamins, John et Pearl, deviennent les porteurs d’une vérité que les adultes refusent de voir. Dans un monde où les institutions – la famille, l’Église, la justice – se révèlent faillibles, seule l’innocence résiste. On pourrait y voir une anticipation des films de Nicholas Ray (La Fureur de vivre) ou même des contes cruels de Disney, où les orphelins doivent affronter des figures parentales monstrueuses. Charles Laughton ne filme pas la violence comme un spectacle, mais comme une menace sourde, tapie dans le quotidien. La Nuit du chasseur est une méditation sur la peur enfantine, celle qui fait croire qu’un adulte peut surgir dans la chambre à tout moment pour lui voler sa poupée ou pire, son âme.

Impossible de parler de La Nuit du chasseur sans évoquer la performance hallucinée de Robert Mitchum. Son Preacher est à la fois clown, ogre et séducteur. On pourrait dire qu’il a inventé Tinder avant l’heure : il charme, promet le salut, puis dévore. Shelley Winters, en épouse sacrifiée, incarne la fragilité féminine avec une intensité qui préfigure les héroïnes tragiques d’Hitchcock. Certains diront que Charles Laughton n’était pas tendre avec ses actrices – et il paraît qu’il dirigeait Winters comme un chef d’orchestre dirige une clarinette bouchée – mais le résultat est là : une figure sacrificielle qui hante le film. La Nuit du chasseur est aussi une réflexion sur la place des femmes, coincées entre désir et soumission.

Sur le plan philosophique, La Nuit du chasseur interroge la dualité humaine. Les mains « LOVE » et « HATE » deviennent un symbole simpliste mais terriblement efficace : l’homme est tiraillé entre pulsion de vie et pulsion de mort. Charles Laughton filme cette lutte comme une bataille cosmique, où les enfants incarnent l’espoir et Mitchum la corruption. La rivière, omniprésente, agit comme une métaphore du temps : elle emporte les corps, les illusions et les mensonges. On pourrait y voir une préfiguration des méditations métaphysiques de Terrence Malick, mais sans les voix off soporifiques. La Nuit du chasseur est une œuvre qui rappelle que le cinéma peut être à la fois divertissement et sermon, sans jamais sombrer dans le prêche moralisateur.

Enfin, La Nuit du chasseur s’inscrit dans une époque où Hollywood expérimentait avec les genres. Sorti en 1955, il dialogue avec des films comme A l’Est d’Eden ou Sur les quais, mais il choisit une voie plus radicale : celle du conte gothique. Charles Laughton, acteur génial devenu réalisateur unique, a créé une œuvre qui n’a pas eu de descendance immédiate mais qui irrigue encore le cinéma contemporain. On retrouve son influence chez David Lynch, chez les frères Coen, ou même dans certains blockbusters où l’enfance est menacée par des figures monstrueuses. La Nuit du chasseur est un film qui ne vieillit pas, parce qu’il parle de peurs universelles. En complément à ce qu’on vient de dire du film, on vous invite également à lire la critique du film signée Julien Mathon.

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[4,5/5]

Le Blu-ray 4K Ultra HD de La Nuit du chasseur, édité par Wild Side Video, se présente dans un boîtier métal SteelBook limité collector pour le 70ème anniversaire du film. Restauré par l’U.C.L.A. avec le concours de la Film Foundation de Martin Scorsese en 2023, le film retrouve une splendeur visuelle impressionnante. L’image, qui nous est proposée en HDR10, restitue les contrastes expressionnistes du film avec une précision chirurgicale : les noirs sont abyssaux, les blancs éclatants, et chaque ombre semble sculptée au couteau. Les séquences nocturnes, notamment la fuite des enfants sur la rivière, gagnent une profondeur inédite. Côté son, la VF en DTS-HD Master Audio 2.0 reste claire mais limitée, tandis que la VO bénéficie d’un mixage DTS-HD Master Audio 5.1 enveloppant, complété par une piste DTS-HD Master Audio 2.0 fidèle à l’expérience d’origine. Les chants religieux et les cris de Mitchum résonnent avec une intensité qui donne envie de se signer, même si l’on est athée. On est loin des mixages compressés de certaines séries Netflix.

Les suppléments du Blu-ray 4K Ultra HD de La Nuit du chasseur sont assez copieux. Le documentaire « Charles Laughton au travail » (2h39) est une plongée fascinante dans les méthodes du réalisateur, mêlant essais d’acteurs, trucages optiques et anecdotes savoureuses. On y découvre un Mitchum capable de passer du sublime au grotesque en une seconde, et une Shelley Winters fragile mais dirigée avec une patience redoutable. On continuera ensuite avec un entretien avec Simon Callow (47 minutes), qui reviendra sur la carrière de Charles Laughton et sur la genèse du film, offrant une mine d’informations pour les passionnés. On enchaînera ensuite avec un entretien avec Damien Ziegler (34 minutes), qui nous propose une analyse esthétique fine, reliant le film aux influences expressionnistes et à son héritage cinématographique. Enfin, la featurette « Une question de format(s) » (3 minutes) apporte une touche technique bienvenue. On notera par ailleurs qu’une poignée de bonus supplémentaires sont disponibles sur le Blu-ray inclus dans le SteelBook, mais que ce dernier ne nous a pas été envoyé pour ce test.

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