Sarlat 2025 : Animal totem

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Animal totem

France, 2025
Titre original : –
Réalisateur : Benoît Delépine
Scénario : Benoît Delépine
Acteurs : Samir Guesmi, Solène Rigot, Olivier Rabourdin et Pierre Lottin
Distributeur : Ad Vitam Distribution
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h30
Date de sortie : 10 décembre 2025

2,5/5

Comme le disait l’éminent Fritz Lang, le format d’écran large est fait pour les serpents et les enterrements. Dans Animal totem, il aurait pu y avoir légitimement les premiers et, on le craint, il y a au moins métaphoriquement le deuxième. Car en optant pour un format extrêmement large, du 3:55 pour les puristes, le réalisateur Benoît Delépine bouscule nos habitudes de visionnage. En parallèle, il condamne son premier film en solo, sans le compère Gustave Kervern, à n’être guère plus qu’une étrange expérience étirée inutilement en longueur … et largeur. Ce qui est tout de même fort dommage, tant on avait pris goût au ton décalé et irrévérencieux de ses films précédents. Un traitement qui aurait pu faire mouche dans le cas présent, découvert dans le cadre du Festival de Sarlat, grâce à la thématique fortement environnementale qu’il cherche à colporter.

Hélas, les déambulations à travers champs de cet homme énigmatique, campé par Samir Guesmi, finissent très vite par nous lasser. Aussi, parce que le seul dispositif auquel semble tenir la mise en scène, en dehors du format qui écrase tout sur son passage, est l’adoption apparemment aléatoire de points de vue d’animaux de la forêt, d’insectes et autres chiens. Certes, on peut y voir une relecture très libre du motif du cinglé qui traverse soit des piscines dans le cas du Plongeon de Frank Perry, soit différents quartiers de Los Angeles dans celui de Chute libre de Joel Schumacher dans une quête farfelue. Et nul besoin de nous mettre la référence à Jacques Tati explicitement sous le nez, à travers la citation de nos confrères de la Charente Libre sur l’affiche du film, pour y penser !

Mais tout cela ne fait pas automatiquement un récit engageant ou un propos qui aurait dû nous interpeller avec force et espièglerie, au lieu de nous laisser indifférents.

© 2024 Srab Films / No Money Productions / M141 / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Synopsis : A peine arrivé à l’aéroport de Beauvais, le représentant d’une société d’investissement tunisienne Darius se fait voler toutes ses affaires, sa valise à roulettes mise à part qu’il garde précieusement. Il se met alors en route à pied, à travers campagnes et banlieues, vers La Défense, où il compte accomplir sa mystérieuse mission.

© 2024 Srab Films / No Money Productions / M141 / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Pour parler aujourd’hui au cinéma d’environnement, en dehors du genre mi-militant, mi-instructif du documentaire, mieux vaut prendre une certaine hauteur. Une exigence qu’Animal totem rate plutôt laborieusement, malgré quelques perspectives prises depuis un drone, censées représenter le point de vue d’un faucon. Ainsi, le personnage principal a beau interrompre son pèlerinage taciturne par quelques observations pleines d’esprit, qui dépassent visiblement l’horizon de ses interlocuteurs plus terre à terre, il ne devient jamais clair pendant la première partie du film où il veut en venir.

Ce n’est que lorsque son chemin croise celui du vieillard proche de la mort – interprété par un Patrick Bouchitey encore assez en forme en tant que futur octogénaire – que la mise en scène nous indique pour la première fois une piste à peu près sérieuse. Qui n’est en fin de compte guère plus qu’une option d’interprétation parmi d’autres dans ce dédale d’hypothèses aussi stériles les unes que les autres.

Car notre plus grande frustration à l’égard de ce film plein de promesses et très avare en moments de grâce cinématographique – même la danse des arroseurs est quelque peu loupée – est qu’il sacrifie sa prémisse a priori ingénieuse sur l’autel d’un ton faussement farfelu. En effet, au fur et à mesure que le récit avance mollement, nous en apprenons plus sur Darius, jusqu’au dénouement qui a tout d’un anticlimax. Avant qu’il ne rentre à l’endroit qui a dû motiver son périple, son affrontement avec l’éminence grise de tout ce que lui et nous détestons manque cruellement d’envergure.

Et cette débandade dramatique n’est à mettre sur le compte ni de Olivier Rabourdin, habitué aux stéréotypes de méchants, ni de Pierre Lottin qui y fait une apparition éclair assez oubliable. Sans doute parce que ce film a été produit légèrement avant que l’acteur n’impose son nom et son visage au grand public, grâce à En fanfare de Emmanuel Courcol.

© 2024 Srab Films / No Money Productions / M141 / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Non, le problème majeur de Animal totem est qu’il n’arrive jamais à se décider sur le point de vue à adopter. La multiplication des effets optiques propres aux animaux devient alors tristement prémonitoire, comme si Benoît Delépine voulait laisser une trace de ses errements artistiques. Alors qu’il aurait été presque trop facile de faire de Darius un vengeur anonyme, mais diablement efficace, de tous les crimes contre l’environnement qu’il croise sur son chemin en Île-de-France. A la place, nous avons droit à un propos bizarrement métaphysique, qui colle avec l’apparence déglinguée et hors du temps de Samir Guesmi, soit, mais qui ne nous en dit rien sur les tenants et les aboutissants de ce récit à tiroirs enrayés.

Le seul personnage à peu près sur la même longueur d’onde que ce héros impénétrable est l’autre combattante pour la cause environnementale, interprétée par Solène Rigot. Sa stratégie à elle est par contre infiniment plus pragmatique que celle du justicier à la valise. Elle ne s’encombre plus de la tâche gigantesque de sauver le monde en tant qu’espace de vie pour les hommes et les bêtes. Tout ce qui l’intéresse, c’est de faire perdurer son univers personnel, quitte à se placer volontairement en marge de la société et de la légalité. Une philosophie à peine moins nombriliste que celle du grand patron féru de gros gibier. Voilà donc une autre raison pour désespérer face à ce film, qui a sans doute compris le problème majeur en termes de dangers environnementaux, mais qui ne dresse face à lui ne serait-ce que le début d’une solution viable.

© 2024 Srab Films / No Money Productions / M141 / Ad Vitam Distribution Tous droits réservés

Conclusion

L’univers que Benoît Delépine et Gustave Kervern ont bâti en près de vingt ans et dix longs-métrages, entre Aaltra et En même temps, avait de quoi nous subjuguer parfois par son ton farouchement décalé. Toutefois, les débuts de Delépine seul derrière la caméra avec Animal totem nous laissent hautement circonspects. Cette réserve qui borde à l’indifférence totale commence avec le drôle de choix du format extrême, mais elle est avant tout motivée par une occasion gâchée d’évoquer avec impertinence un sujet aussi grave que la déroute environnementale dans laquelle l’humanité tout entière s’engage dans un état d’hébétude déconcertant.

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