Test Blu-ray : Les Copains d’Eddie Coyle

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Les Copains d’Eddie Coyle

États-Unis : 1973
Titre original : The Friends of Eddie Coyle
Réalisation : Peter Yates
Scénario : Paul Monash
Acteurs : Robert Mitchum, Peter Boyle, Richard Jordan
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 1h43
Genre : Policier, Thriller
Date de sortie cinéma : 9 octobre 1991
Date de sortie DVD/BR : 22 octobre 2025

Petit malfrat au bout du rouleau, Eddie Coyle vit de combines minables, de contrebande et de trafic d’armes. Sur le point d’être condamné, il est prêt à tout pour échapper à la prison, quitte à devenir indicateur pour l’inspecteur Foley…

Le film

[3,5/5]

On vous prévient d’entrée de jeu : Les Copains d’Eddie Coyle est un film absolument typique des années 70 – un film dans lequel le rêve américain se prend une balle dans le genou et finit sa course chancelant et ivre mort dans un bar miteux de Boston. Pas de glamour, pas de poursuites en bagnole qui font vroum-vroum : le film met juste en scène une poignée de types fatigués, occupés à gérer des deals foireux, le tout dans une ambiance qui sent la moquette humide. Peter Yates, qui avait déjà fait vrombir les moteurs dans Bullitt, change ici clairement de braquet pour filmer l’immobilité, la résignation, et les petits arrangements entre crapules. Le film, sorti en 1973, s’inscrit dans cette veine du cinéma américain post-Vietnam, post-Watergate, en un mot post-illusions, où les héros sont des losers magnifiques, comme dans l’excellent Échec à l’organisation sorti la même année. Et Robert Mitchum, avec sa gueule de vieux boxer qui a trop encaissé, incarne Eddie Coyle avec une justesse qui ferait pleurer un flic corrompu.

Les Copains d’Eddie Coyle, c’est aussi une leçon de mise en scène. Peter Yates filme les visages comme des paysages ravagés, les dialogues comme des uppercuts, et les silences comme des enterrements. Le montage est sec, sans fioritures, comme un coup de poing dans les côtes. Et la caméra, souvent posée à hauteur d’homme, refuse le spectaculaire pour mieux capter l’ordinaire du crime. On est loin des envolées lyriques de Le Parrain ou des chorégraphies sanglantes et cocaïnées de Scarface. Ici, le sang ne gicle pas, il suinte. Et quand ça tire, ça fait mal, mais ça ne fait pas de bruit. Un peu comme une rupture amoureuse dans un fast-food. L’idée de Peter Yates et de son scénariste Paul Monash semble en en effet de nous montrer que le crime, c’est ni sexy, ni fun – c’est pas une série Netflix avec des meufs en cuir, des flingues et des punchlines. C’est juste un boulot comme un autre, avec ses horaires, ses risques, et ses collègues qu’on n’aime pas trop mais qu’on supporte parce qu’on n’a pas le choix.

Dans la vision du monde qu’il nous propose, Les Copains d’Eddie Coyle rejoint les grands classiques du polar social, comme le Fat City de John Huston, sorti l’année précédente. On y parle de gens qui n’ont pas les moyens de rêver, mais qui essaient quand même, comme on essaie de pisser droit après trois bières tièdes. De fait, les thématiques abordées par le film sont aussi poisseuses que les banquettes du bar où Eddie traîne ses guêtres. La trahison, la solitude, la vieillesse, la peur de finir seul avec un casier judiciaire et une prostate capricieuse. Le film parle de la fin d’un monde, celui des petits truands à l’ancienne, remplacés par des jeunes loups sans scrupules, qui débarquent là comme des influenceurs TikTok pleins de fougue dans une réunion de syndicalistes fatigués. Et pourtant, derrière cette grisaille, il y a une vraie tendresse pour ces personnages paumés, une humanité qui transparaît dans chaque regard, chaque hésitation, chaque clope allumée avec les doigts tremblants.

Alors oui, Les Copains d’Eddie Coyle, c’est pas le genre de feel-good movie qu’on mate en mangeant des sushis devant une appli de livraison. C’est un film qui demande qu’on s’y attarde, qu’on écoute, qu’on regarde vraiment. Et si certains trouvent ça lent, qu’ils retournent faire du trampoline avec leurs AirPods. Parce que ce que Peter Yates propose ici n’est rien de moins qu’une plongée dans l’âme humaine, dans ses zones d’ombre, ses contradictions, ses renoncements doublée d’une réflexion sur la manière dont les institutions broient les individus, les utilisent, les jettent. Eddie, c’est le type qui croit encore qu’il peut négocier, qu’il peut s’en sortir, qu’il peut faire confiance. Et attention [#Spoiler] : non, il ne peut pas. Et cette impasse, cette fatalité, est filmée avec une sobriété qui fait froid dans le dos. Pas besoin de musique dramatique ou de ralentis pleins de pathos. Juste un regard, une phrase, un geste – le silence en dit plus que les mots.

Le Blu-ray

[4/5]

L’édition Blu-ray de Les Copains d’Eddie Coyle proposée par Rimini Éditions redonne ses lettres de noblesse à ce polar oublié, avec une restauration qui frôle le miracle. L’image, granuleuse à souhait, respecte la texture originelle du film, avec ses teintes grisâtres et ses contrastes doux comme une caresse de flic en civil. Pas de surenchère numérique ici, juste un respect scrupuleux du matériau d’origine. Les scènes nocturnes, nombreuses, conservent leur opacité poétique, et les visages burinés de Robert Mitchum et Peter Boyle retrouvent toute leur rugosité. C’est du cinéma qui sent le cuir les gars, pas le silicone. Côté son, Rimini Éditions nous propose des mixages DTS-HD Master Audio 1.0 à la fois en VF et VO. Et là, surprise : la version originale, bien que monophonique, offre une clarté remarquable, avec des dialogues limpides et une ambiance sonore qui colle parfaitement à l’atmosphère du film. La version française, quant à elle, reste fidèle à l’époque, avec ce charme désuet des doublages seventies, où les truands parlent comme des profs de philo en grève. Pas de souffle parasite, pas de saturation : c’est propre, net, efficace.

Mais le vrai trésor de cette édition Blu-ray des Copains d’Eddie Coyle, ce sont les suppléments. À commencer par le sujet exclusif intitulé « Eddie Coyle ou les prolétaires du crime », une discussion entre Jean-Baptiste Thoret et Samuel Blumenfeld (49 minutes) au cœur de laquelle ils dissèquent le film avec la précision d’un légiste. Leur conversation, dense et passionnante, replace le film dans son contexte social et cinématographique, tout en rendant hommage à la carrière de Peter Yates. Comme d’hab avec JB Thoret, c’est érudit, mais ni snob, ni chiant : on en redemande. On continuera ensuite avec un entretien d’archive avec Peter Yates (37 minutes), mené par Derek Malcolm en 1996. Malgré une image et un son marqués par le temps, cette conversation sous-titrée en français reste un témoignage précieux, où le cinéaste revient sur son parcours, ses collaborations (Barbra Streisand, entre autres), et son regard sur Hollywood. Enfin, le livret de 44 pages « Les Copains d’abord », signé Christophe Chavdia, complète l’ensemble avec analyses, anecdotes et réflexions bien senties. Une édition indispensable pour tout amateur de polar, de cinéma des années 70, ou de vieux truands qui sentent le tabac froid.

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