La Roche-sur-Yon 2025 : Blue Moon

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Blue Moon

États-Unis, 2025
Titre original : Blue Moon
Réalisateur : Richard Linklater
Scénario : Robert Kaplow, d’après les lettres de Lorenz Hart et Elizabeth Weiland
Acteurs : Ethan Hawke, Margaret Qualley, Bobby Cannavale et Andrew Scott
Distributeur : –
Genre : Comédie dramatique
Durée : 1h40
Date de sortie : –

2,5/5

Quelle ironie que le film que nous attendions le plus pendant notre séjour au 16ème Festival de La Roche-sur-Yon a finalement été notre plus grosse déception ! Nous nous étions précipités sur les réservations en ligne, afin d’être sûrs d’avoir une place pour la seule séance compatible avec notre emploi du temps. Nous avions anticipé une réussite égale à celle de Orson Welles et moi. Pour rappel, cette autre incursion de Richard Linklater dans l’Histoire artistique de son pays avait de même été privée d’une sortie en salles en France. Et nous avions aussi eu le privilège de le découvrir en festival. C’était en 2009, à Deauville. Hélas, à notre plus grand regret, Blue Moon ne respire rien de cette euphorie qui avait rendu les premiers pas sur scène du jeune comédien interprété par Zac Efron si galvanisants ! Bien au contraire, puisqu’il s’agit du simulacre d’une pièce de théâtre filmée, bavard et à la disposition mentale sinistre.

Ethan Hawke a beau y disparaître entièrement dans son rôle d’un parolier, le soir de sa plus grande humiliation. Tout comme la facture technique du vingt-quatrième long-métrage de ce réalisateur extrêmement prolifique qu’est Richard Linklater est des plus respectables. Mais au fond, ce flux ininterrompu de paroles n’exprime qu’un fort malaise existentiel, une incapacité d’aimer et d’être aimé qui se décharge dans des remarques désobligeantes et de l’apitoiement sur soi. Toutes proportions gardées – puisque nous sommes évidemment conscients qu’il s’agit de deux films à l’ambition tout à fait différente –, dans le registre des petits vieux frustrés qui désirent ardemment une jeune et belle créature féminine de rêve, nous lui avons largement préféré, pendant ce festival, l’infiniment plus philosophe et optimiste El cuarto pasajero de Alex de la Iglesia !

© 2025 Sabrina Lantos / Detour Pictures / Wild Atlantic Pictures / Cinetic Media / Renovo Media Group / Sony Pictures Classics
Tous droits réservés

Synopsis : En novembre 1943, le célèbre parolier américain Lorenz Hart meurt seul et isolé. Sept mois plus tôt, il assiste au restaurant Sardi’s au triomphe de la nouvelle comédie musicale Oklahoma ! de son ancien collaborateur, le compositeur Richard Rodgers. Celui-ci a préféré mettre un terme à leur longue collaboration dont sont issues quelques unes des chansons les plus populaires des années ‘30, pour désormais faire équipe avec Oscar Hammerstein III. Déçu et blessé, Hart observe de loin cette consécration, préoccupé qu’il est par l’amour qu’il voue à sa jeune protégée Elizabeth Weiland et qu’il n’ose pas lui avouer.

© 2025 Sabrina Lantos / Detour Pictures / Wild Atlantic Pictures / Cinetic Media / Renovo Media Group / Sony Pictures Classics
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Il parle sans plus s’arrêter. Peut-être sommes-nous gâtés par les recherches esthétiques et la force visuelle des autres films que nous avons pu découvrir jusque là à La Roche-sur-Yon. En tout cas, cela fait longtemps que nous n’avons plus été autant agacés par une telle diarrhée verbale ! De surcroît, le monologue interminable du personnage de Hart se veut sans doute inspiré et plein de verve acerbe. Mais au final, il n’est guère plus qu’une longue litanie de plaintes teintées d’une nostalgie maussade. En somme, si vous avez envie d’écouter pendant une heure et demie un Ethan Hawke méconnaissable pleurnicher sur son sort, Blue Moon est fait pour vous. Car dans cet univers psychologique nombriliste, les autres personnages sont dégradés au rang de figurants, de simples fournisseurs de signaux pour relancer cet auteur au bout du rouleau dans un autre cercle vicieux de fiel verbal.

Il n’y en a que pour lui, à tel point que les trois autres rôles d’envergure peinent sérieusement à s’affirmer. Cela vaut autant pour Bobby Cannavale en barman qui cite Casablanca, le film à voir et à revoir cette année-là, que pour Margaret Qualley en jeune muse qui ne réussit point à faire oublier la différence d’âge avec son Pygmalion bourré de complexes. Seul Andrew Scott en ancien compagnon de route qui a parfaitement cerné le profil toxique de Hart et qui cherche désormais à le tenir à distance, offre un semblant d’opposition au protagoniste casse-pieds. Était-ce suffisant pour lui attribuer l’Ours d’argent du Meilleur second rôle au dernier Festival de Berlin ? Permettez-nous d’en douter. Au moins, sa réticence et sa gêne à l’égard du parolier de génie, qui se trouve en même temps être un homme aux qualités plus discutables, reflètent fidèlement notre propre exaspération à son égard.

© 2025 Sabrina Lantos / Detour Pictures / Wild Atlantic Pictures / Cinetic Media / Renovo Media Group / Sony Pictures Classics
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Tout cela ne serait finalement pas si grave, si Richard Linklater avait su trouver une approche intéressante pour contrer tant de commisération. Après tout, les films à nous avoir fait éprouver de la compassion pour de pauvres malheureux sont légion. Dans le cas de Blue Moon, la dimension tragique du personnage principal ne se manifeste jamais. Ni quand la victoire éclatante de son concurrent se confirme avec chaque nouvelle critique dithyrambique, ni quand Hart s’extrait de l’agitation nocturne au bar des artistes pour se mettre au calme avec Elizabeth. Ce tête-à-tête intimiste aurait pu clarifier les choses et mettre ainsi cet anti-héros encombrant face à ses propres contradictions de manière percutante. Au lieu de cela, il se contente de faire moisir ce couple improbable dans son incompatibilité mutuelle et nous avec, pris au piège de l’espoir d’un retournement dramatique majeur qui n’arrivera jamais.

Alors oui, les décors sont jolis. Mais ils ne parviennent jamais à occulter l’impression que tout cela est faux et que l’on assiste à la représentation d’un spectacle sur toute la misère du monde, conté par quelqu’un qui se croit aux premières loges pour se plaindre encore et encore. C’est la longue ligne droite et plate d’une manœuvre de drague lâche, parce que jamais assumée. Avec l’ultime refus d’empathie en prime pour cet alcoolique qui boit pourtant comme un trou, par le biais de la séquence en exergue. Cette dernière est, elle aussi, filmée dans une lumière désagréablement artificielle, comme pour mieux instaurer une distance entre la fiction et le public, entre un microcosme d’intellectuels plaintifs et la dure réalité d’un pays en guerre.

Bref, arrêtons de meubler pour exprimer notre ennui, voire notre désarroi, à l’égard d’un film dont la raison d’être nous paraît trouble. Allez savoir pour quel public Blue Moon a été fait. Pour de grands nostalgiques, soit, à condition de résister à la somnolence provoquée par un excès de paroles et à son encéphalogramme fâcheusement plat en termes de tension dramatique.

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Conclusion

Puisque nous écrivons ces quelques lignes avant notre départ de La Roche-sur-Yon, nous pouvons à présent être soulagés que Blue Moon a été la seule déception notable de notre programme festivalier. Toutefois, la désillusion était de taille, tant on aurait aimé que Richard Linklater réussisse son retour parmi les artistes américains de renom pendant cette période si singulière de la fin des années 1930 et du début de la décennie suivante. En dépit de l’interprétation globalement solide, le moindre lien d’identification avec ce Lorenz Hart, antipathique au possible, peine à se matérialiser. La faute à un ton dépourvu de relief et, pire encore, à l’absence d’un point de vue engageant pour nous faire revivre cette soirée douce-amère qui aurait marqué, il faut le croire, l’Histoire du divertissement à l’américaine.

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